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Ma médecine

Un parcours, une carrière – Pr Bernard Lévy


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Pourquoi êtes-vous devenu médecin et quelle a été votre formation ? 

Bernard Lévy : À 17 ans, j'hésitais entre des études d'ingénieur et des études de biologie. Inscrit en “Math Sup” au lycée Saint-Louis à Paris, j'ai vite constaté que la physique et en particulier la mécanique des vibrations, qui me passionnait, n'étaient que peu ou pas représentées dans le cursus des classes préparatoires. Interne dans ce lycée historique, je me suis échappé de ces classes en novembre, au désespoir de mes parents. La filière médecine m'avait semblé celle qui laissait le plus d'ouvertures à long terme, c'était une façon de temporiser pour garder le plus d'options possible. Je m'étais quand même inscrit à des certificats complémentaires de math-physique-chimie qui m'ont rendu de vrais services par la suite. La cardiologie, par ses aspects rationnels et logiques, et la mécanique vasculaire m'ont permis de réconcilier les domaines et les disciplines qui m'intéressent : médecine, biologie et physique.

Quelles personnalités vous ont le plus influencé au cours de votre cursus et pourquoi ?

B. L. : Le professeur Yves Bouvrain m'a recruté en 1970 à Lariboisière avec pour mission de ne pas faire de clinique mais d'étudier la physiologie vasculaire (“On a bien assez de cardiologues cliniciens dans le service, mais on manque de bons physiologistes”). Il faut dire que Slama, Gourgon, Coumel, Beaufils, Motté, Waynberger et bien d'autres étaient à cette époque dans le service de M. Bouvrain. Nous avons passé un grand nombre de samedis matin, après sa visite, à discuter de circulation artérielle, de “cœur périphérique” (il avait appris au cours de ses études que le muscle lisse artériel participait à l'éjection cardiaque et à l'écoulement du sang). M. Bouvrain m'a appris, avec Jean-Paul Martineaud, cardiologue et physiologiste, à mettre mes idées au clair et à les écrire en bon français, ou du moins à essayer.

Le professeur Claude Amiel, néphrologue et physiologiste à Bichat, m'a appris la rigueur expérimentale et morale et m'a beaucoup aidé à survivre dans un milieu de recherche que je ne connaissais pas.

Le professeur René Gourgon, enfin, que j'avais connu chef de clinique à Laennec, m'a toujours soutenu et encouragé à ne pas séparer recherche fondamentale et clinique. Je lui dois une grande partie des bourses et subventions qui m'ont aidé au début de ma carrière.

Quels ont été vos centres d'intérêt et comment ont-ils évolué avec le temps ?

B. L. : Avec le recul, cette évolution me semble logique alors que, dans l'action, je ne voyais pas de fil conducteur. Je me suis d'abord intéressé à la mécanique vasculaire, artérielle et veineuse. Pour développer ce thème, j'ai dû me plonger dans des études de mécanique des fluides qui se sont concrétisées par une thèse de science soutenue dans le laboratoire de mécanique de la faculté d'Orsay. L'essentiel des résultats de cette thèse (8 ans de travail, durée habituelle à cette époque) concernait la mesure de la rigidité artérielle et la mise en évidence de son importance comme composante de la post-charge ventriculaire gauche.

Dès cette époque, je ne concevais pas de recherche biologique sans application clinique. La notion de compliance artérielle et la validation d'une méthode de mesure à partir de la valeur du débit cardiaque et de l'analyse graphique des courbes de pression aortique m'ont amené à présenter mes résultats à Michel Safar, alors jeune agrégé de Paul Milliez, puis à collaborer avec lui et Alain Simon, alors chef de clinique à Broussais. Nous avons publié, ensemble, les premiers articles qui ont quantifié la compliance artérielle chez l'hypertendu.

En parallèle, et toujours dans l'optique de mieux comprendre les aspects mécaniques de la circulation, nous avons étudié, avec Jean-Baptiste Michel et Alain Tedgui, la circulation coronaire et l'influence de la contraction myocardique sur les versants veineux et artériels du réseau coronaire. Il était, pour ce sujet, indispensable de travailler sur des modèles animaux de grande taille. Nous avons beaucoup travaillé dans ce domaine complexe et très compétitif ; cependant, les difficultés réglementaires expérimentales ont participé à l'extinction de ce thème de recherche au laboratoire.

Une fois l'importance de la rigidité artérielle démontrée (à mes yeux), la question s'est ensuite posée de savoir pourquoi une paroi artérielle devenait plus ou moins rigide. Cette question nous a amenés à étudier la structure morphométrique de la paroi artérielle et à développer, avec Jean-Baptiste Michel, le Pr Jean-Pierre Camilleri et son jeune assistant Jean-Loup Salzmann, des logiciels d'analyse histologique quantitative. Les programmes étaient écrits en basic sur des Apple II. Nous y avons passé des week-ends et des nuits mémorables. Il a alors été possible de quantifier le contenu et la structure du collagène et de l'élastine dans la paroi artérielle ainsi que le nombre et la taille des cellules musculaires lisses. L'étude de ces paramètres élémentaires et de leur évolution dans différentes souches de rats, normotendus au cours du vieillissement, hypertendus, diabétiques, traités ou non, nous a permis de proposer la notion de remodelage artériel, mécanique et/ou pharmacologique.

Le système artériel a pour rôle essentiel de transporter, dans les meilleures conditions énergétiques possible, le sang vers les tissus. Cette constatation triviale m'a conduit à m'intéresser à la microcirculation. On parlait alors de sphincters précapillaires, et leur physiologie était peu et mal connue. J'ai eu la chance de rencontrer Daniel Henrion et Chantal Boulanger, qui travaillaient alors aux États-Unis, et de pouvoir les recruter dans l'unité Inserm que j'animais. Nous avons beaucoup travaillé ensemble sur les mécanismes de contrôle du tonus myogénique et sur le rôle de l'endothélium dans la microcirculation.

