Cet article, d’après l’étude de A.M. Tardo et al., fait le point sur la prévalence et les tests diagnostiques de l’hypocorticisme sans modification du ionogramme (dit “maladie d’Addison atypique”) chez le chien [1].
Contexte
La littérature vétérinaire rapporte des cas où, malgré un hypocorticisme (encadré, voir ci-dessous), la kaliémie et la natrémie des chiens sont normales au diagnostic, avec un tableau clinique dominé par des troubles gastro-intestinaux et une bonne réponse au traitement glucocorticoïde [2]. Souvent appelée “maladie d’Addison (ou hypocorticisme) atypique”, la physiopathologie est méconnue. De plus, il semble que de nombreux cas résulteraient de l’administration préalable de traitements glucocorticoïdes, dont l’usage est fréquent dans la population canine présentant des troubles gastro-intestinaux chroniques.
Encadré
L’hypocorticisme est un déficit en corticostéroïdes endogènes causé, dans la très grande majorité des cas, par une destruction à médiation immune progressive du cortex surrénalien (maladie d’Addison). Les déficits en glucocorticoïdes et en minéralocorticoïdes, objectivés biologiquement par une hypocortisolémie et une hypoaldostéronémie respectivement, sont à l’origine de signes cliniques généraux (diarrhée, vomissements, faiblesse, etc.) et de désordres hydroélectrolytiques (choc hypovolémique, hyperkaliémie, hyponatrémie, etc.). Parallèlement, la sécrétion d’ACTH hypophysaire est augmentée (par levée du rétrocontrôle négatif). La suppression de la sécrétion hypophysaire d’ACTH – très rarement rapportée – peut également être à l’origine d’un hypocorticisme dit secondaire.
Objectifs et méthodologie
Les objectifs poursuivis par l’étude décrite dans cet article étaient :
- d’évaluer la prévalence d’un hypocorticisme sans anomalie du ionogramme dans une population de chiens souffrant de troubles gastro-intestinaux chroniques ;
- d’étudier les données cliniques et biologiques qui pourraient être utiles au diagnostic.
Il s’agit d’une étude multicentrique à la fois prospective (de juin 2019 à décembre 2021 dans 2 centres hospitaliers vétérinaires universitaires) et rétrospective (entre janvier 2009 et décembre 2021 dans 1 centre hospitalier universitaire). Le principal critère d’inclusion était la présence de diarrhées et/ou de vomissements évoluant depuis plus de 3 semaines. D’autres signes cliniques classiques d’hypocorticisme, tels qu’une hyporexie, une léthargie ou une faiblesse, pouvaient être associés. Les chiens étaient assignés à un groupe à part entière s’ils avaient reçu, dans les 3 mois précédents, des traitements glucocorticoïdes (topiques et/ou systémiques).
Le diagnostic d’hypocorticisme eunatrémique et eukaliémique était établi lorsque :
- la cortisolémie après stimulation à l’ACTH demeurait inférieure à 55 nmol/L ;
- l’ACTHémie endogène (c’est-à-dire ACTH basale produite par l’hypophyse, mesurée avant la stimulation) était augmentée (> 58 pg/mL) ou éventuellement effondrée (< 5 pg/mL) dans le groupe n’ayant jamais reçu de corticostéroïdes (pour diagnostiquer un hypocorticisme secondaire) ;
- la kaliémie et la natrémie étaient dans les valeurs de référence.
La procédure d’inclusion suivie est décrite dans la figure.
Le recrutement hétérogène, à la fois prospectif et rétrospectif, est l’une des principales limites de l’étude, par ailleurs mentionnée par les auteurs. La prise d’autres traitements (progestatifs, médicaments du système rénine-angiotensine-aldostérone, azolés, etc.) ayant un effet démontré sur la sécrétion corticosurrénalienne n’a pas été spécifiquement explorée, ce qui constitue une autre limite.
Une prévalence très faible
Au total, 112 chiens ont été recrutés prospectivement. Le diagnostic d’hypocorticisme eunatrémique et eukaliémique a été établi chez 1 seul animal n’ayant jamais reçu de traitement corticoïde préalable. La prévalence observée est de 0,9 %, semblable à celle estimée de l’hypocorticisme dans la population générale canine. L’hypocorticisme ne semble donc pas être surreprésenté dans cette population de chiens souffrant de troubles gastro-intestinaux chroniques. Il est à noter qu’aucun chien n’a présenté d’hypocorticisme “classique” dans cette cohorte.
Le recrutement rétrospectif a permis d’inclure 19 chiens supplémentaires, confirmant la très faible prévalence de la maladie compte tenu de la longue période analysée (13 ans) et de l’activité probablement importante d’un service hospitalier universitaire. Le nombre total de cas parmi lesquels les chiens ont été sélectionnés n’était pas précisé. Il est possible d’extrapoler que la prévalence de cette forme d’hypocorticisme en pratique généraliste est encore plus faible.
Il s’agit donc d’une affection rare, qu’il est probablement peu pertinent d’inclure au diagnostic différentiel de 1re intention des troubles gastro-intestinaux chroniques.
Effets des traitements glucocorticoïdes
Les données de cette étude illustrent également l’impact imprévisible et parfois prolongé de la prise d’un traitement glucocorticoïde (même bref, même arrêté depuis plusieurs semaines) sur la cortisolémie et la réponse au test de stimulation à l’ACTH. Pour 2 chiens du groupe préalablement traité avec des glucocorticoïdes (soit 20 % de l’effectif), un hypocorticisme iatrogène (avec pour l’un des 2, une absence totale de réponse à la stimulation) a été mis en évidence :
- l’un avait reçu la plus forte dose de traitement (0,9 mg/kg de prednisolone pendant 4 jours, 30 jours avant le test) ;
- pour l’autre, l’arrêt du traitement était le plus récent (6 jours avant le test, après 7 mois de prise quotidienne de 0,3 mg/kg de prednisolone).
