Les mots de la médecine

Physiologie


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La physiologie est la science qui s’intéresse au fonctionnement du vivant (humains, animaux ou végétaux). Le mot physiologie signifie littéralement “science naturelle”, ou “logique de la nature”. Il vient en effet du grec phusis, qui veut dire la nature, et qui a également donné le mot physique. En remontant encore plus loin dans le temps, on trouve une racine indo-européenne qui signifie faire naître, faire pousser. Cette racine a donné de nombreux mots contenant la syllabe phy, comme hypophyse, phytothérapie ou phylogénie. De façon plus surprenante, cette racine a également donné les mots probabilité, futur, ou building.

La quête de l’origine

D’où viennent les mots ? Les mots ont tous un arbre généalogique, et, comme les arbres, ils ont des racines qu’il faut aller chercher dans l’Antiquité. Les racines grecques et latines vont donner la grande majorité des mots que nous employons en médecine. L’alphabet grec descend des alphabets cananéen et phénicien, eux-mêmes inspirés des pictogrammes égyptiens. Des modifications ont donc été nécessaires pour passer du grec au français, souvent après une étape par le latin. Par exemple, dans le mot physiologie, le ph représente la lettre grecque appelée phi (φ, Φ), qui n’a pas d’équivalent graphique en français, et le y est l’avatar de la lettre grecque upsilon (υ, Υ). Ces problèmes ne se posent pas pour le passage du latin au français, qui est une langue romane et partage donc le même alphabet.

Lorsqu’on veut remonter encore plus loin dans le temps, l’hypothèse la plus couramment admise repose sur l’existence d’une langue appelée l’indo-européen, langue préhistorique (datant d’avant l’invention de l’écriture), qui aurait été commune à de très nombreux peuples eura-­siens avant de donner naissance à différentes langues écrites : helléniques, romanes, germaniques (allemand, anglais), indo-iraniennes (sanskrit, persan), celtiques, balto-slaves, arménienne, albanaise.

Les linguistes ont ainsi proposé un certain nombre de racines indo-européennes, non attestées par des textes mais reconstituées grâce à la comparaison des différentes langues et de leur évolution au cours des âges. Cette quête de l’origine est à la base de l’étymologie, qui veut dire vérité du mot, sens authentique du mot.

Physiologie : la logique de la nature

Le mot physiologie est formé du grec phusis (φύσις), la nature, et du grec logos (λόγος) qui signifie discours, raison­­nement logique. La physiologie est la science naturelle par excellence. Comme son nom l’indique, elle étudie la logique de la nature, “La logique du vivant”, pour reprendre le titre d’un livre de François Jacob, prix Nobel de physiologie ou médecine en 1965. Il est intéressant de noter que le mot physiologie en chinois superpose trois caractères : vie, logique et étude.

La spécificité du vivant tient aux notions de régulation, d’homéostasie, d’adaptation et de reproduction. Claude Bernard, le père de la physiologie moderne, avait entrevu la logique implacable et mystérieuse de cette infinité d’enchaînements qui président au fonctionnement et à la perpétuation de l’organisme : “une consigne, que la nature répète après l’avoir réglée d’avance”.

La nature : naître et faire naître

L’enquête étymologique permet de remonter encore plus loin. La racine indo-européenne du grec logos est leg, qui veut dire rassembler, choisir, cueillir. Elle a donné de très nombreux mots, comme cardiologie, cardiologue, lire ou horloge. Cette étymologie nous ouvre à un monde de significations sortant du cadre de cet article. La racine indo-européenne bhu, qui a donné la racine grecque phu puis notre phy, ­renvoie aux notions de faire naître, de faire pousser, l’image même de la vie.

Le grec phusis veut donc dire la nature et vient d’une racine très ancienne en rapport avec la naissance. Mais qu’en est-il en latin ? Nature se dit natura, qui dérive lui-même de natus, né, participe passé du verbe naître. Le mot nature se rapporte aux caractères innés, au cours normal des choses. À ce titre, la physiologie s’oppose à la pathologie. La racine indo-européenne du mot nature est gen/gne, qui signifie engendrer (faire naître) ou naître, et qui a donné un très grand nombre de mots comme nation, gens, génération ou gène. Ainsi, par deux voies étymo­logiques différentes, la notion de naître/faire naître est à la source des mots qui signifient nature en grec (phusis) et en latin (natura).

Physique et métaphysique

Le grec phusis a donné l’adjectif physique (de phusikós, φυσικός, qui signifie relatif à la nature) et le nom physique, qui s’emploie au féminin ou au masculin. La physique désigne la nature au sens large, le modèle du monde qui nous entoure et de ses lois, comprenant la matière inerte autour de nous puis l’univers tout entier. Le physique sert à désigner le vivant et essentiellement l’humain, dans son aspect, ses caractéristiques objectives, sa force, bref sa dimension physique par opposition à sa dimension psychique. L’étudiant en médecine est formé au recueil des carac­téristiques physiques et à l’examen physique du patient.

En anglais, formé à partir de cette même racine phys, le mot physician désigne le médecin, alors que physicist désigne le scientifique qui étudie la matière et ses lois (notre ­physicien).

