Mise au point

Actualités dans le traitement du prurit

Mis en ligne le 20/11/2018

Mis à jour le 27/11/2018

Auteurs : L. Misery

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  • Le prurit est un symptôme fréquent puisque 10 % de la population française souffre de prurit qui nécessiterait un traitement. Les causes sont en général cutanées, mais peuvent être aussi liées au dysfonctionnement d'autres organes ou bien être neurogènes ou psychogènes.

Le traitement de la cause du prurit est indispensable lorsque celle-ci est connue, mais n'est pas toujours suffisant. Si le prurit est ancien, il s'autonomise et évolue pour lui-même, quelle que soit la cause initiale, avec des mécanismes propres au prurit chronique. Il s'accompagne alors d'une hyperkinésie (perception excessive des stimulus pruritogènes) et d'une allokinésie (perception de stimulus non pruritogènes comme prurigineux) ainsi que d'une dépression qui vient encore abaisser le seuil de perception du prurit. Au cours du prurit chronique s'instaure une sensibilisation périphérique (dans la peau) et centrale (dans le système nerveux), équivalente à ce que l'on constate au cours de la douleur chronique.

Traitement classique du prurit (1)

Les antihistaminiques ne sont en général pas efficaces ou, tout au moins, leur efficacité n'est pas supérieure à celle du placebo. D'ailleurs, leurs indications sont limitées à l'urticaire et à la rhinite allergique. Ils sont efficaces dans d'autres circonstances, comme en cas de varicelle, par exemple, mais certainement pas dans la dermatite atopique où de nombreuses études montrent une absence d'efficacité. Cela s'explique très bien grâce à l'amélioration de la compréhension de la physiopathologie du prurit, qui montre que l'histamine joue en fait un rôle dans une minorité des causes de prurit.

Prurit neurogène

Lorsque le prurit est neurogène, la gabapentine (Neurontin®) et la prégabaline (Lyrica®) sont très utilisées, même s'il faudrait en confirmer l'intérêt par plus d'études cliniques. Ces médicaments agissent sur le système GABAergique et ont une autorisation de mise sur le marché (AMM) dans le traitement des épilepsies et celui de l'anxiété. Ils sont aussi le traitement de référence de la douleur neuropathique et plus récemment du prurit neuropathique. Il faut augmenter la posologie progressivement car leur tolérance peut être limitative, avec, en particulier, somnolence, vertiges et prise de poids. Gabapentine et prégabaline peuvent aussi être utilisées pour traiter le prurit au cours de l'insuffisance rénale ou le prurit cholestatique.

Prurit psychogène

Si le prurit véritablement psychogène est rare, les prurits sont aggravés par le stress ou par un état anxiodépressif sous-jacent. L'hydroxyzine (Atarax®) est un antihistaminique qui est aussi anticholinergique et anxiolytique. Elle a donc une place importante dans le traitement de nombreux prurits. Les antidépresseurs peuvent aussi avoir un intérêt remarquable. Ils agissent sur le système sérotoninergique, parfois cholinergique ou noradrénergique, et sont efficaces dans de nombreux prurits, au moins partiellement. Les inhibiteurs de recapture de la sérotonine sont nettement plus maniables et mieux tolérés que les tricycliques.

Nouvelles voies thérapeutiques

À l'heure actuelle, le traitement symptomatique du prurit reste limité et très en retard par rapport aux traitements antalgiques. Heureusement, les énormes progrès réalisés dans la compréhension du prurit ces 20 dernières années permettent d'envisager de nouvelles voies thérapeutiques, avec des essais cliniques récents ou en cours pour les explorer.

Les opiacés

Les opiacés sont la principale voie testée actuellement. L'activation des récepteurs mu des opiacés induit ou augmente le prurit, alors que celle des récepteurs kappa a l'effet inverse. La recherche se concentre donc sur des antagonistes des récepteurs mu ou des agonistes des récepteurs kappa. La naloxone (Narcan®), un mu-antagoniste, est essentiellement utilisée dans les prurits d'origine hépatique et dans les prurits secondaires à l'utilisation d'opiacés. Mais la naltrexone (Revia®), utilisable per os, est d'emploi beaucoup plus facile, à la dose de 1 cp/j. Ses effets sont plus clairs dans le prurit hépatique que dans le prurit rénal. La nalfurafine, un kappa-agoniste est commercialisée au Japon pour le traitement du prurit rénal chez les hémodialysés en permettant une réduction de 7,5/10 unités du prurit (contre 5,1/10 avec le placebo) [2]. Ce traitement par voie orale n'est pas commercialisé en France. La nalbuphine est disponible par voie intraveineuse en tant qu'antalgique et est efficace dans le prurit induit par les opiacés. Une forme orale est efficace dans le prurit urémique (3), et d'autres essais cliniques sont en cours.

