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Mise au point

Fibrillation atriale : après les études présentées à l'ESC et l'AHA, que retenir ?


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  • Les congrès américain (AHA) et européen (ESC) ont mis à l'honneur des essais randomisés portant sur l'ablation de la fibrillation atriale (FA).
  • Tous ces essais sont positifs et pourraient faire évoluer les recommandations des sociétés savantes. Néanmoins, une lecture attentive incite à la prudence.
  • À l'ESC, l'essai EAST-AFNET 4 a montré qu'une stratégie de contrôle du rythme dans la FA récente (< 1 an) est associée à une amélioration d'un critère composite “lourd”. Cette étude intéressante présente cependant quelques faiblesses et nécessiterait confirmation.
  • À l'AHA, 3 études, CRYO-FIRST, EARLY-AF et STOP AF ont montré que la cryoablation de la FA était supérieure aux antiarythmiques en première ligne de traitement de la FA paroxystique. Ces études techniques de confirmation n'abordent toutefois pas la question de la pertinence clinique de recourir à une telle stratégie.

Les congrès de la Société européenne de cardio­logie puis de l'American Heart Association (AHA) ont mis à l'honneur, en cette année 2020, des études portant sur la fibrillation atriale (FA) et sa prise en charge, notamment par ablation. Après une première lecture rapide, l'étude EAST-AFNET [1] présentée à l'ESC semble démontrer que la prise en charge d'une FA d'installation récente par une stratégie de contrôle du rythme semble supérieure à une stratégie de contrôle de la fréquence sur un critère de morbimortalité. Concernant les études CRYO-FIRST, EARLY-AF [2], et STOP AF [3], elles indiquent toutes les 3 que l'isolation des veines pulmonaires par cryothérapie est supérieure aux anti­arythmiques dans le traitement de première ligne de la FA. Un (trop?) rapide syllogisme conclurait que l'ablation de FA doit être maintenant proposée en traitement de première ligne. Comme souvent, une lecture plus attentive des différentes études permet de nuancer ce message.

Étude EAST-AFNET 4 : la première étude de morbimortalité positive sur la FA ?

À l'ESC, c'est l'étude EAST-AFNET 4 qui a été présentée et publiée simultanément dans le NEJM. Il s'agit d'une étude de stratégie thérapeutique qui comparait l'intérêt d'une stratégie de contrôle du rythme versus de la fréquence dans des FA de survenue récente (diagnostic ≤ 1 an). Le critère de jugement primaire était composite et incluait la mortalité cardiovasculaire, les AVC et les hospitali­sations pour insuffisance cardiaque ou SCA. Une analyse supplémentaire était réalisée sur les durées d'hospitalisation. La stratégie de contrôle du rythme était réalisée par un traitement médical antiarythmique ou par ablation de fibrillation atriale. Ces patients bénéficiaient d'un suivi électrocardio­graphique bihebdomadaire systématique (et plus si symptômes). La documentation d'une récidive de fibrillation déclenchait une escalade thérapeutique. Dans le bras contrôle, un traitement de contrôle de la fréquence seul était instauré, sans surveillance électrocardiographique spécifique. Une stratégie de contrôle du rythme pouvait être initiée en deuxième intention chez les patients présentant des symptômes sous traitement.

L'étude a inclus 2 789 patients (âge moyen 70 ans, 46 % de femmes). Plus de la moitié des patients étaient en rythme sinusal à l'inclusion, 30 % étaient asymptomatiques et 38 % ont été inclus après leur premier épisode documenté de FA. Le score de CHA2DS2-VASc moyen était de 3,4 et 9 patients sur 10 recevaient un anticoagulant. Concernant le contrôle du rythme, celui-ci était effectué essentiellement par des antiarythmiques en début d'étude (les 3 médicaments les plus prescrits étant la flécaïne, l'amiodarone et la dronédarone). L'ablation de la FA a été pratiquée chez 8 % des patients en début d'étude et chez 19 % des patients à 2 ans. Dans le bras contrôle, la stratégie de contrôle de la fréquence a été maintenue à 2 ans chez 85 % des patients et l'ablation de la FA a été pratiquée pour 7 % des patients. Par rapport aux études qui portaient sur des FA installées depuis plus longtemps, le taux de maintien du rythme sinusal est resté élevé dans les 2 bras de l'étude : plus de 80 % dans le bras intervention précoce et 60 % dans le bras contrôle.