Le remodelage vasculaire ultime est la constitution ou la réparation d'un nouveau réseau circulatoire. Le thème “angiogenèse” était lancé, Jean-Sébastien Silvestre a brillamment pris le relais de cette thématique.

Quelles ont été les principales avancées dans votre domaine durant les 10 dernières années ?

B. L. : L'introduction du paramètre principal de rigidité artérielle et de son marqueur, la vitesse de l'onde de pression artérielle, dans un grand nombre d'essais cliniques.

L'analyse des altérations de la microcirculation au cours du vieillissement, de l'hypertension artérielle et du diabète.

L'importance de l'antiangiogenèse dans la survenue de complications cardiaques, rénales et cérébrales des traitements antiangiogéniques des cancers.

Quels ont été selon vous vos principaux apports à la spécialité ?

B. L. : Modestes, car j'ai toujours préféré satisfaire ma curiosité avec de nouvelles questions plutôt qu'approfondir un sujet sur lequel je travaillais depuis plusieurs années. C'est un reproche que me fait Michel Safar depuis 30 ans.

Je suis surtout heureux et fier d'avoir identifié puis recruté des chercheurs (et une clinicienne) qui se sont tous révélés brillants (par ordre chronologique : Alain Tedgui, Ziad Mallat, Stéphanie Lehoux, Daniel Henrion, Chantal Boulanger, Nathalie Kubis, Jean-Sébastien Silvestre, Jose Vilar).

Quelles questions scientifiques ou médicales restent actuellement pour vous sans réponse et comment y remédier ?

B. L. : Je ne connais pas de grandes questions en suspens ; ou du moins je ne me sens pas apte à les aborder. Chaque avancée, aussi modeste soit-elle, amène de nouvelles questions sur ses mécanismes en jeu et les conséquences à attendre. Du point de vue médical, il faut rester modeste : mieux identifier et prendre en charge les patients hypertendus est un objectif simple et réaliste mais non atteint. Dans ce domaine, j'ai le bonheur de travailler avec 2 jeunes amis : Jacques Blacher et Jean-Jacques Mourad qui m'ont appris ce que je sais en clinique de l'HTA.

Comment selon vous améliorer la prise en charge des patients dans votre domaine ?

B. L. : Plus prendre en compte l'inertie thérapeutique et les moyens de la combattre. Si les médecins ne se mettent pas suffisamment au fait des avancées diagnostiques et thérapeutiques et ne sont pas pleinement convaincus de leur intérêt, on verra toujours des malades hypertendus mal ou insuffisamment diagnostiqués et soignés.

Comment selon vous améliorer l'enseignement des étudiants et la formation des médecins ?

B. L. : Enseigner la physiologie à 3 niveaux et à des moments différents des études de médecine : les bases élémentaires en premier cycle, en se limitant aux grandes lignes et en exigeant une connaissance parfaite de celles-ci. À ce moment, les étudiants ne pensent qu'au concours, et bientôt à la sélection qui remplacera le PACES, et ne se posent pas de question sur les sujets qu'on leur impose.

Plus tard, au cours du deuxième cycle, enseigner plus en détail la physiologie d'organe, en même temps qu'on en apprend la sémiologie et les pathologies.

Enfin, en cours de spécialisation, revenir de manière approfondie sur la physiologie du système dans lequel on se spécialise ; je me suis souvent désespéré de voir arriver dans mon service des internes ou des chefs de clinique de cardiologie n'ayant qu'une idée vague (au mieux) de la loi de Starling. Plusieurs avaient suivi mes cours pendant leurs études et je ne pouvais donc m'en prendre qu'à moi-même.

La grande leçon que j'ai tirée de l'enseignement de la physiologie est la suivante : il est inutile et peu productif de répondre à des questions que les étudiants ne se posent pas. Les cours les plus efficaces que j'ai pu donner ont été ceux que m'ont demandés des étudiants scientifiques en cours de thèse dans mon unité. Ils travaillaient depuis plusieurs années sur des sujets très pointus et n'avaient pas de vision globale de leur sujet et de son intégration dans un fonctionnement plus large. Nous avions organisé des séances de travail qui duraient des heures, chacun ayant de nouvelles questions à poser. C'est une illustration supplémentaire de la vieille blague : “J'ai une réponse, qui a une question ?” Nous avons tellement de réponses et il y a si peu de bonnes questions.

Témoignage rédigé par le Pr Bernard Lévy


Quel livre, quel film, quelle musique, quelle oeuvre d'art emporteriez-vous sur une île déserte ?

Livres : L'amour aux temps du choléra de Gabriel García Márquez 

et Vie et Destin de Vassili Grossman

Films : The Deer hunter (Voyage au bout de l'enfer) de Michael Cimino, Une journée particulière de Ettore Scola et Amadeus de Milos Forman.

Musique :Pink Floyd (A Saucerful of Secrets), les Beatles(Abbey Roads)
et tout Mozart.

Œuvres d'art : des portraits de personnages anonymes réalisés par Jean Clouet, peintre flamand du XVIe siècle qui a réalisé le portrait le plus connu de François 1er. Et, de manière plus générale, toute la peinture flamande du XVIe siècle.

Une maxime qui vous est chère pour conclure ?

“Je m'attends toujours au pire et je suis rarement déçu.” Il ne s'agit pas d'une phrase pessimiste, comme on pourrait le penser. Réfléchissez : appliquer ce principe conduit toujours à des bonnes surprises ; presque toujours.

“Mal nommer les choses, c'est ajouter du malheur du monde” (Albert Camus).
En ce moment, nous sommes servis.