Depuis des années, l’éducation canine évolue vers des méthodes dites positives, prônant un respect de l’animal et de ses émotions et visant, au-delà de l’efficacité, à établir une relation harmonieuse entre le propriétaire et son chien.
Dans ce texte, nous commencerons par définir ce que sont les méthodes positives et coercitives, puis nous exposerons les risques inhérents à l’utilisation des méthodes coercitives, enfin nous ferons un point rapide sur la loi française qui a été votée à l’Assemblée nationale en janvier 2023.
Méthodes d’éducation coercitives
Dans le conditionnement opérant
Il est possible de distinguer 4 types de conditionnement opérant que l’on peut associer à une émotion de l’animal qui l’expérimente :
- le renforcement positif repose sur le plaisir. Il consiste à ajouter un stimulus appétitif à la suite d’un comportement pour augmenter la probabilité de sa réapparition. Par exemple, une friandise donnée à un chien qui l’apprécie lorsqu’il revient à l’appel de son nom constitue un renforcement positif de l’ordre de rappel, car le plaisir associé à la friandise augmente la probabilité que le chien revienne la prochaine fois qu’on l’appelle ;
- le renforcement négatif repose sur le soulagement. Il consiste à retirer un stimulus désagréable à la suite d’un comportement pour augmenter la probabilité de sa réapparition. Par exemple, la disparition de la pression du collier sur le cou d’un chien qui détend sa laisse constitue un renforcement négatif, car le soulagement ressenti lorsque la pression exercée sur le cou disparaît augmente la probabilité que le chien détende sa laisse la prochaine fois qu’une pression est de nouveau exercée sur son cou ;
- la punition positive repose sur la peur ou la douleur. Elle consiste à ajouter un stimulus aversif à la suite d’un comportement pour diminuer la probabilité de sa réapparition. Par exemple, un coup donné sur le museau d’un chien qui le met sur la table est une punition positive, car la peur ou la douleur ressentie diminue la probabilité que le chien renouvelle cette expérience. Notons que pour que cela soit considéré comme une punition positive le chien doit avoir mal ou peur ;
- enfin, la punition négative repose sur la frustration. Elle consiste à retirer un stimulus appétitif à la suite d’un comportement pour diminuer la probabilité de réapparition de celui-ci. Par exemple, l’arrêt de toute interaction avec un chiot qui mordille et apprécie les interactions sociales est une punition négative, car cela génère une frustration qui diminue la probabilité que le chiot mordille lors des prochaines interactions, soucieux d’éviter de ressentir de nouveau cette frustration lors de l’arrêt de l’interaction sociale qu’il apprécie.
Il est possible de classer les méthodes d’éducation en fonction du type de conditionnement opérant sur lequel elles reposent (figure 1) [1]. Ainsi, les méthodes d’éducation positives reposent sur l’utilisation du renforcement positif et de la punition négative, alors que celles dites coercitives s’appuient sur la punition positive et le renforcement négatif.
Par conséquent, les méthode positives vont utiliser des stimuli agréables pour l’animal et les lui donner s’il produit des comportements que l’on souhaite valider, et à l’inverse retirer ces récompenses potentielles lorsque l’animal produit un comportement que l’on ne valide pas.
Notons également que méthode positive n’est pas synonyme de laxisme ou d’une impossibilité de fixer des limites. D’ailleurs, comme dans le domaine de l’éducation des enfants, la critique des méthodes coercitives permet de les remettre en cause pour aller vers des méthodes plus adaptées et respectueuses, mais le risque est de voir des méthodes qui se construisent en opposition, au point de ne plus fixer aucune règle de vie, ce qui posera, de toute évidence, d’autres problèmes.
Dans le conditionnement classique
Ce conditionnement permet de réaliser une association durable entre un stimulus dit inconditionnel et un autre stimulus [2]. Pavlov, observant ses chiens de laboratoire, remarque que lorsqu’il présente de la nourriture à l’un d’entre eux, ce dernier se met immédiatement à saliver. Il recommence l’expérience en faisant retentir une sonnette juste avant de présenter la nourriture. Après quelques répétitions, la sonnerie provoque la salivation avant que la nourriture ait été présentée au chien. Le chien a associé la sonnerie à l’arrivée du repas et salive comme si le repas était déjà là. Autrement dit, le stimulus neutre (la sonnette) devient conditionnel lorsqu’il produit chez l’individu une représentation interne du stimulus inconditionnel (la nourriture) (figure 2A) [3].
Dans le conditionnement classique, il y a donc une association entre un stimulus neutre, qui ne déclenche aucune réaction chez l’individu, et un stimulus inconditionnel, qui déclenche déjà une réaction réflexe, souvent émotionnelle. Les réactions impliquées font intervenir les glandes et les muscles lisses, et sont involontaires, qu’elles soient physiologiques (salivation, tachycardie, piloérection) ou réflexes (réflexe de retrait, fermeture de la paupière). Ces réactions sont à l’origine des émotions ressenties par l’individu et sont appelées réponses émotionnelles conditionnées.