Des résultats positifs, mais à nuancer

L'étude a été interrompue à la troisième analyse intermédiaire à la suite de l'atteinte du critère primaire après un suivi médian de 5,1 ans. Celui-ci était documenté chez 249 patients ayant une stratégie précoce de contrôle du rythme versus 316 patients ayant une stratégie de contrôle de la fréquence (p = 0,005). Concernant les différentes composantes du critère primaire, celles-ci n'étaient individuellement pas réduites de manière significative (et ce, contrairement à ce qu'on pourrait penser après la lecture des intervalles de confiance dutableau 2 [in 1], car ceux-ci restent inférieurs à 1). De fait, les chiffres présentés ne correspondent pas à des analyses ajustées au schéma de l'étude et aucune valeur de significativité “p” n'est d'ailleurs précisée dans le tableau [in 1]. Pour analyser plus finement ces composantes, le lecteur doit se référer aux données supplémentaires (figure 1). Pour chaque critère pris individuellement la courbe diverge très peu. C'est l'inconvénient majeur de prendre un critère de jugement composite qui rassemble 4 sous-catégories : il est par la suite difficile d'analyser les résultats et d'identifier quel type de bénéfice est réellement apporté au patient.

Les effets indésirables étaient documentés pour 4,9 % des patients ayant une stratégie précoce de contrôle du rythme versus 1,4 % des patients ayant une stratégie de contrôle de la fréquence. Il n'y avait pas de différence entre les 2 groupes quant aux symptômes, à la qualité de vie ou encore à la fonction systolique VG.

Outre le manque de puissance dans l'analyse des composantes du critère primaire, 2 critiques peuvent être émises sur cette étude. Tout d'abord, la différence de prise en charge entre les 2 bras dépasse le simple contrôle rythmologique. Il s'agit en effet d'une étude comparant 2 stratégies médicales. Dans les différences entre ces 2 approches, on note que la documentation d'une FA dans le bras intervention précoce déclenchait un retour au centre investigateur et une consultation afin d'ajuster le traitement. Ce suivi supplémentaire n'était pas réalisé dans le bras contrôle. On ne peut donc pas exclure que les différences observées proviennent, non pas uniquement de la stratégie de contrôle du rythme, mais aussi du caractère rapproché du suivi médical.

Dans les analyses complémentaires, il est par ailleurs pointé que le taux d'abandon du protocole était supérieur dans le bras intervention précoce par rapport au bras contrôle. Après analyses complémentaires, cette différence provenait d'un taux d'abandon plus élevé dans les centres pratiquant l'ablation de FA, ce qui pourrait faire craindre un biais d'analyse. Ce taux d'abandon est élevé (à 6 ans, il est de 10 et 6 % environ dans les bras intervention et contrôle respectivement) et la différence entre les 2 groupes a une magnitude semblable à celle observée dans l'analyse du critère primaire (à 6 ans, celui-ci est atteint chez 20 et 25 % des patients respectivement dans les bras intervention et contrôle). Plusieurs hypothèses peuvent être émises concernant ce taux d'abandon élevé, mais on sort rarement d'un protocole quand tout se passe bien…

D'autres critiques plus mineures peuvent être relevées. La structure de l'étude avait plusieurs faiblesses : il s'agissait d'un essai ouvert pour les patients comme pour les investigateurs ; les patients inclus devaient être éligibles pour chacune des 2 stratégies ce qui a probablement exclu les patients les plus symptomatiques.

Au terme de cette discussion, quels sont les messages cliniques importants à retenir ?

EAST-AFNET 4 est une belle étude de morbimortalité portant sur une population présentant à la fois une FA récente et un haut risque cardiovasculaire. Elle cherche à répondre à une question médicale importante pour laquelle de grandes études (AFFIRM [4], CABANA [5]) étaient jusqu'ici restées négatives. Les résultats montrent qu'un contrôle médical renforcé associé à un contrôle du rythme chez ces patients très sélectionnés apporte potentiellement un bénéfice en termes de morbimortalité. Elle montre aussi que l'ancienneté de l'arythmie doit être prise en compte dans notre prise en charge. Cette étude souffre néanmoins de plusieurs faiblesses et nécessiterait d'être confirmée.

Cryoablation de la FA à l'AHA : diviser pour mieux régner ?

À l'AHA, ce n'est pas moins de 3 études positives qui ont été successivement présentées : CRYO-FIRST, EARLY-AF, et STOP AF. Les 2 dernières ont été publiées dans la foulée dans le NEJM [2, 3]. Ces 3 études présentent des similitudes importantes et il semblait intéressant de les comparer afin d'analyser de quelle manière elles peuvent impacter notre pratique clinique.

Il s'agit de 3 études randomisées ouvertes portant sur des effectifs relativement similaires (200 à 300 patients). Les patients inclus souffraient de FA paroxystique non traitée. Les 2 traitements comparés correspondaient à des stratégies de contrôle du rythme en première ligne, soit en utilisant des traitements antiarythmiques médicamenteux, soit en procédant à une ablation de FA par cryothérapie. Le critère primaire d'évaluation portait sur la récidive d'arythmie atriale de plus de 30 secondes au cours du suivi. Celui-ci était de 1 an dans chacune des 3 études.

