Éditorial

Enfin un concept utile pour la compréhension des maladies respiratoires : l'exposome


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Malgré des progrès substantiels dans la prise en charge et la prévention, la morbidité et la mortalité dues aux pathologies respiratoires ne cessent d'augmenter dans le monde. Cette augmentation est principalement liée à la charge croissante des maladies respiratoires chroniques, dont la broncho­pneumopathie chronique obstructive (BPCO), et elle s'est produite malgré l'identification du tabagisme comme l'un des principaux facteurs de risque de ces maladies, il y a plus de 50 ans.

Après beaucoup de recherches sur le génome, on sait que seules 5 à 10 % des maladies que nous développons sont d'origine génétique. Tout le reste est dû à l'environnement auquel nous sommes exposés. En fait, plusieurs facteurs environnementaux contribuent à ce qui doit maintenant être considéré comme une urgence de santé publique : l'incapacité à limiter la vente et la consommation des produits du tabac, l'exposition incontrôlée, professionnelle ou non, aux polluants environnementaux, le vieillissement de la population mondiale (en partie en raison des progrès accomplis par la médecine dans la lutte contre certaines maladies), parmi d'autres facteurs, jouent tous un rôle dans le développement des maladies respiratoires. Avoir considéré un seul facteur environnemental à la fois, avoir oublié des facteurs importants, ne pas avoir considéré les interactions entre les facteurs, a empêché de comprendre le développement excessif de ces maladies.

Qu'est-ce que l'exposome ?

Les chercheurs, au premier rang desquels Christopher Wild, ancien directeur du Centre international de recherche sur le cancer de Lyon, ont donc créé la notion d'“exposome”, focalisée sur l'exposition des organismes vivants à l'ensemble des facteurs de risque environnementaux, au sens large du terme, tout au long de leur vie, et cela, dès la pré­conception.

L'exposome peut être divisé en 3 grands domaines : le domaine “extérieur, spécifique”, le domaine “extérieur, non spécifique” et le domaine “intérieur” [1].

Le domaine extérieur spécifique comprend l'exposition individuelle à des facteurs environnementaux extérieurs bien déterminés, tels que des agents chimiques et biologiques, des facteurs professionnels et des facteurs liés au mode de vie, comme le régime alimentaire, l'utilisation de médicaments, de drogues illicites et de produits de consommation, dont des produits transformés, auxquels l'individu est personnellement exposé. Le domaine extérieur non spécifique comprend des facteurs environnementaux plus généraux,
tels que le climat, les espaces verts (jardins, bois, etc.) et gris (constructions résidentielles, commerciales, industrielles...), la bio­diversité et les facteurs socioéconomiques, auxquels l'individu est exposé en tant que membre d'un groupe social, d'une communauté. Ces 2 domaines sont évidemment étroitement liés entre eux et peuvent se chevaucher dans une large mesure (figure, voir sur le PDF). Le domaine de l'exposome intérieur, en revanche, est spécifique à chaque individu et comprend les processus biochimiques qui se déroulent dans l'organisme (métaboliques, inflammatoires, présence de xénobiotiques, microbiote intestinal, vieillissement, etc.), en réponse à une exposition extérieure, en fonction de l'âge, du sexe, de l'état de santé, de la morphologie et des facteurs génétiques, qui peuvent être évalués, par exemple, par la mesure des métabolites, des protéines, des médiateurs, et par l'application des outils actuellement disponibles pour l'étude des branches dites “omiques” (génomique, transcriptomique, protéomique, métabolomique, etc.).

Les 3 domaines de l'exposome sont reliés entre eux par des mécanismes d'interaction complexes, puisque l'exposition externe semble pouvoir influencer l'exposition interne à la fois directement et par l'induction d'altérations épigénétiques. Avec les composantes génétique et épigénétique, l'exposome, entendu comme l'ensemble des expositions environnementales
et de leurs inter­actions, contribue au développement de toutes les maladies chroniques, notamment respiratoires. Il est donc clair qu'une compréhension approfondie de l'exposome pourrait conduire non seulement à de nouvelles découvertes physio­patho­logiques, mais aussi et surtout à la définition de nouvelles stratégies de prise en charge et de prévention.

Qu'apporte à ce jour la notion de l'exposome à la compréhension des maladies respiratoires ?

L'idée, avec cette notion d'exposome, est donc de mieux évaluer les impacts de notre environnement sur nos corps et sur les maladies respiratoires qui peuvent en découler. Pour cela, nous captons la présence de substances chimiques (particules, gaz, pesticides, phtalates, substances per- et poly­fluoro­alkylées, ou PFAS, etc.) et de bio­contaminants (moisissures, pollens, acariens, virus, bactéries, etc.) dans l'air et nous quantifions les expositions individuelles à plusieurs âges de la vie. Pour ces mêmes périodes, nous tenons compte du tabagisme, du type d'alimentation, de la profession, des variables climatiques, des espaces verts et gris, de l'environnement urbain, de la mobilité, de la prise de médicaments, etc.

