Pour celles et ceux qui croient que la politique, notamment américaine, n’a pas sa place dans nos pages, penchez-vous cette fois sur les menaces qui pèsent sur la santé publique aux États-Unis et par ricochet sur la santé mondiale, ce après les annonces particulièrement inquiétantes du nouveau président des États-Unis et la nomination du nouveau ministre de la Santé, Robert F. Kennedy Jr. Pour ce qui est de la santé mondiale, rappelons les faits. Lors de sa dernière investiture, Donald Trump a signé par décret le retrait des États-Unis de l’OMS sous le prétexte que “l’Organisation mondiale de la santé nous a escroqués”, justifiant aussi ce retrait par l’écart entre les contributions financières américaines et chinoises, rejoignant ses critiques passées de l’OMS pour sa gestion de la pandémie de Covid-19. Dans ce texte, il exhorte les agences fédérales à “suspendre le transfert futur de tout fonds, soutien ou ressource du gouvernement des États-Unis à l’OMS” et les enjoint à “identifier des partenaires américains et internationaux crédibles” capables d’“assumer les activités précédemment entreprises par l’OMS” [1]. Pour Michel Kazatchkine, expert en santé mondiale [2], c’est un choc, attendu certes. Au-delà de la perte de l’expertise américaine, ce retrait va se traduire financièrement, car les États-Unis contribuent pour plus de 15 % au budget de l’OMS. “Et puis, précise-t-il, ils versent aussi ce que l’on appelle des contributions volontaires (…) de l’ordre de 1 milliard de dollars par an. Ces programmes d’urgence (…) sont en réponse aux urgences épidémiques en Afrique, comme le virus mpox, le Marburg, mais aussi la réponse sanitaire d’urgence en Ukraine financée en grande partie par les États-Unis”. S’ils venaient à s’arrêter, cela freinerait l’aide au développement avec des impacts négatifs évidents sur les vies des plus vulnérables.
Prenons la menace qui pèse sur la lutte contre le sida, sujet suffisamment important pour que l’IDWeek et UNAIDS y consacrent plaidoyers et communications alarmantes. À commencer par la suspension possible du budget du PEPFAR (plan d’urgence pour la lutte contre le sida) par Donald Trump, avant son retournement, comme il l’a fait pour les droits de douane à l’égard du Canada. Rappelons, comme le fait le site du département des États-Unis, que le financement du PEPFAR, créé par le président des États-Unis George W. Bush en 2003, était en 2023 de plus de 110 milliards de dollars. L’OMS, dans un communiqué de presse du 29 janvier dernier, s’est déclarée très préoccupée par les conséquences de la suspension momentanée du financement des programmes de lutte contre le VIH dans les pays à revenu faible ou intermédiaire [3]. “Au cours des deux dernières décennies, ce financement a permis de sauver plus de 26 millions de vies. À l’heure actuelle, le PEPFAR fournit un traitement contre le VIH à plus de 20 millions de personnes dans le monde, dont 566 000 enfants de moins de 15 ans”, souligne l’OMS. Par exemple, en Afrique du Sud, cela représente 2,56 milliards par an, soit 20 % du budget sida du pays qui lui sont attribués par le PEPFAR. Sur PubMed, dès janvier, des éditoriaux ont tiré le signal d’alarme [4-6]. À l’IDWeek 2024, l’équipe de Gandhi et al. [7] a modélisé l’impact clinique et économique de la suppression potentielle, partielle ou totale, du programme d’aide d’urgence du président des États-Unis dans la lutte contre le sida en Afrique du Sud. L’analyse de cette modélisation [8] est assez explicite : en Afrique du Sud dans 10 ans, avec un PEPFAR à −50 %, c’est +1,48 million de nouvelles infections par le VIH, avec un PEPFAR à 0 %, le chiffre passe à +1,76 million et si l’on regarde les décès avec la même comptabilité de déprogrammation du PEPFAR, à −50 % on est à +1,90 million de décès rien que pour l’Afrique du Sud, et à +2,19 millions avec un PEPFAR à 0 %. D’autres exemples n’ont pas attendu, puisque l’État du Mississippi a refusé en 2023 une aide fédérale de 6,2 millions de dollars, ciblée sur la prévention du VIH chez les HSH, les femmes transgenres et les Afro-Américaines hétérosexuelles, pour la remplacer par une aide de l’État ciblée sur les secours aux femmes enceintes et à celles qui souhaitent sortir de la prostitution, qui a eu un impact non négligeable sur la prévention avec −4 % d’utilisation du préservatif, −26 % d’utilisation de la PrEP et −47 % de dépistage du VIH dans les populations sus-citées, là où, effectivement, on notait une augmentation de dépistages chez les secouristes (+47 %) et chez les femmes enceintes (+100 %), chiffres qui influent directement sur la cascade de soins dans cet État des États-Unis.