Si nous prenons maintenant l’exemple d’un stimulus inconditionnel, non plus appétitif mais aversif, comme la décharge électrique appliquée par un collier de dressage, il est aussi possible de créer des réponses émotionnelles conditionnées associées à la peur et non au plaisir (figure 2B). Lors de la 1re décharge électrique, l’animal produit une réponse d’échappement en tentant de se soustraire à la douleur provoquée par la décharge. Une fois l’association réalisée, il anticipe avec le bip sonore dont sont munis la plupart de ces colliers (ou le non de la voix de son maître) l’arrivée d’une décharge électrique et va produire une réponse dite d’évitement, c’est-à-dire une réponse lui permettant d’éviter de recevoir une nouvelle décharge. Cependant, le bip sonore émis par le collier pour prévenir le chien qu’il doit bien se comporter va provoquer un ressenti interne équivalent à celui qu’il ressent quand il reçoit la décharge électrique.
Plus le stimulus est aversif, plus l’association est rapide, donc les outils d’éducation douloureux provoquent très vite des réponses produites par le chien parce qu’il a peur d’une sanction physique douloureuse et non parce qu’il est content de coopérer. La relation qui en découle est, bien entendu, altérée par ce rapport fondé sur la peur et la menace d’une sanction douloureuse. Ainsi, les méthodes coercitives regroupent au sens large toute méthode d’apprentissage qui fait intervenir des stimuli aversifs pour l’animal et qui sont associés à la douleur, la peur ou le soulagement par conditionnement opérant ou qui créent des réponses émotionnelles conditionnées par conditionnement classique en associant un stimulus neutre à la douleur ou à la peur ressentie par l’animal lors de l’apprentissage.
Recenser ou définir les méthodes coercitives ne peut se faire avec une simple liste d’outils violents à interdire. Il convient surtout d’observer l’animal pour connaître son ressenti. Par exemple, un chiot de 3 mois atteint d’une phobie sociale interspécifique va très vite vivre un haussement de ton, même s’il ne lui est pas destiné, comme traumatisant, alors qu’un gros chien impulsif pourrait considérer qu’une tape sur sa croupe n’est pas désagréable, mais plutôt excitante et va y répondre par le jeu. Bien entendu, les outils capables d’infliger directement de la douleur sont tous à considérer comme aversifs (collier électrique, collier Torquatus, collier étrangleur, etc.), mais il faut réellement considérer que pour un animal qui a très peur d’un objet, celui-ci peut devenir aversif, donc traumatisant. C’est à cause de ces associations que la clinique vétérinaire devient un lieu que les chiens évitent, car elle favorise la genèse d’une phobie des soins : même si l’équipe de soins est bienveillante, la douleur ressentie lors de maladies aiguës (otite, gastrite, etc.) va créer un climat favorable à l’association avec des stimuli neutres de la structure (blouse, table, stéthoscope, etc.). Ces éléments de contexte produisent pour l’animal des sensations négatives associées à sa douleur initiale.
État des lieux de l’utilisation des méthodes coercitives
Conséquences de leur utilisation
La littérature scientifique concernant l’utilisation des méthodes coercitives dans l’éducation du chien est univoque et explique en détail les risques associés.
Il existe tout d’abord des risques de blessure physique, notamment avec des nécroses de la peau au point de contact des électrodes [4]. La douleur et la peur associées aux méthodes coercitives provoquent une accélération du rythme cardiaque et une augmentation de la sécrétion de cortisol [5].
De plus, l’association par conditionnement classique à tout stimulus neutre qui est présent lorsque l’animal ressent de la peur ou de la douleur est inévitable. Par exemple, une douleur ressentie par un chien corrigé par son maître avec un outil coercitif (collier étrangleur, par exemple) en présence d’un humain, alors qu’il s’était justement mis à aboyer car il n’arrivait pas à contenir sa peur intense, risque d’associer tout objet présent à cette peur et d’aggraver son problème en réagissant aussi à la vue de cet objet (vélo, chien, enfant, etc.).
Même en utilisant ces outils de manière professionnelle, avec un timing parfait, en le répétant très peu de fois, les risques de provoquer des réponses comportementales agressives et un état anxieux, phobique ou dépressif chez l’animal sont élevés [6]. Le traumatisme subi perdure pendant plus de 6 mois avec une seule exposition [6]. Dans les conditions d’utilisation par un particulier, ces risques sont majorés [4] tant techniquement qu’émotionnellement, car le propriétaire peut agir sous le coup de la colère et s’il utilise une télécommande, il peut administrer plusieurs décharges, ce qui aggrave encore l’état de l’animal [7, 8].
Les méthodes coercitives en général provoquent une baisse de qualité de la relation humain-chien [9, 10] pour une efficacité qui n’est pas meilleure que des méthodes positives, et elles diminuent le bien-être du chien sur lequel elles sont employées [11, 12]. Ainsi, la communauté scientifique se mobilise régulièrement dans différents pays pour alerter sur l’utilisation de ces méthodes et encourager leur interdiction [12, 13].