Le profil clinique des patients inclus était lui aussi similaire : il s'agissait en majorité d'hommes (70 %) âgés de 50 à 60 ans, un tiers d'entre eux présentaient une obésité, la fraction d'éjection moyenne était normale (moyenne à 60 %) est le score de CHA2DS2-VASc médian était de 2. Concernant le traitement médical antiarythmique du bras contrôle, on notait une plus grande disparité selon les études. L'étude la plus solide de ce point de vue est l'étude EARLY-AF : un algorithme clair spécifiait les différentes étapes de mise en place et de contrôle de l'efficacité et de la tolérance des antiarythmiques. On note que l'incrément du traitement était conditionné par la survenue d'épisodes d'arythmie uniquement si ceux-ci impactaient la qualité de vie ce qui semble raisonnable d'un point de vue médical mais qui est plus discutable quand on considère qu'il influençait le critère primaire de jugement qui lui était purement électrophysiologique. Dans l'étude STOP AF, le traitement antiarythmique était équilibré pendant les 90 premiers jours puis maintenu par la suite pendant le reste du suivi. Nous n'avons pas encore ce type d'informations sur CRYO-FIRST qui n'est pas encore publiée.

La même disparité était notée concernant les méthodes d'évaluation du critère primaire : l'étude STOP AF utilisait des électrocardiogrammes à 1, 3, 6 et 12 mois associés à un monitorage électrocardiographique hebdomadaire systématique (et supplémentaire en cas de symptômes) et un Holter ECG des 24 heures aux mois 6 et 12 ; l'étude CRYO-FIRST utilisait un Holter ECG de 7 jours aux mois 1, 3, 6, 9, et 12 ; enfin, l'étude EARLY-AF utilisait un Holter implantable ce qui correspond à une surveillance électrocardiographique constante associée à une mise en mémoire des événements. La qualité du monitoring électrocardiographique était donc hétérogène. Sans surprise, la durée et la qualité du suivi électrocardiographique étaient corrélées à la survenue du critère primaire de jugement. Dans les études EARLY-AF, CRYO-FIRST et STOP AF, celui-ci était observé respectivement dans 70, 65 et 42 % dans le bras médical et dans 42, 25 et 18 % dans le bras ablation. Si l'on considère que la sensibilité de la méthode utilisée dans EARLY-AF est proche de 100 % et que les populations sont approximativement similaires, un rapide calcul permet de déterminer que les sensibilités des techniques utilisées dans CRYO-FIRST et STOP AF sont respectivement de 93 et 60 % dans le bras médical et de 60 et 43 % dans le bras ablation. Le caractère intermittent du monitoring semble donc défavoriser le bras médical quant à l'évaluation du critère primaire.

Il n'en reste pas moins que les résultats semblent clairs concernant le critère primaire de jugement : dans les 3 études, la stratégie ablative est supérieure au traitement médical pour maintenir le rythme sinusal (figure 2).

Concernant la sécurité des différentes prises en charge, l'analyse isolée de chaque étude ne retrouve pas de différence significative. Cette analyse est toutefois à tempérer. En effet, les taux de complications sévères sont (heureusement) faibles quelle que soit l'option thérapeutique retenue, et les études n'ont pas été dimensionnées pour comparer réellement la sécurité des 2 stratégies. Une méta-analyse des 3 études pourrait être proposée, mais les différences interétudes dans les méthodes d'évaluation du critère primaire et dans la stratégie antiarythmique rendent cette analyse difficile. L'analyse de sécurité réalisée rassemblait les effets indésirables des 2 stratégies, comparant alors des tamponnades et des paralysies du nerf phrénique d'un côté et des bradycardies sous antiarythmiques de l'autre…

Efficacité de l'ablation ? La réponse est oui, mais quelle est la question ?

Les 3 études concluent donc à une supériorité de la cryoablation de FA paroxystique par rapport au traitement antiarythmique dans le traitement de la FA en première ligne, et ce sans surcroît d'effets indésirables. En pratique, que nous apprennent de nouveau ces études ? Permettent-elles de faire évoluer nos pratiques ?

Ces études montrent certes que l'ablation de FA est supérieure au traitement antiarythmique dans la FA paroxystique en première ligne de traitement. Or, des études similaires avaient été menées dans la FA paroxystique (2008 pour l'étude A4 [6]) y compris en première intention avec l'étude MANTRA-PAF [7]. Nous savions aussi déjà que radio­fréquence et cryoablation faisaient jeu égal dans l'ablation de la FA paroxystique avec l'étude Fire and Ice [2]. De ce point de vue, les 3 études présentées correspondent donc à une confirmation d'éléments déjà préexistants.

