Il y a quelques années, nous publiions un article consacré au lancement de l’application “Chat GPT” [1], que nous avions questionnée sur la médecine et sur sa “vision” des médecins de France… Depuis, l’implication de l’intelligence artificielle (IA) dans le quotidien se fait de plus en plus sentir, parfois avec une dichotomie dans notre milieu, entre ceux qui voient son arrivée d’un bon œil et ceux qui auraient plutôt tendance à s’en méfier.
Sur le plan technique, les firmes de référencement qui cherchent à optimiser l’apparition d’une marque ou un produit lors d’une recherche Internet, par exemple, se mettent à user de leur intelligence (authentique en l’occurrence) pour influencer la décision d’un moteur d’IA. Cette procédure permettrait de pousser l’IA à choisir la marque qui aura fait la démarche avec un prestataire spécialisé en réponse à une demande de renseignement ciblé. Comment ? D’abord, en étant mentionnée dans un maximum de sites : articles, interviews, forums, etc., plus on parle de la marque, plus elle est considérée comme fiable. Ensuite, en ayant un nom très clair et ciblé incluant le domaine de performance. L’option de payer une agence spécialisée reste la plus efficace pour créer du contenu Web qui pourrait nourrir l’IA lors d’une recherche : études, témoignages, collaborations avec des marques connues… En somme, l’IA ne serait pas si “intelligente” ni si “artificielle”, puisqu’elle se nourrit du Web et qu’elle prend une décision basée sur ce qu’elle trouve, avec parfois des réponses très ciblées et très claires, en faveur de telle ou telle personne, telle ou telle marque, tel ou tel diagnostic.
Sur le plan humain, une cadre d’une multinationale informatique me confiait que l’IA n’allait pas prendre la place de l’humain, mais que les humains qui la maîtriseront prendraient la place de ceux qui ne la maîtrisent pas. Cependant, sur le plan médical, certaines études nous font douter, au point de nous demander si l’IA pourrait un jour nous remplacer. Ainsi, une étude publiée en 2023 dans le Journal of the American Medical Association (JAMA) [2] porte sur l’évaluation par 195 patients des réponses données à leurs questions via un forum médical ; les réponses étaient formulées soit par des médecins, soit par ChatGPT. Les résultats sont édifiants : les patients trouvent les réponses de ChatGPT significativement plus pertinentes, plus élaborées, et même plus empathiques ! C’est à l’occasion de cette lecture que j’ai découvert qu’une IA peut être programmée pour vous dire ce que vous souhaitez entendre, avec beaucoup de bienveillance et d’empathie…
Ces histoires nous invitent à l’introspection, sur le cœur de notre métier, notre mission de toujours en tant que médecins, à travers les civilisations et le temps. Cette introspection me mène à une histoire personnelle et qui constitue un des moments les plus marquants de mon internat. Au cours d’une garde d’intérieur à l’hôpital Robert-Debré, le service de neurologie m’a demandé d’accompagner une adolescente dans ses derniers instants ; elle était dans les bras de son père, qui lui répétait : “Ma chérie, les anges sont arrivés.” Il n’y avait pas de décision à prendre, pas de diagnostic, ni pronostic, ni science, ni probabilités ; il n’y avait qu’à être là, à moitié observateur de la fatalité cruelle du moment, à moitié intervenant, médecin, pour rassurer, conforter par le tact et l’oxygène, accompagner les anges dans ces derniers moments. Je n’oublierai jamais cette histoire que je considère comme un des moments où je me suis senti le plus “médecin”, alors que je n’ai pas fait grand-chose… À l’ère des intelligences – et des empathies – artificielles, nous pourrons avoir à cœur de donner le meilleur de nous-mêmes sans jamais culpabiliser. Une intelligence authentique pourra dire à une maman qui n’a pas pu allaiter, paniquée par ce qu’elle vient de lire sur les réseaux sociaux, que les études qui évaluent les risques et probabilités sont intéressantes, mais que chacun fait ce qu’il peut, et que l’appel qu’elle a passé la veille à une association renommée est à moduler parce que ultra-culpabilisant et extrême.
Je m’amuse à observer la réaction de certaines mamans qui viennent me montrer, tremblotantes, les résultats d’IgE spécifiques positifs dans le sang sur un aliment habituellement consommé, et qui éclatent d’un rire un peu nerveux à l’écoute de ma réponse spontanée : “Mais on s’en moque complètement de cette prise de sang !”… Finalement, quelle que soit l’époque que nous traversons, nous pourrons être les porteurs quotidiens d’un moment de calme, de douceur, de soin, dans un monde où soigner rimera de plus en plus avec calmer une souffrance… Et ça, aucune IA ne nous le prendra. ●

