Éditorial

Des avancées pharmacologiques majeures au congrès 2023 de la SFPT 


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Le congrès de la Société française de pharmacologie et de thérapeutique (SFPT) qui s’est tenu du 12 au 14 juin à Limoges a été le théâtre de présentations scientifiques de haut niveau dans divers domaines de la pharmacologie. Ces avancées pharmacologiques sont le reflet d’une discipline en constante évolution, qui vise à optimiser la prise en charge thérapeutique et à garantir la sécurité des patients recevant des médicaments.

Ce congrès, comme les présentations reprises dans ce numéro de La Lettre du Pharmacologue, a montré l’évolution de la pharmacologie biologique vers la médecine personnalisée, à travers le développement d’outils, de modèles, d’algorithmes de compensation des variabilités pharmacocinétique et pharmacodynamique, voire de biomarqueurs d’effets.

Ces interventions peuvent être :

  • préemptives, telles que des nomogrammes de choix de la 1re dose sur la base des caractéristiques des patients avant toute instauration du traitement ainsi que les analyses de pharmaco­génétique ;
  • adaptatives, telles que des stratégies d’ajustement de posologie en fonction de l’exposition estimée, de biomarqueurs pharmacodynamiques ou d’effets cliniques plus distants de la cible ;
  • prédictives, lorsque des facteurs de risque clairs sont identifiés.

Les exemples présentés dans les articles de ce numéro (p. 116 et sq.) alimentent l’activité hospitalière de suivi thérapeutique pharmaco­logique, de pharmaco­génétique et de personnalisation des traitements. Le niveau de preuve clinique de ces interventions diagnostiques ou thérapeutiques est généralement faible, faute de moyens, mais le retour d’expérience des prescripteurs, ainsi que les comparaisons avant/après ou avec/sans, ont de longue date permis d’évaluer la pertinence de ces recommandations, et à la discipline de pharmacologie biologique de progresser. Les essais comparatifs randomisés pour les outils diagnostiques ou les algorithmes de calcul (traditionnels ou d’intelligence artificielle) sont souhaitables, mais il peuvent aussi être contre-productifs et freiner les progrès de la biologie médicale.

De la même façon, la pharmacosurveillance ne nécessite pas de validation clinique de haut niveau de preuve. C’est même souvent la pharmacovigilance qui apporte les informations permettant de repositionner les indications, d’interdire ou de reprendre la mise à disposition de certains médicaments (y compris les vaccins, comme ici), en fonction de leur rapport efficacité/sécurité dans la population rejointe. En clair, de réévaluer les médicaments dans leur environnement réel, la “vraie vie”. Elle détecte, elle investigue et, parfois même, elle explique l’origine des effets indésirables des médicaments.

L’addictovigilance s’intéresse aux consommations et aux effets indésirables des produits addictogènes et, plus largement, stupéfiants. Ici aussi, les essais comparatifs randomisés sont peu fréquents, mais les études avant/après et les retours d’expérience (entre autres sur les réseaux sociaux de consommateurs) peuvent être très instructifs. L’étude rapportée ici concerne la 3-MMC, un produit très apprécié et souvent utilisé dans un contexte de chemsex, stimulant, euphorisant et entactogène, moins cher que la cocaïne… et à l’origine de plusieurs dizaines de décès, en France et en Europe. Le paradoxe ici est que l’interdiction de fabrication de la 3-MMC aux Pays-Bas a laissé les consommateurs désemparés et a ouvert la porte à la contrefaçon ; il en a résulté de nombreux autres produits vendus comme de la 3-MMC, qui ont donné lieu à de graves complications sanitaires. Cette étude a montré l’intérêt de la toxicologie biologique pour identifier les produits réellement consommés et prévenir les consommateurs ainsi que les professionnels de santé. Néanmoins, la principale source d’information, l’enquête longitudinale DRAMES, montre que sur les années 2011-2021, c’est la pharmacopée légale qui a fourni les produits addicto­gènes responsables du plus grand nombre de décès, la méthadone en tête, suivie du tramadol. L’addicto­vigilance joue son rôle de santé publique en encourageant la prescription et l’usage de l’antidote, la naloxone. La naloxone dans les intoxications graves aux opiacés, c’est comme le parachute : pas besoin d’essai comparatif randomisé.

Loin de nous l’idée de réfuter l’intérêt incontournable de la médecine fondée sur les preuves. D’ailleurs, le congrès de la SFPT à Limoges a également été l’occasion de présenter des essais cliniques réalisés par des pharmacologues, essais qui ont permis d’améliorer le niveau de preuve de pratiques thérapeutiques, souvent empiriques, dans des pathologies variées. La médecine personnalisée est faite aussi de ces améliorations incrémentales de l’utilisation de médicaments existants. Un intérêt indirect, mais majeur, de ces essais cliniques est d’emporter l’adhésion des professionnels de santé et d’accélérer l’adoption de ces pratiques améliorées.

Nous avons été ravis d’accueillir les pharmacologues dans leur diversité d’origine et d’exercice à Limoges pour ce 26e congrès de la SFPT. La qualité des travaux présentés illustre la vitalité et la pertinence de la pharmac­ologie. En revanche, nous sommes un peu tristes de la sous-représentation de la recherche fondamentale. Peu d’équipes ont présenté leurs travaux sur la recherche de cibles thérapeutiques, de nouveaux agents pharmaco­logiques, de nouveaux modèles précliniques ne nécessitant pas de recourir à des animaux, ou sur l’application de nouveaux outils de biologie moléculaire ou cellulaire à la recherche sur le médicament. Ces équipes existent pourtant, et un livre blanc de la recherche pharmaco­logique en France, suscité par l’ITMO Technologies pour la Santé et publié fin 2022, en a évalué le nombre à 170 environ. Nous serions très heureux de leur retour à la SFPT et d’avoir l’occasion de découvrir leurs travaux lors du prochain congrès.


Liens d'intérêt

P. Marquet et J.B. Woillard déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts en relation avec cet article.