Éditorial

L'hospitalisation en psychiatrie


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Les soins psychiatriques dispensés en hospitalisation constituent l'emblème le plus caractéristique de notre discipline. Les craintes et débats autour des pratiques psychiatriques y font systématiquement référence, l'opinion publique distinguant parfois encore mal les soins asilaires de ceux prodigués par la psychiatrie actuelle. Dans de nombreux pays, en écho à ces craintes, un mouvement de désinstitutionnalisation s'est diffusé, qui a conduit à des politiques de fermeture des “asiles” [1]. En France, la dernière grande réforme de l'organisation de la psychiatrie est incarnée par la sectorisation telle que nous la connaissons actuellement. La psychiatrie de secteur s'est ainsi imposée dans les années 1960 par la promulgation de la circulaire du 15 mars 1960 “relative au programme d'organisation et d'équipement des départements en matière de lutte contre les maladies mentales”. Elle a constitué l'alternative au dispositif asilaire élaboré depuis le milieu du XIXe siècle. L'hôpital demeure, dans le système encore à l'œuvre aujourd'hui, l'organe central de prise en charge des maladies mentales, en particulier pour les patients le plus sévèrement touchés. Malgré les aspirations des professionnels et les ambitions de plusieurs gouvernements successifs, l'hôpital apparaît être également celui dont la réforme est la plus complexe à mettre en œuvre. Les dispositifs innovants, y compris les plus récents, émergent la plupart du temps en périphérie du système hospitalier sans réellement pouvoir proposer une alternative au modèle actuel d'hospitalisation de secteur [2]. L'ambition de soins “dans la communauté”, qui s'appuie sur le souci de déployer la thérapeutique psychiatrique dans le milieu de vie des malades, requiert un niveau de coordination entre médecine de ville, hospitalière et services sociaux qui apparaît extrêmement difficile à organiser. Par ailleurs, il semble faire courir le risque d'un renfort du modèle de “l'institution totale” confiant aux psychiatres des missions dépassant très largement leur formation et responsabilité de médecin [3]. Le discours du ministre des Solidarités et de la Santé lors des Assises de la psychiatrie, intervenues dans le contexte contraint par la crise sanitaire, a mis en lumière l'impératif de soutien aux propositions innovantes dont la somme pourrait conduire à une réforme du système hospitalier en psychiatrie [4].

Ce dossier a été conçu avec l'ambition de proposer des pistes de délimitation d'un espace nouveau dans lequel le soin hospitalier pourrait intervenir. Nous verrons à travers les articles retenus pour cette édition comment l'histoire récente a façonné les pratiques hospitalières de la psychiatrie française. Nous tenterons de nous inspirer de l'exemple de voisins européens qui ont fait face à l'impératif de réforme avec des propositions radicalement différentes de celles soutenues en France dans les années 1960. Nous verrons comment le soin communautaire, autre ambition centrale du soin de secteur, peut être confié à des outils satellites, tels que les plateformes téléphoniques, et renforcer l'efficacité des dispositifs hospitaliers existants. Nous verrons enfin quelles propositions pourraient permettre de mieux répondre aux besoins des patients et de leurs familles, en tenant compte du dispositif existant qui repose sur le secteur.

En marge des propositions qui ont trait aux pratiques de soins, il est possible d'évoquer ici un autre défi central qui se présente à la profession : celui de la formation. Celui-ci, relevé lors du discours des Assises de la psychiatrie de 2021, est d'autant plus prégnant que la crise de la vocation nous expose à l'aggravation des difficultés d'accès à la compétence psychiatrique.

Nous formulons l'hypothèse selon laquelle la conduite de ce changement vers un désenclavement de l'hôpital psychiatrique pourrait requérir des compétences actuellement absentes de la formation des médecins et des infirmiers, comme la gestion de projet ou la connaissance du numérique. Certaines universités américaines voient dans l'intégration de cette double compétence le jalon indispensable à la mise en place de projets organisationnels vecteurs de changement et une mesure fiable de l'impact sanitaire d'un système complexe, complétant ainsi la connaissance mise à disposition par la recherche dans des conditions expérimentales affranchies de l'impact institutionnel d'un traitement [5]. Adapter à des fins de mesure de l'efficacité des soins des outils tels que ceux mis en place par l'Agence technique de l'information sur l'hospitalisation [6] pour un impératif de facturation pourrait, in fine, nous aider à mieux cerner l'impact sanitaire de l'exercice hospitalier.

Références

1. Busfield J. Managing madness: changing ideas and practice. Londres (Royaume-Uni) :
Hutchinson, 1986.

2. Eyraud B, Velpry L. De la critique de l’asile à la gestion de l’offre en santé mentale : une désinstitutionnalisation à la française de la psychiatrie ? Revue française d’administration publique 2014;1(149):207-22.

3. Goffman E. Asiles. Études sur la condition sociale des malades mentaux. Éditions de minuit, 1968.

4. https://solidarites-sante.gouv.fr/actualites/presse/discours/article/discours-d-olivier-veran-assises-de-la-sante-mentale-et-de-la-psychiatrie

5. Torous J et al. Clinical informatics in psychiatric training: preparing today’s trainees for the already present future. Acad Psychiatry 2018;42(5):694-7.

6. https://www.atih.sante.fr/sites/default/files/public/content/3964/2021.4bis.bos__0.pdf


Liens d'intérêt

S. Berrouiguet déclare ne pas avoir de liens d’intérêts en ­relation avec cet article.