Contexte
Les KPA à l’international
Le contexte international des KPA est le reflet d’une évolution globale des savoirs et des technologies qui se caractérise par :
- un élargissement des activités, des rôles et des compétences de ces professionnels pour répondre à des besoins croissants en termes de santé publique ;
- une approche centrée sur le patient, fondée sur les preuves, avec une prise en charge intégrée, multidisciplinaire et interprofessionnelle.
L’émergence des KPA répond aux défis de l’accès aux soins, du vieillissement de la population, de la prévalence accrue de maladies chroniques et de situations de handicap, de la pénurie de médecins généralistes ou de spécialistes dans certaines régions. Pour les kinésithérapeutes, la World Confederation for Physical Therapy (WCPT) recommande d’appuyer le développement des KPA via un cadre formalisé (figure 1) [1].
Les diverses organisations membres de la WCPT décrivent la pratique avancée en physiothérapie (PAP) de différentes manières. Elles proposent une définition faisant émerger des thèmes communs, tout en rappelant l’importance du contexte entourant la PAP pour la faire progresser au sein d’un pays (encadré, voir ci-dessous).
Encadré. Définition de la pratique avancée de la kinésithérapie (WCPT, 2023)
La pratique avancée de la kinésithérapie :
• “comprend un niveau plus élevé de pratique, de fonctions, de responsabilités, d’activités, de capacités et d’autonomie ;
• peut être associée à un titre professionnel particulier ;
• requiert une combinaison de compétences cliniques et analytiques, de connaissances, de raisonnement clinique, d’attitudes et d’expérience avancées et nettement accrues ;
• applique des compétences et des connaissances de niveau avancé pour influencer l’amélioration des services et obtenir de meilleurs résultats et une meilleure expérience pour les patients, ainsi que pour assurer un leadership clinique ;
• se traduit par la responsabilité de dispenser des soins à des patients/clients ayant généralement des besoins ou des problèmes complexes, en toute sécurité et avec compétence, et de gérer les risques.
La pratique avancée est exercée par une proportion faible, mais croissante, de la profession qui est reconnue comme experte par les membres de la profession, les patients et les autres professionnels de la santé. Les modalités de cette reconnaissance varient d’un pays à l’autre”.
Selon les pays anglo-saxons ou européens sont recensés différents rôles et responsabilités ainsi que des dénominations hétérogènes de KPA (advanced physiotherapy practitioner, consultant physiotherapist, etc.). Les domaines ou champs d’exercice sont les suivants : musculosquelettique, neurologique, cardiorespiratoire, pédiatrique et gériatrique [2].
Ces modèles illustrent une diversité culturelle, politique et médicoéconomique [3]. Le transfert de modèles de soins nécessite leur prise en compte et leur adaptation législative au contexte social et médicoéconomique du pays concerné.
Les KPA en France : aspects législatifs et réglementaires
En France, certains auxiliaires médicaux, notamment les infirmiers, les kinésithérapeutes, les manipulateurs en électroradiologie médicale se sont interrogés sur l’intérêt de reconnaissances de spécificités, spécialités et autres expertises. Une première esquisse de cette reconnaissance de la capacité d’auxiliaires médicaux à exercer des missions au-delà des actes et compétences socles du diplôme d’État se retrouve dans les volontés de voir émerger une “nouvelle fonction d’expert ou de clinicien”, telle qu’inscrite dans les accords Durieux de novembre 1991.
À la suite d’une table ronde entre le ministère de la Santé et les organisations syndicales siégeant au Conseil supérieur de la fonction publique hospitalière, une expérimentation sur la “reconnaissance des fonctions d’expertise professionnelle et institutionnelle” et la relation entre “la fonction d’encadrement et cette fonction d’expertise” sera officiellement menée dans les hôpitaux entre 1994 et 1998 (250 candidatures, 70 “experts” sélectionnés). Le bilan sera établi et des hypothèses de mise en œuvre, y compris statutaires, seront imaginées, puis mises de côté sans application ni traduction réglementaire ou législative au profit d’un autre sujet jugé prioritaire : celui des programmes hospitaliers de recherche infirmière et paramédicale en 2010 et en 2011.
