Éditorial

Tumeurs malignes de l'œil, de la conjonctive et des paupières


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Les tumeurs ophtalmiques sont rares, mais il est essentiel de les diagnostiquer le plus tôt possible et de les prendre en charge le mieux possible pour ne pas compromettre les chances de préserver l'œil et la vision et ne pas mettre en jeu le pronostic vital du patient.

Le rétinoblastome est la première tumeur dont l'origine génétique a pu être démontrée. Il touche essentiellement le nourrisson et les enfants âgés de moins de 4 ans. C'est une maladie rare (1 cas pour 18 000 naissances). L'institut Curie, qui est le centre de référence national, reçoit environ 60 nouveaux cas par an. Le diagnostic précoce est essentiel et repose sur l'examen du fond d'œil chez tout enfant strabique ou en cas de leucocorie. C'est une urgence thérapeutique. Les formes les plus sévères requièrent une énucléation ou une ablation chirurgicale de l'œil. Les traitements conservateurs ont beaucoup évolué au cours des 20 dernières années. Les patients sont pris en charge par une équipe multidisciplinaire. La radiothérapie a vu ses indications diminuer puis disparaître au profit de la chimiothérapie associée à des traitements ­ophtalmologiques locaux. Les voies d'administration de la chimiothérapie se sont diversifiées avec l'apparition des voies intra-artérielle et intravitréenne. Ainsi, les résultats s'améliorent, mais la prise en charge requiert des traitements hyper-spécialisés et un suivi intensif. Dans les formes familiales, le conseil génétique et le dépistage précoce sont très importants.

Chez les patients adultes, la tumeur primitive intraoculaire la plus fréquente est le mélanome de l'uvée. Il survient chez des patients ayant en moyenne 60 ans, soit de novo, soit en raison de la dégénérescence d'un nævus. Les nævi choroïdiens sont fréquents dans la population caucasienne. Ils peuvent être bénins, ne nécessitant alors qu'un contrôle annuel du fond d'œil, ou présenter des caractéristiques suspectes qui incitent à une surveillance plus rapprochée, voire à une irradiation. En cas de mélanome malin de l'uvée, les symptômes varient en fonction de la localisation de la tumeur (phosphènes, baisse de l'acuité visuelle), mais il est important de réaliser un fond d'œil après dilatation pupillaire pour poser le diagnostic le plus tôt possible quel que soit le symptôme visuel retrouvé récemment. Le traitement doit être conservateur chaque fois que c'est possible, grâce à la protonthérapie ou à la curiethérapie. Le risque est essentiellement le développement de métastases hépatiques, de mauvais pronostic. On recommande une surveillance semestrielle grâce à une échographie hépatique, voire une IRM hépatique pour les patients les plus à risque. Le pronostic varie en fonction de la classification TNM et il est beaucoup plus mauvais pour les plus grosses tumeurs. Les biopsies à l'aiguille lors du traitement conservateur permettent de déterminer, chaque fois que cela est possible, les modifications du génome de la tumeur ; leur intérêt pour préciser le pronostic n'est plus à démontrer. Le mélanome uvéal peut être classé selon son profil génomique ou transcriptomique. Ainsi, il y a plusieurs classes de mélanome uvéal. Certains ont un risque métastatique faible, tandis que d'autres ont, au contraire, un risque élevé. Les mutations observées dans le mélanome uvéal sont très différentes de celles du mélanome cutané (GNAQ, GNA11, BAP1, SF3B1, EIF1A). Leur réponse aux thérapeutiques ciblées n'est pas la même, et ils doivent bénéficier de protocoles spécifiques. Pour les mélanomes uvéaux à haut risque de métastase, la détection précoce des métastases hépatiques grâce à un suivi adapté au risque du patient permet parfois d'en faire l'exérèse chirurgicale, ce qui aboutit à une meilleure survie. Les protocoles de chimiothérapie adjuvante n'ont pas montré d'efficacité. Les thérapeutiques ciblées progressent mais n'obtiennent encore que des résultats insuffisants.

La prise en charge d'un patient atteint d'une pathologie cancéreuse conduit parfois à la découverte de métastases choroïdiennes. Celles-ci sont fréquentes dans les cancers du sein et du poumon, pour lesquels elles sont souvent révélatrices de la maladie, mais elles peuvent se rencontrer dans tous les cancers. Il faut être vigilant chez ces patients et prévoir une consultation d'ophtalmologie en cas de troubles visuels récents.

Les tumeurs de la surface oculaire sont très rares et sont représentées essentiellement par les mélanomes conjonctivaux et les carcinomes conjonctivaux.

L'aspect clinique des mélanomes de la conjonctive varie fortement en fonction de la localisation et de la pigmentation de la tumeur, et peut parfois être très trompeur. Plus de la moitié des cas se développent sur une mélanose primitive acquise. La prise en charge doit être irréprochable, car, en cas d'échec, une exentération peut s'avérer nécessaire et le pronostic vital peut être mis en jeu (des métastases apparaissent dans environ 30 % des cas). La dissémination se fait d'abord au niveau des aires ganglionnaires cervicales. Un examen du TEP scan est utile pour le bilan. Le traitement consiste en une chirurgie, une radiothérapie et, en cas de mélanose associée, un collyre à la mitomycine. Une recherche de mutations de BRAF, de NRAS et de c-KIT doit être réalisée afin de guider au mieux la chimiothérapie en cas de dissémination.

Les carcinomes conjonctivaux peuvent être in situ ou invasifs. Ils sont favorisés par l'exposition solaire et surviennent souvent dans l'aire d'ouverture de la fente palpébrale. La prise en charge repose là encore sur l'association de la chirurgie, de la radiothérapie pour les formes invasives et de collyres antimitotiques (mitomycine, 5-FU et interféron) pour les carcinomes in situ.

Parmi les tumeurs palpébrales, le carcinome basocellulaire est de loin le plus fréquent, devant les carcinomes épidermoïdes ou mucoépidermoïdes, les carcinomes sébacés et les carcinomes à cellules de Merkel. En dehors du carcinome basocellulaire, les autres tumeurs sont capables d'envahir les aires ganglionnaires et de métastaser.

Le traitement des carcinomes basocellulaires repose essentiellement sur la chirurgie d'exérèse, qui doit être complète (ce qui nécessite une reconstruction de la paupière), mais la radiothérapie est parfois utile, et, pour les tumeurs inopérables, de nouvelles thérapeutiques ciblées, comme le sonidégib ou le vismodégib, peuvent être utilisées.

En conclusion, le rôle de l'ophtalmologiste est essentiel pour diagnostiquer et traiter les cancers ophtalmiques mais aussi surveiller les complications oculaires possibles des nouvelles thérapies anticancéreuses.


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