Après avoir vécu les révolutions et les avancées majeures de la cancérologie avec les thérapies ciblées, la médecine de précision, les immunothérapies et la modulation du système immunitaire et de l’hôte, les anticorps drogue-conjugués (antibody-drug conjugates, ADC) sont la 3e voie dans le développement thérapeutique des médicaments, avec plus de 400 études en cours dans le monde. Plusieurs centaines d’ADC, à ce jour, font l’objet de recherches dans des études de phase I, II ou III, et plus d’une dizaine d’ADC ont déjà une indication validée dans différents types de cancers comme le cancer du sein, les lymphomes ou le cancer de la vessie. Ces ADC se caractérisent par 4 composantes majeures : la cible, le linker, le payload et l’anticorps utilisé. Ces caractéristiques expliquent en partie des différences en termes d’activité, de toxicité et de mécanismes de résistance. Il est capital de ne pas oublier que le progrès thérapeutique et les innovations sont aussi présents dans d’autres domaines thérapeutiques en cancérologie, comme la radiothérapie, la radiothérapie interne vectorisée, la chirurgie ou la radiologie interventionnelle. De plus, les innovations sont aussi présentes dans les domaines du diagnostic et du suivi des traitements. Toutes ces innovations permettent d’entrevoir une synergie et une complémentarité des approches en particulier avec les ADC qui vont nous aider à mieux identifier les cibles thérapeutiques et le type de cancer à traiter.
Ces 20 dernières années ont été aussi marquées par un changement dans la vision de la définition et de la prise en charge des cancers. La médecine de précision nous a permis de toucher du doigt le fait que les cancers du poumon, du sein ou du côlon peuvent être traités avec le même médicament ou la même thérapeutique en se fondant sur des analyses moléculaires ou immunologiques. Cette approche appelée “histologie-agnostique” est fondée sur un principe simple : le cancer n’est pas une maladie d’un organe, le cancer est une maladie d’une voie moléculaire ou immunologique et il est donc possible de classer les cancers non par sur l’origine de l’organe, mais en se fondant sur des altérations moléculaires au sens large. Le meilleur exemple est le vémurafénib, inhibiteur de tyrosine kinase ciblant BRAF, qui a été approuvé dans différentes indications de cancers ayant des mutations de BRAF, tels que le mélanome, le cancer du poumon ou l’histiocytose langerhansienne.
Compte tenu de leur mécanisme d’action et de l’efficacité préliminaire en phase I ou confirmée en phase III de plusieurs d’entre eux, les ADC sont un des futurs du développement des approches histologiques-agnostiques. Récemment, il a été montré qu’un ADC ciblant HER2 présente une activité pan-cancer chez des patients atteints d’un cancer avancé, et le trastuzumab déruxtécan a été approuvé en 2024 dans cette indication de cancer présentant des altérations de HER2. Il est possible d’envisager que plusieurs ADC ciblant des cibles thérapeutiques différentes (c-MET, EGFR, HER3, TROP-2, B7-H3, B7-H4, DLL3, nectine-4, etc.) puissent démontrer une activité antitumorale. La détermination des biomarqueurs permettant d’identifier la sensibilité des cancers aux ADC est un domaine majeur de recherche et un champ de collaborations entre chercheurs, pathologistes, biologistes, chimistes et cancérologues. De plus, les combinaisons des ADC avec d’autres traitements comme les immunothérapies, les thérapies ciblées
ou des traitements locaux comme la radiothérapie vont étendre le développement de cette classe thérapeutique.
Par conséquent, les ADC ne sont pas qu’un renouveau de la chimiothérapie cytotoxique et doivent être vus non seulement comme une nouvelle modalité de traitement des cancers, mais aussi comme un potentiel traitement “ciblé” actif en pan-cancer en fonction de la cible.