Alors que le rôle du tabagisme, des expositions aux polluants atmosphériques et des expositions professionnelles est bien établi dans les maladies respiratoires, celui d'autres facteurs de risque et de leurs inter­actions est en cours d'investigation [1]. Le climat joue certainement un rôle-clé dans l'influence des maladies respiratoires, car il peut agir sur ces patho­logies à la fois directement et indirectement, à savoir par le biais d'une action sur leurs facteurs de risque. La présence de vagues de froid a été corrélée à la BPCO et à l'asthme. La température et l'humidité sont un facteur-clé dans la détermination de la distribution de la flore et de sa diversification, elles ont donc une influence très importante sur la distribution géographique des allergènes polliniques et sur leur concentration atmosphérique en lien
avec l'asthme. Les inondations et l'humidité sont liées à la prolifération des moisissures. Plus généralement, le changement climatique est à l'origine d'une production accrue d'aéro­allergènes et de polluants atmosphériques. Enfin, les espaces verts peuvent avoir un impact à la fois positif et négatif sur la santé respiratoire, selon le type de végétation, la présence de mono­cultures et les émissions de composants organiques volatiles par les végétaux.

Ensuite, nous enquêtons sur ce qui se passe dans le corps : c'est “l'exposome interne” [2]. On cherche dans le sang, les urines ou d'autres échantillons biologiques les effets de l'exposition à l'environnement, par exemple des métabolites par le biais de la “méta­bolomique”, ou des protéines par le biais de la “protéomique”. Enfin, on essaie de voir quels liens peuvent être tracés entre ces changements internes et l'asthme, la BPCO, ou encore la fibrose pulmonaire idiopathique.

Plusieurs études, en France même, terminent des bases de données environnementales massives en vue de mener une approche exposomique des maladies respiratoires. Par exemple, le projet de recherche européen HEALS, que je dirige, a pour objectif de comprendre le développement de l'asthme et il a inclus une population de jumeaux qui permettra de mieux analyser le rôle de l'exposome, notamment parmi les jumeaux mono­zygotes. Mentionnons aussi, toujours sur l'asthme, les projets européens HELIX et ATHLETES (Dr Rémy Slama, Grenoble ; Pr M. Vrijheid, Barcelone) et, à un niveau national, sur la fibrose pulmonaire idiopathique, le projet EXPOSOM-FPI (Dr Lucille Sesé et Pr Hilario Nunes, Bobigny), auquel je contribue aussi. Dans ces études, le défi le plus important est de mesurer au niveau individuel les différentes expositions au cours de la vie entière [3]. Pour certaines expositions (pollution, bruit, UV, etc.), on dispose désormais de micro­capteurs portatifs qui permettent d'enregistrer les mesures des expositions individuelles en tenant compte simultanément du temps et de la localisation [4]. C'est notamment le cas de la pollution atmosphérique de type particulaire ou des composants organiques volatiles [5]. Le but final est de promouvoir la prévention contre les principaux facteurs de risque.

Le concept d'“exposome social” est très important

Nos connaissances ne seraient pas complètes si l'on n'incluait pas dans nos recherches le concept d'“exposome social”. Il tire son origine de l'observation selon laquelle les personnes des catégories socioéconomiques défavorisées présentent plus de risques de développer une maladie respiratoire que le reste de la population, et que leur taux de mortalité est plus élevé. Le différentiel d'espérance de vie peut atteindre 9 ou 10 ans entre les extrêmes socioéconomiques. Une partie de l'explication se trouve dans les comportements individuels. Par exemple, les catégories sociales les plus défavorisées fument davantage. Elles sont aussi plus exposées aux risques professionnels, en raison de leur travail, et à la pollution atmosphérique, du fait de la localisation de leur habitation dans des zones polluées. Mais ce ne sont pas les seules explications : l'hypothèse selon laquelle cet excès de risque serait lié au stress psycho­social, causé par des salaires trop faibles, par la précarité de l'emploi et les conditions de vie, a été avancée. D'autres études sont nécessaires pour comprendre pourquoi le statut socioéconomique et les conditions de vie difficiles augmentent le risque de maladie et de mortalité respiratoires.

En attendant, force est de constater que l'exposome social doit être pris en compte dans l'investigation exposomique des maladies respiratoires!

Références

1. Cecchi L, D’Amato G, ­Annesi-­Maesano I. External exposome and allergic respiratory and skin diseases. J Allergy Clin Immunol 2018;141(3):846-57.

2. Steckling N et al. ­Biomarkers of exposure in ­environment-wide association studies ­– Opportunities to decode the exposome using human biomonitoring data. Environ Res 2018;164:597‑624.

3. Li N et al. Lifelong exposure to multiple stressors through different environmental pathways for European ­populations. Environ Res 2019;179(Pt A):108744.

4. Loh M et al. How sensors might help define the external exposome. Int J Environ Res Public Health 2017;14(4):434.

5. Dessimond B et al. Academically produced air pollution sensors for personal exposure assessment: the Canarin Project. Sensors 2021;21(5):1876.


Liens d'intérêt

I. Annesi-Maesano déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.