Causes de leur utilisation
Les causes de l’utilisation des méthodes coercitives sont diverses. Il semble que leur utilisation soit culturelle, car elles sont beaucoup plus employées dans certains milieux, comme la chasse ou l’armée [4]. Certains auteurs soulignent d’ailleurs que les chiens issus de lignées de travail utilisés dans ces domaines sont particulièrement excités, exubérants et difficiles à contrôler [6]. Ils alertent ainsi sur l’importance de rediriger la sélection des chiens vers un chien adapté à la vie de chien de compagnie, en bonne santé physique et mentale. Cependant, les méthodes qui suscitent des sensations négatives intenses (peur, douleur) ne sont généralement que le dernier recours de propriétaires dépassés ou d’éducateurs incompétents [4]. Ainsi, une des raisons principales de l’utilisation de ces méthodes est la volonté de faire disparaître un comportement indésirable réalisé par leur chien.
Le plus souvent, le sentiment d’impuissance ressenti par les propriétaires lorsqu’ils ont des difficultés à éduquer leur chien sur des ordres de base témoigne de l’existence d’un état pathologique chez l’animal. Or, le parcours de ces propriétaires les renvoie fréquemment à leur propre incompétence bien avant d’envisager l’existence d’une affection de l’animal le rendant incapable de réussir l’apprentissage souhaité [4]. En effet, les propriétaires aiment leur animal et ne souhaitent pas lui faire directement du mal. Ils en viennent à penser à des méthodes radicales mais violentes uniquement parce qu’ils se sentent dépassés par l’éducation de leur chien et poussés dans leurs retranchements. Ils essayent donc successivement différentes méthodes, plus prometteuses les unes que les autres, et se laissent convaincre par des professionnels souvent mal informés que ces outils pourraient être la solution à leur problème.
Malgré l’ensemble des données scientifiques en défaveur de leur utilisation, les méthodes coercitives sont encore largement employées en France. Elles représentent la promesse d’une solution possiblement miraculeuse [4], bien qu’en réalité elles soient délétères à long terme (pour toutes les raisons énoncées ci-dessus) [14-17]. Les méthodes coercitives doivent donc être combattues plutôt que condamnées par le vétérinaire. Pour cela, il faut présenter aux propriétaires les conséquences de ces pratiques et leurs alternatives, et les aider à trouver des éducateurs canins formés aux méthodes respectueuses de l’animal. Il convient aussi de leur expliquer que leur animal éprouve des émotions et que sa désobéissance vient peut-être d’une incapacité émotionnelle ou cognitive à répondre correctement à leur demande, plutôt que de leur incompétence ou encore d’une mauvaise volonté du chien.
Conclusion
En France, l’utilisation des colliers électriques était élevée [4, 18], malgré les prises de position régulières des rapports scientifiques sur le sujet [12, 13].
En janvier 2023, une proposition de loi a été validée par l’Assemblée nationale à une très large majorité (111 voix pour, 5 voix contre). Elle interdit la vente et l’utilisation des colliers électriques, étrangleurs et à pointe sur un animal de compagnie. Les sanctions prévues en cas de non-respect de cette loi par un particulier sont de 750 euros et de 3 750 euros pour un professionnel ou en cas de récidive. Les chiens de travail et d’utilité n’ont pas de dérogation à cette règle, contrairement aux chiens utilisés dans l’armée et pour les fourrières amenées à capturer des animaux dangereux et errants. Comme le souligne le rapport de l’Assemblée, l’utilisation des méthodes coercitives retarde souvent une prise en charge de meilleure qualité qui consiste à comprendre pourquoi le chien produit des comportements indésirables au point que son propriétaire en vienne à utiliser des outils pouvant altérer sa santé physique et mentale et son bien-être [6].
L’information du grand public, inhérente à l’application de cette loi, permet aussi d’expliquer le sens de cette interdiction et ses fondements et nous pouvons espérer que les chiens qui auraient été munis de ce type de dispositif soient ainsi pris en charge plus rapidement, lorsqu’ils souffrent d’un trouble du comportement.
Nous pouvons donc nous réjouir de l’interdiction de vente et d’utilisation de ces colliers, puisque cela amènera les propriétaires de chiens à rechercher plus rapidement la cause des comportements indésirables. En pratique, une telle approche étiologique passe par une consultation auprès d’un vétérinaire comportementaliste qui établit un diagnostic et propose une prise en charge globale accompagnée d’une rééducation comportementale, souvent réalisée avec le soutien d’un éducateur canin compétent. ●
POINTS CLÉS
- Les méthodes d’éducation des chiens doivent prôner un respect de l’animal et de ses émotions.
- Les méthodes coercitives entraînent une altération de la relation entre le chien et l’humain.
- L’interdiction de vente et d’utilisation de ces colliers amènera les propriétaires de chiens à rechercher plus rapidement la cause des comportements indésirables.
Référence de l’article : Méd Chir Anim – Anim Cie 2024;12-13:72-6.



