L’un des bénéfices de la ménopause est de permettre l’arrêt des méthodes contraceptives et d’avoir des rapports sexuels sans risque de grossesse. Les modifications biologiques (hypoestrogénie) et psychologiques qui commencent à la périménopause (45 à 50 ans) risquent d’engendrer une altération de la sexualité.
En étant simpliste, pour préserver une sexualité épanouie, il faut, si celle-ci était épanouie avant la ménopause, garder un équilibre hormonal satisfaisant, communiquer avec son partenaire avec connivence, husband replacement therapy (HRT)), avoir la chance d’un environnement professionnel, social et culturel favorable, prendre soin de sa santé émotionnelle, et prévenir le syndrome génito-urinaire de la ménopause (SGUM).
Cette situation idéale est rarement rencontrée car le médecin est plus souvent sollicité pour la prise en charge des dysfonctionnements sexuels induits par la ménopause.
Pour cette analyse, il faut intégrer la diversité des signes de la ménopause et de la sexualité humaine. L’évolution de la sexualité après la ménopause dépend fortement de ce qu’elle était avant. Nous n’envisagerons pas dans cet article les méthodes artificielles d’amplification des sensations comme le chemsex.
La sexualité féminine peut être affectée par de nombreux facteurs facilitants ou inhibants, comme l’insuffisance estrogénique, la psychologie de la femme, le vécu d’éventuels traumatismes, la vie sociale, une tendance dépressive, la relation de couple. Nous focaliserons ce travail sur les conséquences de la ménopause, le SGUM et sur l’hypodésir sexuel acquis (HDSA). L’évaluation et la prise en charge des difficultés seront au mieux guidées par l’approche médicopsychologique en évaluant le passé, le présent, le social et le couple (MPSC) (figure) [1].
Analyse des symptômes de la ménopause
L’analyse des symptômes (ménopause et troubles sexuels) et des circonstances d’apparition doit être précisée. On prêtera notamment attention, ici, au mode d’installation du trouble, comme évocateur du facteur étiologique possible. Le médecin devra toujours faire préciser si le symptôme est primaire (il a toujours existé) ou s’il est secondaire : apparition du symptôme et dans ce cas, rechercher le facteur déclenchant. L’analyse du symptôme impose de déterminer s’il est permanent ou occasionnel (position sexuelle, changement de partenaire, etc.).
L’étude clinique doit être précédée d’une anamnèse :
- Antécédents familiaux et personnels médicaux : une maladie chronique est-elle constatée ? Les difficultés sexuelles peuvent être observées en raison d’une pathologie médicale : cancer gynécologique, pathologie bénigne (douleurs ou gêne liées à une tumeur pelvienne, par exemple, des kystes ovariens, une tumeur ovarienne ou utérine pour lesquels un diagnostic précis est nécessaire). D’autres symptômes interfèrent avec la sexualité : saignements dus à des fibromes, à des polypes, à de l’adénomyose, dyspareunie d’intromission liée à un lichen scléro-atrophique ou à une atrophie post-ménopausique, gêne à la sexualité liée à un prolapsus génital, à une incontinence urinaire d’effort.
- Traitements médicaux en cours et leurs éventuels effets iatrogènes : la patiente a-t-elle été victime de violences sexuelles dans le passé ou récemment ? Quelle est sa régulation émotionnelle actuelle ? Il est évident que les troubles de l’humeur altèrent la libido.
- Rechercher la présence de douleurs pelviennes et préciser les éléments du syndrome climatérique est essentiel.
- L’examen gynécologique doit être réalisé à la recherche de vaginisme, de signes infectieux (vulvite, mycose), d’un lichen scléreux (surtout en cas de troubles sexuels récents), d’une atrophie vulvovaginale. Une sécheresse vulvovaginale peut être représentative d’une difficulté de lubrification. L’aspect du col doit être vérifié, le dépistage HPV effectué s’il date de plus de 5 ans. Le toucher vaginal précise la perméabilité de l’introït, la sensibilité vulvaire, vaginale, l’absence de pathologie utéro-annexielle (utérus-trompes et ovaires).
- Les liens entre symptômes de la ménopause et dysfonctions sexuelles peuvent être précisés car le syndrome climatérique interfère avec la sexualité (tableau I).
Trois rappels importants
Connaissance épidémiologique de l’évolution de la sexualité après la ménopause
La ménopause est responsable d’une hypoestrogénie impliquant un retentissement sur beaucoup d’organes (cerveau, cœur et vaisseaux, os, appareil génital, etc.).
