Le terme d’oligométastases a été introduit dans la littérature médicale en 1995 pour décrire et expliquer une situation clinique rare où le nombre des métastases était limité, et, sous réserve d’un “contrôle” de la tumeur primitive et en l’absence d’autre traitement potentiellement curateur, le traitement radical des métastases semblait permettre d’obtenir un petit nombre de survivants à long terme sans récidive tumorale [1-3]. Paradoxalement, les progrès spectaculaires des traitements anticancéreux systémiques au cours des 20 dernières années ont entraîné un regain d’intérêt pour ce sujet, avec, par exemple, un nombre de publications comportant le mot “oligométastases” multiplié par 10 entre 2010 et 2020 [4]. Toutefois, les bénéfices réels et donc les indications du traitement local des oligométastases restent flous et discutés, notamment en raison de l’extrême hétérogénéité de cette littérature : variabilité des définitions de la maladie, hétérogénéité des populations étudiées, des techniques d’ablation et, surtout, des méthodes (séries ou essais randomisés) et de leurs critères principaux d’évaluation (contrôle local après traitement, survie sans progression (SSP), survie globale (SG), ou qualité de vie (QdV)) [5, 6].
En théorie, seuls les essais contrôlés randomisés permettent d’établir de façon fiable l’efficacité d’un traitement donné, et devraient donc constituer la base principale des décisions thérapeutiques. En fait, les essais randomisés publiés comparant traitement systémique seul ou associé à l’ablation d’oligométastases sont presque exclusivement des essais de phase II, dont le critère principal d’évaluation est la SSP. Presque tous ont démontré une supériorité significative, parfois impressionnante, du bras interventionnel. Cependant, à ce jour, aucun essai de phase III dans une population homogène ayant la SG comme critère principal n’a pu montrer une supériorité significative (ou même une non-infériorité) du bras interventionnel. De plus, la SSP reste le critère d’évaluation principal dans la quasi-totalité des essais randomisés en cours sur l’ablation des oligométastases. Dans les cancers bronchiques non à petites cellules (CBNPC), sur 37 essais recensés dans la base clinicaltrials.gov en août 2022, seuls 17 étaient des essais randomisés, parmi lesquels 13 avaient encore la SSP comme critère principal d’évaluation [7]. Pourtant, il peut être démontré que la supériorité du bras interventionnel en SSP dans ce type d’essais est en partie inhérente à leur schéma.
La SSP est le temps qui s’écoule entre la date d’inclusion et le décès ou la progression tumorale (augmentation de la taille des lésions mesurables selon RECIST ou détection de nouvelles lésions tumorales) [8]. La SSP est généralement exprimée en semaines ou en mois pour chaque patient, et rapportée sur des courbes de Kaplan-Meier. Pour simplifier la modélisation, la SSP peut être exprimée en nombre de temps de doublement du volume tumoral (TDVT), car le nombre de TDVT nécessaire pour diagnostiquer la progression de la maladie est indépendant de la valeur du TDVT [4]. Dans le bras témoin, la SSP dépend exclusivement de la progression des lésions mesurables (≥ 1 cm) qui n’ont pas été traitées, car, pour de telles lésions, même petites (10-12 mm), la progression selon RECIST se produit après un seul TDVT (figure). Dans le bras interventionnel, en revanche, si toutes les lésions visibles ont été traitées et si le traitement obtient un contrôle local satisfaisant, la SSP dépend exclusivement de l’apparition de métastases indétectables devenant détectables. La SSP peut alors varier de 1 à 29 TDVT, en fonction de la présence et de la taille des lésions indétectables au moment de la randomisation, et du seuil de détection de ces lésions (figure). En d’autres termes, si la randomisation obtient une répartition équilibrée des valeurs de TDVT entre les 2 bras et si toutes les lésions détectables sont détruites, il apparaît impossible de ne pas trouver une supériorité de la SSP, significative ou non, dans le bras interventionnel de tels essais.
De rares essais randomisés pourraient paraître contredire ce phénomène. Un essai récent dans le CBNPC métastatique (NRG-LU002) s’est révélé négatif en phase II, avec une supériorité non significative de la SSP dans le bras interventionnel (HR = 0,93 ; IC95 : 0,65-1,31), empêchant la poursuite de l’essai en phase III [9]. Toutefois, de tels résultats illustrent probablement l’inclusion d’une population pseudo-oligométastatique. En effet, même avec un critère de ≤ 3 métastases extracrâniennes traitables par radiothérapie ou chirurgie, ce nombre était évalué après une 1re ligne de 4 cycles de traitement systémique sans progression. Un tel critère d’inclusion semblait donc autoriser l’inclusion de patients polymétastatiques avant le traitement systémique et, dans ce cas, la réapparition de métastases rendues invisibles par le traitement systémique d’induction serait alors la source principale, dans les 2 bras de l’essai, des diagnostics de progression. On peut proposer un guide de lecture critique des essais de ce type (y compris NRG-LU002 lorsque les résultats complets seront disponibles), notamment pour juger du caractère réellement oligométastatique de la population étudiée (tableau).
L’allongement de la SG obtenu par les progrès spectaculaires des traitements systémiques, associé à la trompeuse impression d’efficacité fournie par les résultats de SSP dans les études de phase II randomisées et à la relative facilité d’accès aux traitements “ablatifs” des métastases (chirurgie, radiothérapie stéréotaxique, radiofréquence, etc.), induit un risque évident de surtraitement : traitement “cosmétique” des métastases visibles, au moyen de techniques coûteuses et non dénuées de risque, alors que les bases solides (essais de phase III) confirmant leur efficacité en termes de SG et/ou de QdV sont quasi inexistantes. L’ablation de métastases en petit nombre peut faire partie de l’arsenal thérapeutique de certains patients atteints d’un cancer métastatique, mais les critères oncologiques de sélection des patients pour ce type de traitement sont encore loin d’être clarifiés, et les décisions thérapeutiques dans ce domaine doivent rester extrêmement prudentes…