Le concept d’auxiliaire médical en PA, préfiguré dans le rapport Berland en 2003, a été promulgué par la loi Touraine n° 2016-41 du 26 janvier 2016 relative à la modernisation du système de santé. Cette dernière introduit la possibilité pour les auxiliaires médicaux (infirmiers, kinésithérapeutes, etc.) d’exercer en PA. Si le décret n° 2018-629 du 18 juillet 2018 relatif à l’exercice en PA pour les infirmiers a permis de détailler les domaines et mentions de diplomation complémentaire et d’exercice, à ce jour aucun autre texte réglementaire ne permet pour les autres auxiliaires médicaux de s’engager dans cette voie.
Dès 2018, des kinésithérapeutes représentants de syndicats libéraux, d’instituts de formation, du Conseil national de l’ordre des masseurs-kinésithérapeutes et d’associations de salariés, avaient échangé sur la notion de KPA. Il n’avait pas pu être établi de consensus ; la profession ayant à l’époque priorisé l’obtention du grade de master puis l’“accès direct”.
Des initiatives illustrent une évolution vers des rôles parfois assimilés à tort à de la PA. De récentes expérimentations relèvent de l’accès direct ou encore de protocoles de coopération qu’il convient de distinguer (tableau I) [4].
Concernant le KPA, une expérimentation, menée par l’union régionale des professionnels de santé d’Île-de-France en convention avec l’agence régionale de santé, est en cours depuis septembre 2023. Cette expérimentation soulève notamment les questions de l’expertise, de la formation, des mentions, des nouvelles compétences acquises ainsi que le champ d’application du KPA [5].
Le débat au sein de la profession, entre les instances professionnelles et les pouvoirs publics concernant le(s) domaine(s), les mention(s) et la formation des KPA est en cours. De nombreuses interrogations demeurent et sont au cœur des échanges quant aux possibles applications de la kinésithérapie en pratique avancée ainsi qu’à la priorisation de son développement sur le plan national.
Les notions d’“expertise”, de “spécialisation”, de “spécificité”, de “pratiques orientées”, de PA et, parfois, la construction d’un nouveau métier animent ces discussions.
Les rapports de l’Inspection générale des affaires sociales (n° 2022-030R) et de l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (n° 21-22 275A) mettent ainsi en perspective les différents niveaux de pratique au regard des compétences et des niveaux de formation (tableau II).
Ce rapport révèle également les tensions existantes entre le cadre juridique actuel et les évolutions des besoins de santé, et plus particulièrement le fait que l’exercice des kinésithérapeutes repose sur un décret d’actes, peu compatibles avec les besoins de santé actuels, tels que la prise en charge de patients ayant des besoins ou des parcours complexes ou encore la prévention, et qui nécessiteraient une approche avec des professionnels disposant d’une plus grande autonomie.
Études et travaux du Collège national de la kinésithérapie salariée en PA
Le Collège national de la kinésithérapie salariée (CNKS) a pour objet de promouvoir la kinésithérapie salariée, d’accompagner et de représenter les kinésithérapeutes et les cadres salariés. Ses précurseurs, l’Association nationale des kinésithérapeutes salariés (ANKS) et le Syndicat national des kinésithérapeutes salariés (SNKS), dès 1982, puis le CNKS à partir de 1995 prônent la reconnaissance d’expertise “professionnelle” et d’expertise “institutionnelle” en s’appuyant sur les fonctions de masseur-kinésithérapeute clinicien-chercheur (KCC) et expert (KPA). Faire émerger ces nouvelles fonctions procède d’une nécessaire diversification de carrière.