Cependant, plusieurs questions importantes restent sans réponse au terme de ces essais cliniques. La première question est celle de l'intérêt clinique de contrôler la FA par ablation en première ligne de traitement. En effet le critère primaire d'évaluation des 3 études était purement rythmologique : elle n'apporte aucune démonstration du bénéfice clinique d'une stratégie ablative, que ce soit sur des critères “durs” de morbimortalité ou sur des critères de qualité de vie. Elles ne remettent donc pas en cause l'étude (négative) CABANA sortie en 2019. Concernant l'amélioration de la qualité de vie, l'effet placebo de la procédure est potentiellement tel qu'une étude indiscutable nécessiterait la réalisation d'une “fausse” procédure (SHAM) dans le bras contrôle.

La deuxième question restée sans réponse est celle de l'innocuité de la procédure par rapport à une stratégie médicale raisonnable. Une telle comparaison nécessiterait une stratégie médicale bien codifiée et des effectifs plus importants pour que l'analyse soit pertinente.

Une troisième question porte sur les populations sélectionnées qui correspondent en moyenne à une population relativement jeune (50-60 ans) présentant relativement peu de comorbidités. Rappelons que plus de la moitié des patients atteints de FA ont et auront plus de 80 ans. L'extrapolation des résultats de ces études à ces populations particulièrement fragiles peut sembler discutable.

Conclusion

Même si l'ablation de FA a été particulièrement mise à l'honneur lors des derniers grands congrès, il faut probablement garder une approche raisonnée des dernières études publiées. L'étude EAST-AFNET 4 permet de montrer que la durée d'installation de l'arythmie n'a pas uniquement un intérêt nosologique, mais aussi de vraies potentielles conséquences thérapeutiques. Elle mériterait toutefois d'être confirmée et appuyée. Les études CRYO-FIRST, EARLY-AF, et STOP AF confirment quant à elles l'efficacité de la procédure vis-à-vis d'un critère purement électrophysiologique, mais leur traduction en un bénéfice clinique net est loin d'être évident.

Si les recommandations devaient évoluer suivant la parution de ces 3 essais randomisés contrôlés concordants, on pourrait imaginer le texte suivant : “L'isolation des veines pulmonaires par cryo­thérapie est recommandée pour éviter la récidive de FA de plus de 30 s en première ligne de traitement.” Cette recommandation pourrait donc avoir un niveau de preuve A. Il faudra être un expert pour ­comprendre entre les lignes qu'il est question ici d'un critère intermédiaire (c'est-à-dire la récidive de FA de plus de 30 secondes) et que l'efficacité, l'innocuité et la pertinence clinique réelle de l'ablation de FA en première ligne de traitement reste à démontrer. Charge alors aux différents acteurs de santé de garder un bon sens clinique dans la prise en charge de cette arythmie…

FIGURES

Fibrillation atriale : après les études présentées à l’ESC et l’AHA, que retenir ? - Figure 2
Fibrillation atriale : après les études présentées à l’ESC et l’AHA, que retenir ? - Figure 1

Références

1. Kirchhof P et al.; EAST-AFNET 4 Trial Investigators. Early rhythm-control therapy in patients with atrial fibrillation. N Engl J Med 2020;383:1305-16.

2. Andrade JG et al.; CIRCA-DOSE Study Investigators. Cryoballoon or radiofrequency ablation for atrial fibrillation assessed by continuous monitoring: a randomized clinical trial. Circulation 2019;140:1779-88.

3. Wazni OM et al.; STOP AF First Trial Investigators. Cryoballoon ablation as initial therapy for atrial fibrillation. N Engl J Med 2021;384:316-24.

4. Wyse DG et al.; Atrial Fibrillation Follow-up Investigation of Rhythm Management (AFFIRM) Investigators. A comparison of rate control and rhythm control in patients with atrial fibrillation. N Engl J Med 2002;347:1825-33.

5. Packer DL et al.; CABANA Investigators. Effect of catheter ablation vs antiarrhythmic drug therapy on mortality, stroke, bleeding, and cardiac arrest among patients with atrial fibrillation: the CABANA randomized clinical trial. JAMA 2019;321:1261-74.

6. Jaïs P et al. Catheter ablation versus antiarrhythmic drugs for atrial fibrillation: the A4 study. Circulation 2008;118:2498-505.

7. Cosedis Nielsen J et al. Radiofrequency ablation as initial therapy in paroxysmal atrial fibrillation. N Engl J Med 2012;367:1587-95.


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