En plus de la chute de l’estradiol, la ménopause est également caractérisée par une chute progressive de la DHEA (passant de 2 500 ng/dL à 20 ans à moins de 1 000 ng/dL à 50 ans). La testostérone baisse également. La SHBG, protéine porteuse des stéroïdes, augmente, ce qui entraîne une diminution de la fraction libre des stéroïdes. Le vieillissement est un facteur confondant important. Vieillissement et ménopause expliquent l’évolution de la sexualité après 50 ans dans les études épidémiologiques.
Selon W. Masters et V. Johnson, la ménopause peut expliquer :
- pour la phase d’excitation, un temps de réponse à la stimulation allongé, la lubrification vaginale n’est pas immédiate, elle est plus faible, la souplesse vaginale diminue ;
- pour la phase de plateau et de tension sexuelle, les frottements sur une paroi vaginale moins trophique et moins humide peuvent entraîner de la gêne, et parfois des douleurs ;
- l’orgasme peut être marqué par une réponse musculaire moins intense avec moins de contractions ;
- lors de la phase de résolution, la détumescence est plus rapide.
À l’aide d’un questionnaire analysant l’activité sexuelle chez 27 347 femmes de 50 à 79 ans, M.L. Gass [3] note un maintien de l’activité sexuelle de 60,7 % chez les 50 à 59 ans, de 44,9 % chez les 60 à 69 ans et de 28,2 % chez les 70 à 79 ans. 63,2 % de celles ayant une activité sexuelle sont satisfaites ; 57 % des non satisfaites souhaiteraient une activité sexuelle plus fréquente.
Dans l’étude française (enquête CSA-Boiron-GEMVI) de 2013 [2], 40 % des 1 003 femmes de 45 à 65 ans interrogées signalaient une diminution du désir sexuel, 26 % attribuaient cette diminution à la ménopause.
J.L. Schiffren [4] a noté, dans une population de femmes américaines, l’importance des dysfonctions sexuelles associées à une souffrance (tableau II).
Les troubles du désir ne s’améliorent pas avec l’âge mais l’expression d’une souffrance liée au symptôme diminue avec l’âge, de nombreuses femmes considérant comme normal que la fréquence des rapports sexuels et le plaisir lié à la sexualité s’altèrent avec l’âge de façon “naturelle”.
Le syndrome génito-urinaire de la ménopause
Nous ne détaillerons pas ici ce syndrome qui fait l’objet d’un article à part dans ce dossier (cf. Faut-il instaurer une prévention du syndrome génito-urinaire de la ménopause chez toutes les femmes ?, p. 26). Soulignons cependant l’importance de la prévalence du SGUM, qui varie de 40 à 60 % selon les études [5], et que l’atrophie vaginale est corrélée à l’inactivité sexuelle (p < 0,001) [3]. Il ne faut pas hésiter à proposer un traitement préventif aux femmes qui ont une sexualité épanouie, mais également prendre en charge les femmes qui ont des signes cliniques d’atrophie. Les traitements peuvent se faire par étapes : utilisation d’hydratants, de lubrifiants, traitement hormonal local, traitement hormonal substitutif de la ménopause, biophotomodulation, laser.
Le syndrome d’hypodésir sexuel acquis
Le désir est multifactoriel et semble lié à la durée de la vie maritale, à une chirurgie récente (castration), à des difficultés psychosociales, au tabac et aux limites du partenaire. Sa prévalence varie de 7 à 16 % (16 % pour la castration chirurgicale avant l’âge de 50 ans [6]).
Après le traitement hormonal de la ménopause, les androgènes et la DHEA peuvent être prescrits aux femmes qui présentent un syndrome de déficit en androgènes responsable de cette diminution du désir. En France, la prescription de la testostérone chez la femme n’a pas d’autorisation de mise sur le marché (AMM). L’utilisation d’un dixième de la dose de testostérone prescrite chez l’homme impose un contrôle des dosages 4 à 6 semaines après la prescription et une limite de durée de traitement à 3 mois.
Recherche d’une dysfonction sexuelle à la ménopause
Une description précise de la fonctionnalité sexuelle sera utile au dépistage d’éventuelles dysfonctions sexuelles telles que décrites dans le DSM-5-TR 2023 (diagnostic and statistical manual of mental disorders) :
- l’intérêt pour la sexualité (désir sexuel) et ses liens avec l’excitation sexuelle seront explorés (prise d’initiative, qualité de l’excitation objective (lubrification) et subjective (plaisir sexuel), perception des sensations) ;
- les troubles de l’orgasme seront investigués : compétence orgasmique acquise ou pas, et si cet apprentissage a été réalisé, persistance ou disparition de celui-ci :
- les troubles sexuels avec douleur doivent distinguer les douleurs vulvovaginales présentes dans la relation sexuelle ou celles présentes lors des tentatives de pénétration. La dyspareunie d’intromission secondaire apparue après la ménopause doit faire rechercher une cause acquise : SGUM, pathologie vulvaire (infection, lichen scléreux).
