Editorial

Pour une prise en charge globale du psychotraumatisme


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L'actualité a mis brutalement en avant la question de l'impact des psychotraumatismes au moment des attentats terroristes de Paris en 2015 et de Nice en 2016. La prise de conscience collective des blessures invisibles liées à la confrontation à un événement traumatique a alors marqué un tournant dans la vision politique et sociétale des psychotraumatismes à l'échelle nationale mais aussi à l'échelle internationale. Par la suite, la question de l'impact des psychotraumatismes sur la santé mentale est devenue centrale dans notre société et est demeurée présente au quotidien depuis l'émergence du mouvement #MeToo, la lutte contre les violences conjugales et, plus généralement la lutte contre les violences faites aux femmes. Le pouvoir politique s'en est d'ailleurs saisi lors du Grenelle des violences conjugales, le 3 septembre 2019, qui a franchi un pas dans la voie de l'amélioration de l'accompagnement des victimes de violences conjugales, bien que beaucoup reste encore à faire. Dans ce contexte, des modifications de la structuration de la prise en charge du psychotraumatisme ont vu le jour en France en 2019. Le Centre national de ressources et de résilience (Cn2r Lille-Paris) a pour objectif de coordonner la recherche, l'enseignement et les différentes structures de soins, mais il a aussi un rôle d'information auprès du grand public. Des acteurs de soins y sont présents, mais également des spécialistes des sciences humaines afin de proposer une vision holistique des psycho­traumatismes. Sur le plan clinique, désormais, 17 centres régionaux ont pour objectif de proposer un maillage territorial de qualité pour le soin des personnes ayant subi un ou des psychotraumatismes. L'objectif est de proposer des soins aux adultes et aux enfants souffrant d'un psychotraumatisme sur l'ensemble du territoire, dans des équipes pluridisciplinaires, et de former des équipes dédiées à l'échelle régionale.

Les événements psychotraumatiques ont un retentissement très particulier dans nos sociétés, car ils marquent notre mémoire à l'échelle individuelle et collective. À l'échelle individuelle, ils peuvent être à l'origine de cauchemars post-traumatiques, de souvenirs traumatiques envahissants appelés reviviscences post-traumatiques, de conduites d'évitement, d'une hypervigilance, et engendrer une image de soi et des émotions négatives. Sur le plan collectif, ces événements marquent la mémoire commune et ont une influence sur notre société. Les commémorations régulières d'événements traumatiques qui ont marqué l'histoire sont représentatives du besoin de nos sociétés de garder le souvenir de ces événements passés. La reconnaissance de ces phénomènes traumatiques semble d'ailleurs nécessaire pour que notre société puisse atteindre une résilience collective, notamment dans l'espoir de limiter la reproduction des “erreurs du passé”. Le sujet va ainsi bien au-delà de la question de la symptomatologie psychiatrique, car les personnes ayant vécu des psycho­traumatismes ont besoin de réparation, tant sur le plan social que sur le plan juridique. C'est pourquoi certains patients, bien qu'ayant bénéficié d'une amélioration significative de leur symptomatologie psychotraumatique, rapportent toujours une altération considérable de leur qualité de vie.

Les défis sont immenses, car, au-delà des traumatismes survenant de manière isolée au cours d'une vie – comme un accident de voiture –, les tableaux de psychotraumatismes complexes sont extrêmement fréquents et ont un retentissement majeur sur les systèmes de soins psychiatriques et non psychiatriques. Les demandes de soins sont ainsi très importantes, les passages aux urgences sont fréquents, tant pour des motifs psychiatriques comme des idées suicidaires que pour des motifs non psychiatriques. Il est en effet aujourd'hui reconnu que de nombreuses pathologies, en particulier cardiovasculaires, sont plus fréquentes chez les patients souffrant d'un trouble de stress post-traumatique. Ces tableaux de psychotraumatismes complexes surviennent dans des situations très (trop) fréquentes de traumatismes répétés, en particulier dans les cas de ceux survenus précocement au cours de la vie. Certains utilisent le terme de psychotraumatisme développemental. Les premières descriptions faites sur des personnes revenant de l'holocauste ont montré que les modifications du rapport aux autres, à soi-même et à son organisation interne sont majeures et profondes au point que les troubles du fonctionnement sont très importants. Les personnes rencontrent ainsi des difficultés considérables dans leurs relations sociales, mais aussi sur le plan personnel puisqu'elles présentent fréquemment des troubles invalidants de la régulation des émotions. Ce trouble a été récemment reconnu dans la Classification internationale des maladies de l'OMS ­(CIM‑11) sous l'appellation “trouble de stress post-traumatique complexe”. Par ailleurs, les tableaux de troubles de stress post-traumatique sont rarement isolés, en particulier dans ces cas de psychotraumatismes complexes, et il est nécessaire de traiter les comorbidités dépressives, anxieuses, addictives, les troubles du comportement alimentaire et les conduites suicidaires. En pratique, les centres médicopsychologiques ont des files actives très importantes de personnes présentant des troubles associés aux psychotraumatismes, mais il est encore difficile aujourd'hui de proposer des outils adaptés pour aider les patients, par manque de moyens mais aussi en raison du manque de formation, d'intégration des différents acteurs du soin, du médico-social et du fait de l'insuffisance d'outils thérapeutiques innovants. La nécessité de développer une prise en charge intégrée et la coordination entre les différents acteurs du soin et de l'accompagnement socio-judiciaire est donc un sujet d'actualité. Certaines approches récentes, principalement en provenance des États-Unis et des Pays-Bas, proposent des prises en charge intensives avec des résultats prometteurs, notamment dans les cas de psychotraumatismes complexes ou résistants.

À ce jour, les outils thérapeutiques principaux sont les psychothérapies axées sur les psychotraumatismes comme la thérapie cognitivo-comportementale centrée sur le psychotraumatisme, la thérapie d'exposition, l'eye movement desensitization and reprocessing (EMDR) ou la thérapie des processus cognitifs. Ces thérapies sont efficaces bien qu'elles soient très difficiles à vivre pour les patients sur le plan émotionnel car elles les exposent à tout ou une partie du ou des épisodes traumatiques. Les patients abandonnent ainsi fréquemment le traitement avant la fin de la psychothérapie, ce qui est à l'origine d'échecs thérapeutiques.

Devant ces tableaux complexes ou résistants, et devant la demande médicale et sociétale importante, il semble donc nécessaire de développer des outils innovants grâce aux avancées dans les champs des neurosciences, mais aussi grâce à des approches innovantes corporelles ou groupales. Il est probable que l'amélioration des soins réside dans l'intégration de ces différentes approches ou dans le caractère intensif des prises en charge. D'autres stratégies thérapeutiques seront également à développer dans les années à venir afin d'obtenir des avancées majeures pour limiter les conséquences des psycho­traumatismes sur nos sociétés : la prévention (limiter l'apparition des traumatismes via des politiques publiques de prévention, dépister les signes précoces permettant de freiner l'évolution des personnes ayant vécu un psychotraumatisme vers un trouble de stress post-traumatique) ainsi que le recours aux dispositifs de l'intelligence artificielle permettant de faire de la prédiction diagnostique et thérapeutique à l'échelle individuelle et de proposer des prises en charge personnalisées dans le champ du psychotraumatisme. L'objectif de ce dossier est d'informer sur les outils donnant des armes thérapeutiques nouvelles pour répondre aux difficultés qui se trouvent face à nous, et de proposer des réponses adaptées et personnalisées aux patients et à la société.


Liens d'intérêt

A. Leroy déclare ne pas avoir de liens d’intérêts en relation avec cet éditorial.