Si le lycéen reçoit des cours de physique et de sciences naturelles, il ne faut pas oublier la métaphysique, délivrée dans les cours de philosophie. Aristote a nommé ainsi la partie de ses ouvrages rédigée après (meta en grec) son exposé sur la Physique. En grec, meta veut également dire au-delà, et la métaphysique regroupe donc nos questionnements fondamentaux, au-delà des données de l’expérimentation.

Mots se terminant par physe

On retrouve le grec phusis dans les mots du langage médical se terminant par physe et commençant par l’un des très nombreux préfixes grecs (tableau, voir sur le PDF). Ainsi, la glande qui se trouve sous (hypo en grec) l’encéphale est appelée hypophyse. Le grec sun voulant dire avec et ayant donné en français le préfixe syn-/sym-, la symphyse est le lien naturel entre deux os, une articulation peu mobile ou fixe. D’autres mots se sont construits au fil du temps sur les préfixes apo- (qui sort, qui fait saillie), épi- (au-dessus), méta- (au-delà, après) ou dia- (à travers).

Phytothérapie et phylogénie

En grec, le mot plante, phytos, est formé sur cette même racine phy, la vision des plantes ayant donné aux anciens une image très intuitive de tout ce qui naît et pousse, de tout ce qui se construit de façon naturelle. On retrouve cette racine dans les mots phytobiologie, phytothérapie, et néophyte (littéralement, nouvellement planté).

On retrouve encore cette racine dans le grec phûlon (φϋλον), qui signifie tribu, race, et qui a donné les mots phylum ou phylogénie (noter l’orthographe des mots, qui comporte un seul l). Une racine différente a donné le grec phullon (φύλλον) qui veut dire feuille et qui a donné des mots comme chlorophylle, phylloxera ou phyllotaxie ­(noter les deux l).

Probabilités

Placé devant la racine indo-européenne bhu, le préfixe pro (dont l’un des sens est pour, avec connotation ­positive), a donné des mots comme probe (littéralement, qui pousse bien droit, honnête), probable, probabilité, approbation, réprobation. Dans d’autres mots, le b se transforme en v, comme dans preuve, prouver, épreuve, éprouver, approuver. Placés devant cette même racine, le préfixe super- a donné le mot superbe (littéralement : qui croît au-dessus des autres), et la racine ac- (être ­piquant, comme dans acide, acier, acmé, acné) a donné le mot acerbe.

Futur

Issue du grec phu, la racine latine fu construit certains temps du verbe être en français : le futur (futurus : destiné à être) et la conjugaison du verbe au passé simple (je fus, du latin fui) et au subjonctif imparfait (que je fusse). La racine bhu se retrouve dans de nombreuses autres langues indo-européennes. En sanskrit par exemple, la racine bhü correspond à l’être changeant et limité dans le temps, l’être en devenir, en accord avec les notions vues plus haut de naissance et de croissance. En persan, le mot bûden exprime le verbe être.

Building

En anglais, le verbe to build (construire) et le mot building dérivent de la racine indo-européenne bhu, comme d’autres mots, dont neighbor et husband. Comme indiqué plus haut, la racine bhu a donné après transformations certaines formes du verbe être (to be, being, been).

Bauhaus

Le mouvement artistique allemand Bauhaus, né au début du XXe siècle, est un mouvement architectural à son origine. Son nom vient de cette même racine bhu (idée de construction) à laquelle est accolé le mot maison (Haus en allemand). Dans le Manifeste du Bauhaus, Walter Gropius, le fondateur du mouvement, annonce ainsi la vocation de son école : “Le but de toute activité plastique est la construction.”

Conclusion

L’étymologie est une enquête policière, avec ses fausses pistes et ses illuminations, et elle se révèle souvent d’une richesse et d’une profondeur insoupçonnées. Dans le cas présent, comment imaginer que des mots en apparence aussi dissemblables que physiologie, probabilité ou futur partagent la même origine ? Le mot physiologie vient du grec phusis (la nature), qu’on retrouve dans de nombreux mots de la médecine comportant la syllabe phy. Si on remonte encore plus loin dans le temps, on trouve une racine indo-européenne qui signifie faire naître, faire pousser, à l’origine d’une grande famille de mots (tableau, voir sur le PDF). L’observation de la nature est à la base des connaissances humaines, ouvrant à la compréhension des lois qui régissent le vivant.

Références

À lire…

Avenas P. Etymologix : A propos de physique. Le Jaune et le Rouge. 2017;721:44.

Picoche J. Dictionnaire étymologique du ­Français. ­Paris : Dictionnaires Le ­Robert ed. 2002, 619p.

Rey A. Dictionnaire historique de la langue française. Dictionnaire Le Robert ed. 2006, 2910p.

Vincent JD. Qu’est-ce que la physiologie ? In : Physiologie animale et humaine. Rapport de l’Académie des Sciences. Techniques et documentation ed. 2000:5-8.


Liens d'intérêt

D. Chemla déclare ne pas avoir de liens d’intérêts en relation avec cet article.