La répétition du test de stimulation après 14 jours pour l’un et 33 jours pour l’autre a mis en évidence une normalisation de la cortisolémie. En outre, les résultats confirment que pour le diagnostic d’hypocorticisme (quelle qu’en soit la forme), une cortisolémie basale faible (< 55 nmol/L dans cette étude) est associée à une excellente sensibilité (aucun chien atteint avec une cortisolémie basale > 55 nmol/L), mais à une spécificité médiocre (près de 50 % des chiens testés avaient une cortisolémie basale < 55 nmol/L, sans présenter d’hypocorticisme).
Différencier un hypocorticisme eunatrémique et eukaliémique d’origine iatrogène d’une autre cause d’hypocorticisme
Les auteurs se sont demandé s’il était possible, sur la base des données clinicobiologiques initiales, de différencier un chien atteint d’hypocorticisme primaire eunatrémique et eukaliémique d’un chien ayant reçu un traitement glucocorticoïde préalable faussant les tests diagnostiques (forme iatrogène d’hypocorticisme). Même si quelques différences significatives ont été mises en évidence (albuminémie et haptoglobinémie plus faibles, kaliémie plus élevée), les données se recoupent entre les groupes, et aucun marqueur ne peut donc être cliniquement utile au diagnostic.
Si l’on écarte les chiens atteints d’hypocorticisme secondaire présumé non iatrogène (mais uniquement recrutés de manière rétrospective, ce qui aboutit à un niveau de preuve moins élevé), l’indice le plus discriminant serait le rapport cortisol/ACTH, beaucoup plus faible chez les chiens atteints d’hypocorticisme primaire (qui présentent une hyper-ACTHémie) que chez les chiens ayant reçu des glucocorticoïdes (dont l’ACTHémie est faible). Attention toutefois aux conditions préanalytiques strictes nécessaires à un dosage fiable de l’ACTH !
Quelles perspectives ?
Les chiens recrutés dans cette étude n’ont pas développé de modification du ionogramme d’après les données de suivi (même si ce dernier a été court pour certains cas, allant de 30 jours à 6 ans). Toutefois, d’autres études ont rapporté que des modifications classiques (hyponatrémie, hyperkaliémie) pouvaient apparaître dans les mois suivant le diagnostic [3]. En effet, en dépit de cette absence de modification ionique, d’après une étude plus ancienne, ces chiens présentent une hypoaldostéronémie, en faveur d’un déficit en minéralocorticoïdes [3]. Cette donnée remet en cause l’hypothèse d’une destruction sélective du cortex surrénalien qui n’affecterait que la zone fasciculée, car la zone glomérulée est également détruite. La physiopathologie de cette forme d’hypocorticisme demeure incomprise ; il serait intéressant dans de futurs travaux de recherche de s’intéresser au profil stéroïdomique complet de ces chiens (en y incluant les stéroïdes exogènes). En effet, une sécrétion résiduelle d’autres stéroïdes est possible, à l’instar de ce qui est démontré en médecine humaine [4], et elle pourrait contribuer à cette conservation de l’équilibre électrolytique malgré l’hypoaldostéronémie. De plus, une adaptation rénale permettant notamment de maximiser l’excrétion du potassium est envisagée.
Enfin, d’autres maladies digestives concomitantes sont rapportées (en particulier des entéropathies inflammatoires primitives) parmi les chiens recrutés rétrospectivement dans cette étude. La suspicion (ou le diagnostic) d’hypocorticisme (notamment une forme inhabituelle) ne doit donc pas se substituer à la démarche clinique classique dans le contexte de troubles gastro-intestinaux chroniques.
Conclusion
Cette étude a permis d’évaluer spécifiquement et prospectivement la prévalence des formes dites atypiques d’hypocorticisme, qui s’est révélée extrêmement faible (< 1 %). En cas de suspicion, la seule épreuve de stimulation à l’ACTH ne suffit pas ; un dosage de l’ACTHémie basale se révèle très pertinent pour écarter un traitement préalable par glucocorticoïdes, en plus d’une anamnèse méticuleuse. Toutefois, le nombre relativement faible de chiens atteints d’hypocorticisme eunatrémique et eukaliémique inclus dans cette étude, sa conception hétérogène, à la fois prospective et rétrospective, et l’absence de détails concernant les traitements autres que glucocorticoïdes reçus par les chiens constituent des limites importantes. Enfin, comme il est plus probable qu’un bruit de sabots dans un couloir soit l’œuvre d’un cheval et non d’un zèbre, il est plus prudent d’envisager (en 1re intention) une origine iatrogène à un hypocorticisme sans modification du ionogramme. ●
POINTS CLÉS
- La forme eukaliémique et eunatrémique de l’hypocorticisme canin est très rare, et sa physiopathologie incomprise.
- La durée des effets d’un traitement par glucocorticoïdes sur les résultats des tests d’exploration de l’activité
corticosurrénalienne est très imprévisible et peut être de plusieurs semaines. - La mesure du seul cortisol basal est très peu informative, sauf pour exclure une maladie très rare, donc probablement non indiquée en 1re intention. Elle ne doit pas retarder la prise en charge diagnostique et thérapeutique d’autres affections digestives primitives, bien plus fréquentes dans la population canine.
- La mesure de l’ACTHémie endogène peut s’avérer utile en cas d’hypocortisolémie après stimulation à l’ACTH. Il faut toutefois veiller au respect des conditions préanalytiques strictes pour ce dosage !
Référence de l’article : Méd Chir Anim – Anim Cie 2024;12-13:56-9.


