La France est un pays envié au niveau européen pour son Réseau français d’addictovigilance [1]. Mis en place en 1990, impulsé par les pharmacologues, ce réseau travaille en lien direct avec l’ensemble des professionnels de santé – secteurs médicosociaux, hospitaliers, ambulatoires, etc. –, avec les patients et les usagers, et en circuit court avec les instances, qu’elles soient nationales (ANSM, Mission interministérielle de lutte contre les conduites addictives (MILDECA), etc.) ou régionales (agences régionales de santé (ARS), notamment) en tant que structure de référence. Composé des 13 centres d’évaluation et d’information sur la pharmacodépendance-addictovigilance (CEIP-A), ces équipes sont là avant tout pour apporter leur expertise de pharmacologues et, bien entendu, pour détecter, caractériser, informer et alerter sur les substances psychoactives (médicamenteuses ou non) et sur les complications associées chez l’humain.
L’un des exemples les plus illustratifs est l’alerte concernant le protoxyde d’azote non médical du 5 novembre 2019, diffusée dans les 13 régions, y compris dans les territoires ultramarins [2]. Cet événement est intervenu l’année même où les vigilances pharmacologiques ont failli être supprimées – le calendrier de la vie offrant quelquefois de saisissants paradoxes… La mobilisation des pharmacologues du Réseau français d’addictovigilance s’est poursuivie devant l’ampleur du phénomène et également pour alerter sur le trouble de l’usage (addiction) lié au protoxyde d’azote – qui est bien réel, bien qu’initialement récusé par certains… –, ce qui complexifie la prise en charge de ces complications neurologiques, puisque le meilleur traitement reste l’arrêt de la prise de cette substance. En juillet 2025, les risques thromboemboliques liés au protoxyde d’azote (embolie pulmonaire, phlébite des membres inférieurs, thrombose du sinus cérébral, etc.) ont fait l’objet d’une nouvelle alerte cosignée avec la Société française de médecine vasculaire (SFMV). L’ensemble du travail accompli sur le protoxyde d’azote a également conduit le Pr Caroline Victorri-Vigneau, chargée de son expertise nationale pour l’ANSM, à être auditionnée concernant les différents projets de loi sur ce produit au Sénat.
Depuis le début de cette année 2025, il a été aussi question d’audition au Sénat au sujet des opioïdes, dont le rapport d’information flash souligne que “la France peut compter sur des réseaux d’addictovigilance et de pharmacovigilance performants” [3]. Il n’en demeure pas moins que, comme le souligne le Dr Thomas Soeiro dans l’un des articles de ce dossier, la situation française sur les opioïdes n’a actuellement pas la même ampleur qu’aux États-Unis ou au Canada. Pour autant, le panorama de l’addiction aux opioïdes a évolué et appelle à des actions plurielles, mêlant une vision combinée individuelle et populationnelle et des actions de sensibilisation majeures, tant sur le versant des professionnels que sur celui des usagers et/ou des patients (démarche de littératie en santé), comme dans le programme de prévention des surdoses aux opioïdes (POP) piloté en Provence-Alpes-Côte d’Azur depuis 2020, et désormais étendu à l’échelon national, sous la houlette du Dr Élisabeth Frauger et de l’ANSM. Il convient aussi de combler certains champs encore insuffisamment décrits et qui constituent des angles morts en France, comme la persistance ou non des traitements antalgiques après chirurgie ou encore la persistance ou non du traitement opioïde après un cancer guéri. C’est justement l’objectif du consortium PEGASE (programme d’investigation sur les antalgiques et surveillance), soutenu par EPI-PHARE en 2024, et coordonné par le Dr Maryse Lapeyre-Mestre.
Enfin, n’oublions pas les nouvelles substances psychoactives (NSP), ces drogues de synthèse qui miment des produits déjà existants (généralement des médicaments), avec une puissance pharmacologique souvent beaucoup plus importante. L’article du Dr Amélie Daveluy dresse un panorama très utile sur ces substances qui se renouvellent sans cesse pour passer à travers des mailles du filet réglementaire, et dont les “fabricants commerciaux” utilisent toutes les techniques innovantes de marketing pour toucher chacune des cibles possibles de consommateurs. Elle insiste, à juste titre, sur le travail collaboratif avec nos collègues toxicologues, car le dépistage de ces substances nécessite à la fois des techniques sophistiquées et une expertise toxicologique pointue.
Ainsi, le virage pris depuis ces dernières années nous oblige à une mobilisation à laquelle nous prenons part, en tant que pharmacologues, dans notre activité quotidienne, via les CEIP-A, les centres régionaux de pharmacovigilance (CRPV) ou encore les laboratoires de pharmacologie et de toxicologie, en interagissant avec d’autres professionnels de santé et les usagers. Les trois articles de ce dossier constituent une parfaite illustration de cette collaboration.
De toute évidence, cette mobilisation devrait être collective, au-delà des pharmacologues, ceci afin d’éviter un décalage – immense – entre la connaissance des risques et la mise en œuvre d’actions et de décisions.