Nous avons déjà consacré en décembre 2016 un Aparté à l’avènement de Trump I [9], mais certaines des craintes formulées à l’époque se sont révélées non fondées. Comme le résumait Jean Pasteur, chargé du plaidoyer à l’association Aides : “On a eu beaucoup d’inquiétudes au départ, mais heureusement le Congrès américain a limité les dégâts” [10]. Cependant, la situation en 2025 n’est plus la même au Congrès et dans le monde. Et les ambitions de Trump II ont été décuplées par la montée des populismes et la défiance de la science qui s’est renforcée dans le sillage de la crise du Covid-19. Autre élément d’inquiétude majeur, l’avènement du ministre de la Santé Robert F. Kennedy Jr. : diplômé de Harvard, avocat pour des ONG environnementales, RFK Jr. a longtemps fait trembler les grands groupes de l’industrie chimique ou agroalimentaire, mais il est plus connu pour ses prises de position délirantes et complotistes couvrant des sujets variés, le Covid, le VIH, les vaccinations ou les personnes transgenres. Le CCDH (Center for Countering Digital Hate), l’un des sites les plus engagés dans la lutte contre le complotisme et les fake news, avait analysé pendant la crise du Covid la désinformation sur les différents réseaux sociaux et démontré qu’une douzaine de personnes étaient responsables de 65 % du contenu antivaccin. Robert F. Kennedy Jr. y figurait à la deuxième place ! Il fut, pendant la crise du Covid, la figure de proue internationale antivaccin, anticonfinement et négationniste des origines du Covid et c’est aussi le fondateur de Children’s Health Defense, une plateforme dont la mission est de remettre en question la sécurité des vaccins, notamment du Covid : cette plateforme héberge plusieurs articles de désinformation qui affirment en particulier que les vaccins à ARN messager peuvent modifier de manière permanente l’ADN des personnes vaccinées et que les enfants non vaccinés sont en meilleure santé que les vaccinés. Le 7 avril 2000, RFK Jr. a accusé Bill Gates, une de ses cibles favorites, d’avoir financé un vaccin en Inde qui aurait “paralysé 490 000 enfants”, affirmation qui ne repose sur aucune étude ni aucune donnée scientifique. Au-delà du Covid, RFK Jr. a allégué que “le vaccin contre la grippe est 2,2 fois plus mortel que le Covid- 19”. Mais il a étendu son sujet de conspiration bien au-delà du Covid, affirmant par exemple (Rolling Stone, 27 juin 2023) que “c’était la recherche vaccinale qui était responsable à la fois du VIH et de la grippe espagnole”. Il est aussi l’un des rares négationnistes du sida ayant encore une audience aussi importante aux États-Unis. RFK Jr. fait référence à “l’orthodoxie” selon laquelle le VIH est à lui seul la cause du sida, tout en répétant, thème classique des négationnistes, que “personne n’a été en mesure de citer une étude qui démontre leurs hypothèses en utilisant des preuves scientifiques”. Malgré une audition à la serpe devant le Congrès américain, RFK Jr. a obtenu la recommandation d’une commission du Sénat, dont les 14 membres républicains ont voté pour, et les 13 démocrates contre.
Enfin, pour tous ceux engagés, comme nous le sommes à la Société française de lutte contre le sida (SFLS), dans des programmes de santé sexuelle du plan national de la DGS, voici la position de Donald Trump sur la question de la transidentité, dans son discours lors de sa seconde investiture : “À partir d’aujourd’hui, la politique officielle du gouvernement des États-Unis sera qu’il n’y a que deux sexes, masculin et féminin (...). Ces sexes ne sont pas modifiables et sont ancrés dans une réalité fondamentale et incontestable.” Ce que complète un décret publié par la Maison-Blanche et qui devra être appliqué par toutes les agences fédérales : “Les fonds fédéraux ne doivent pas être utilisés pour promouvoir (…) l’idéologie de genre”, affirme le décret, qui veut “restaurer la vérité biologique”. Terminons par les menaces qui pèsent sur le Center for Disease Control and Prevention (CDC) : l’agence a décidé de se conformer aux décrets émis par le président Donald Trump, interdisant tout travail lié à des sujets tels que l’identité de genre, la diversité, l’équité et l’inclusion. Les pages web du CDC portent ainsi un bandeau d’avertissement : “CDC’s website is being modified to comply with President Trump’s executive orders”. Des pans entiers de données ont été mis hors ligne, notamment celles liées à la surveillance du VIH, du Covid long ou des pratiques de vaccination.
G. Pialoux déclare ne pas avoir de liens d’intérêts en relation avec cet éditorial.