Afin de construire un nouveau parcours, de nouveaux domaine(s) et mention(s), 3 réflexions sont concomitantes :
- différencier les concepts et les fondements entre l’accès direct, la PA et les spécificités d’exercice (tableaux I et II) ;
- estimer l’utilité interne et externe − la plus-value sociale et médicoéconomique − de la PA (figure 2) ;
- rechercher l’acceptabilité de la PA par les autres professionnels, les tutelles et les associations de patients (tableau III).
Enjeux et orientations
La profession de masseur-kinésithérapeute est en pleine évolution du fait des réformes récentes du système de santé. Ces évolutions touchent les aspects curriculaires (formation et compétences) et la question des besoins de la population en santé.
Trois enjeux sont à considérer :
- formation : quel format universitaire pour le KPA, sachant que les étudiants en kinésithérapie obtiennent, à l’heure actuelle, le grade master ?
- réglementation : quelle reconnaissance légale du KPA en l’absence de décret permettant de fixer les modalités d’exercice et la formation nécessaire ?
- élargissement des compétences : quelles sont les perspectives de mise en pratique et de dialogue entre le KPA, les professions médicales et les bénéficiaires ?
La phase 5 de l’étude menée par le CNKS au sujet du KPA [6] a consisté en une recherche supervisée par un sociologue et un psychologue selon la méthode Delphi [7]. Des affirmations issues de verbatims recueillis lors des rencontres avec les sociétés savantes ont été soumises à un panel hétérogène de professionnels de santé. Après 3 rondes, ils ont établi un consensus :
- les experts ont confirmé l’intérêt pour l’implantation de KPA ;
- des besoins de KPA ont été identifiés (2 populationnels et 3 disciplinaires) :
À l’issue de cette phase de recherche, les affections musculosquelettiques n’apparaissent pas comme une priorité en termes de besoin populationnel en KPA sur le plan national.
Dans certains services d’urgences hospitalières, les kinésithérapeutes salariés réalisent leur évaluation/intervention/orientation en gériatrie, pneumologie, neurologie, vestibulaire, ce qui confirme les enjeux émergents de la chronicité, du vieillissement et du handicap. La prise en charge précoce consiste en des actes techniques ayant un impact direct sur l’état clinique du patient et des éléments d’évaluation facilitant le parcours et l’orientation [8]. D’autres pratiques orientées au sein des secteurs de soins critiques peuvent constituer des expertises à valoriser. De nouveaux rôles ainsi que de nouvelles missions et fonctions émergent, facteurs d’une part d’utilité sociale et médicoéconomique et, d’autre part, de diversification de carrière favorisant l’attractivité et la fidélisation.
Perspectives
En France, le contexte actuel entourant la mise en place du KPA soulève de nombreuses interrogations, relatives notamment au cadre réglementaire national, au niveau de formation initiale des kinésithérapeutes et à l’autonomie de la profession.
En effet, bien que les kinésithérapeutes ne disposent pas encore d’un cadre réglementaire concernant la PA, des perspectives existent dans la loi de modernisation du système de santé et grâce à des expérimentations.
De plus, si les différentes instances nationales de la profession entrevoient une possible mise en œuvre du KPA dans le secteur salarié, pour autant, à ce jour, une majorité d’entre elles ne souhaite pas en faire une priorité de développement.
Des réflexions doivent être poursuivies, en intraprofessionnel et avec les tutelles, afin de structurer, au sein du cadre législatif, des éléments de réponse propices à une éventuelle mise en place du KPA, tels que :
- les bases et contours du KPA, correspondant aux champs d’expertises acquises pour s’inscrire dans des domaines plus étendus ;
- un parcours de formation et des compétences reconnues au service de ce nouveau métier ;
- une réponse adaptée aux besoins populationnels et à la nécessité de diversification de carrière et de fidélisation des professionnels dans le système de santé français rénové.■
Référence de l’article : Haller P-H, Prieu S, Barbier J, Marquais A, Blandin M. Kinésithérapeute en pratique avancée : textes, contextes et perspectives cliniques. Revue de la Pratique avancée 2025;6(1):19-23.
Adresse de correspondance : Pierre-Henri Haller : contact.cnks@gmail.com