Ces symptômes sexuels prennent toute leur importance s’ils sont associés à la souffrance exprimée par la patiente, en particulier s’il s’agit du motif de consultation. L’effet domino doit être recherché avec des troubles du désir qui entraînent des troubles du plaisir et de l’orgasme, voire l’inverse. De même, les troubles liés à la douleur conduisent de façon légitime à une disparition du désir. On comprend alors en quoi il est indispensable d’évaluer les processus premiers à la source de la perte de la libido.
La prise en charge pour optimiser la sexualité
À côté des problèmes physiques, le médecin doit, pour la prise en charge des dysfonctions sexuelles, faire une analyse MPSC (figure) [1] :
- M pour médical : ce domaine est essentiel avant la prise en charge sexologique. L’amélioration de la sexualité en cas de pathologies chroniques fait souvent appel à des décisions multidisciplinaires. Les traitements hormonaux (traitement local ou général) doivent faire l’objet d’une balance bénéfice/risque. L’apport de testostérone peut se discuter dans le syndrome d’hypodésir sexuel acquis. D’autres traitements font l’objet de discussions car ils n’ont pas l’AMM en France (flibansérine, bromomélanotide (non commercialisé en France pour l’instant, mais aux États-Unis), crème au sildénafil) ;
- P pour la personne et sa psychologie : il s’agit ici de faire l’étude des problèmes sexuels passés (éducation, religion, expérience, traumatisme). Il faut aborder avec tact la possibilité que la femme ait été victime d’abus sexuels ou de violences conjugales. Sur le temps présent, on notera que la tendance dépressive avec mésestime de soi peut s’accentuer en péri- et en postménopause. La perte de l’estime de soi est une vraie cause de dysfonction sexuelle ;
- S pour le social : il faut évaluer les difficultés relationnelles au travail, dans la famille (parents-enfants) et avec les amis. La ménopause coïncide souvent au départ des enfants de la maison (syndrome du nid vide) et à l’état de dépendance des parents. La société et les médias valorisent la sexualité des seniors, ce qui remet en question la situation des femmes ayant une sexualité appauvrie ;
- C pour le couple : la place du partenaire est essentielle et l’entretien peut révéler l’existence d’habitudes délétères pour la vie de couple, voire une conjugopathie. Il faut savoir également évoquer des difficultés sexuelles chez le partenaire (troubles de l’érection) qui peuvent modifier le comportement et entraîner des attitudes d’évitement du rapprochement sexuel que la femme peut interpréter comme un désamour.
Cette approche MPSC permet particulièrement au médecin d’envisager les collaborations nécessaires à l’amélioration de la vie sexuelle de la patiente. La prise en charge des troubles sexuels de la ménopause ne doit pas être uniquement médicale. Un accompagnement psychologique ou sexologique est nécessaire. Le traitement sexologique pourra faire appel à différentes techniques : conseil conjugal, psychothérapie, psychanalyse, thérapie de couple, thérapie cognitivocomportementale.
Conclusion
Toutes les femmes sont différentes et la sexualité n’est pas une performance. La décision de la prise en charge de la ménopause impose de comprendre les besoins de la femme, du couple et de ne pas oublier de l’interroger sur sa santé sexuelle. De plus, il convient de garder à l’esprit que l’épanouissement sexuel n’est pas que d’essence biologique. Il s’appuie sur la perception de sensations internes, déclenchées par différents facteurs : imaginaire érotique, fantasmes, attraction sexuelle, physiques (stimulations génitales), et comporte une part cognitive majeure.
Dans ce contexte, la représentation de la ménopause et du vieillissement comme obstacle à une sexualité épanouie paraît quelque peu réductrice du fonctionnement sexuel féminin. C’est là l’un des effets pervers de la médicalisation de la sexualité, initiée et soutenue par l’usage des médicaments à visée sexuelle. À l’inverse, le poids d’une société marquée par le désir d’accéder à un fonctionnement naturel, symptôme parmi d’autres d’une forme d’éco-anxiété, ne doit pas en raison d’effets indésirables priver certaines personnes d’un traitement utile.■


