Éditorial

De 1901 à 2023, l’allergologie : une (r)évolution permanente


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C’est en 1901, au cours d’expéditions scientifiques menées avec Albert 1er de Monaco, que le médecin et physio­logiste français Charles Richet observe que certains matelots ressentent une vive douleur associée à des réactions systémiques pouvant mener à la syncope. Il soupçonne alors la présence d’un venin émis par la physalie, une sorte de méduse vivant dans l’océan Atlantique. Le zoologiste et biologiste marin Paul Portier se joint à Charles Richet dans les expéditions suivantes afin d’isoler ce venin. Au fil des expériences menées à bord puis sur terre avec des toxines extraites de physalies et d’anémones, ils constatent que certains animaux cobayes injectés avec de faibles doses et avec des intervalles de temps suffisamment longs développent des réactions de plus en plus sévères, jusqu’au décès. Richet et Portier publièrent la découverte de l’anaphylaxie en 1902, qu’ils définirent ainsi : “Nous appelons anaphylaxique (contraire de la phylaxie) la propriété dont est doué un venin de diminuer au lieu de renforcer l’immunité quand il est injecté à des doses non mortelles.” Cette découverte posa les premières bases de l’allergologie et leur valut le prix Nobel en 1913. Quoi de plus noble pour l’allergologie que de commencer sa carrière avec un tel prix ?

Cette découverte entraîne un grand bouleversement des connaissances sur l’immunité : la “réaction d’immunité ou baisse de la sensibilité” n’est alors plus la seule réponse possible de l’organisme à l’injection de substances étrangères. Tout est dans cette première description ; depuis 200 ans, les prises en charge et les différents traitements envisagés en allergologie ne sont que la poursuite de la meilleure façon de retrouver “la phylaxie”, c’est-à-dire la tolérance à l’environnement “sans anaphylaxie” (sans entraîner de réaction allergique).

Au niveau thérapeutique, les bases de l’immuno­thérapie allergénique datent de 1911 avec les travaux de Leonard Noon et John Freeman. L’immunothérapie est à ce jour le seul traitement curatif reconnu des maladies allergiques respiratoires.

Selon l’Académie nationale de médecine, la désensibilisation précoce des patients allergiques permet en effet de modifier l’histoire naturelle de la maladie en limitant l’acquisition de nouvelles sensibilisations ou en réduisant chez les enfants atteints de rhinite allergique le risque de développement ultérieur d’un asthme.

La désensibilisation est ainsi aujourd’hui parfaitement reconnue et codifiée par un consensus international (ARIA : Allergic Rhinitis and its Impact on Asthma). Ce consensus recommande, avec un niveau de preuve élevé, l’utilisation de la voie sublinguale chez les patients atteints de rhinite allergique pour lesquels la désensibilisation est indiquée. En effet, les traitements injectables ne sont actuellement plus commercialisés et les prescriptions se font uniquement sous forme sublinguale (liquide ou comprimés), plus facile d’utilisation. Cependant, comme pour toutes les maladies chroniques, nous sommes confrontés à des difficultés d’observance majeures, même si le schéma thérapeutique est relativement simple. Nous avons donc vu se développer des outils, comme les applications mobiles gratuites, pour aider nos patients et leurs familles à rester motivés pendant les années d’immunothérapie. Dans ce contexte, nous sommes ravis de présenter DRAGO, application gratuite de suivi d’immuno­thérapie créée par des allergologues, dont les premiers résultats semblent très encourageants.

Dans le vaste domaine de l’allergie alimentaire, la prise en charge, allant de la prévention à la mise en place d’induction de tolérance orale (ITO) en passant par l’accueil de l’enfant allergique à l’école, connaît ces dernières années un changement de paradigme total. De l’éviction stricte et prolongée des allergènes, voire des aliments potentiellement sensibilisants, nous sommes passés à l’ère de l’acquisition précoce de la tolérance en population générale, avec un âge de début de diversification avancé et l’introduction en quelques semaines de tous les aliments consommés par la famille (sous des formes adaptées, bien sûr) jusqu’à la proposition récente d’introduction des protéines de lait de vache dès les premières semaines de vie, y compris chez le nouveau-né allaité ! Ce qui ne manquera sûrement pas de lancer des réactions et débats multiples et variés dans les communautés pédiatrique et industrielle... Parallèlement à ce débat concernant des enfants bien ­portants, nous assistons au développement, pour les enfants allergiques alimentaires, de protocoles d’induction de tolérance, visant non pas à guérir mais à augmenter les seuils réactogènes, et ainsi mettre les enfants allergiques à l’abri de réactions sévères pour de faible quantités d’allergène. Cela, avec l’adoption de la réglementation INCO pour la restauration collective, devrait aussi améliorer l’accueil de ces jeunes enfants en collectivité, le nouveau PAI national mis en place depuis 2021 devant aussi permettre, par son utilisation sur l’ensemble du territoire, d’harmoniser les pratiques et de simplifier si possible cet accueil de qualité. Cependant comme toute théra­peutique, cette nouvelle démarche soulève des questions et présente des contraintes et effets indésirables qu’ils nous faut connaître : réactions allergiques, lassitude, développement de pathologies digestives, etc. De plus, nous ne pouvons pas méconnaître la difficulté inhérente au fait que l’alimentation est un domaine particulièrement sensible dans l’organisation familiale et que cela fait référence à l’histoire, aux habitudes et croyances familiales, aux craintes de l’entourage autour de ces enfants à risque de réaction sévère, voire mortelles, a qui on doit pouvoir offrir de grandir dans les meilleures conditions possible.

Voici résumée la lourde et passionnante tâche de l’allergologue pédiatre, que nous souhaitions partager avec vous dans ce numéro florilège, qui, nous l’espérons saura vous plaire, vous instruire, vous questionner, et pourquoi pas vous faire réagir !

Bonne lecture à toutes et tous. ●


Liens d'intérêt

D. Delalande et H. El Jurdi déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts en ­relation avec cet éditorial.