Les antiémétiques

Les antagonistes des récepteurs de type 3 de la sérotonine, utilisés habituellement comme antiémétiques ont suscité un grand espoir dans les prurits d'origine rénale ou hépatique, mais se sont avérés très décevants.

Les neuromédiateurs

La substance P et les neurokinines A et B sont des neuro­médiateurs impliqués dans le prurit, qui se lient au récepteur NK1. L'aprépitant (Emend®) est un antagoniste de NK1 utilisé comme antiémétique. De nombreux cas cliniques et des études rétrospectives suggèrent une action antiprurigineuse puissante, en particulier au cours des lymphomes cutanés mais aussi de la dermatite atopique ou d'autres indications (prurigo nodulaire, prurit hépatique, etc.). Son AMM très restrictive pour les nausées chimio-induites limitent son utilisation. Des essais cliniques avec d'autres anti-NK1, le serlopitant ou le tradipitant sont très prometteurs, avec une réduction de l'intensité du prurit d'au moins 4 sur 10 chez la moitié des patients (4).

Les cytokines Th2

L'interleukine 31 (IL-31) est une cytokine Th2 impliquée dans le prurit au cours de la dermatite atopique, des lymphomes cutanés T épidermotropes, de la mastocytose et du prurigo nodulaire en particulier. Une étude de phase II avec un
anti-IL-31, le némolizumab a montré une réduction de 60 % du prurit à 12 semaines chez des patients atteints de dermatite atopique, alors qu'avec le placebo celle-ci n'était que de 21 % (5).

Les topiques

Des traitements topiques, vendus en tant que cosmétiques ou parfois dispositifs médicaux, peuvent avoir un intérêt. C'est le cas du polidocanol, qui diminue de manière significative le prurit histamine-indépendant (PAR2-ergique). Les antagonistes de TRPM8 comme le menthol ou le menthoxypropanediol réduisent nettement le prurit, en particulier au cours de la dermatite atopique. Ainsi, une étude contre le véhicule a montré une réduction du prurit de 79 % versus 41 % (6). Des produits contenant des extraits d'algue ou de thé vert semblent aussi avoir un intérêt. La palmitoylethanolamine peut activer les récepteurs CB2 (récepteurs périphériques des cannabinoïdes) et ainsi inhiber le prurit. Elle est aussi contenue dans quelques cosmétiques.

Les neurotrophines

Les neurotrophines coordonnent la sécrétion et la production de neuromédiateurs ainsi que la croissance neuronale. Elles sont très impliquées dans la sensibilisation périphérique au prurit en induisant une hyperplasie du réseau neuronal cutané. La plus connue est le Nerve Growth Factor (NGF), qui se lie au récepteur TrkA. Des anti-NGF et anti-TrkA ont été testés avec succès chez des patients ayant un prurit au cours du psoriasis par voie topique (7).

Les récepteurs ionotropes

TRPV1 est activé au cours des phénomènes prurigineux et douloureux. La capsaïcine l'active à court terme, mais l'inhibe à plus long terme. Elle peut être très efficace contre le prurit neuropathique en préparations magistrales. Des patchs contenant 8 % de capsaïcine (Qutenza®) sont commercialisés pour le traitement du prurit postzostérien, mais sont aussi efficaces dans d'autres prurits localisés, comme le prurit brachioradial ou la notalgie paresthésique (8). Une application unique, réalisée dans des centres spécialisés, permet d'avoir une rémission complète de plusieurs mois, voire définitive.

Conclusion

La recherche thérapeutique dans le prurit n'est pas facile, car l'effet placebo est toujours très important. Néanmoins, de nouveaux traitements vont arriver sur le marché au cours des prochaines années et la thérapeutique du prurit en sera transformée. Enfin, le développement de centres experts du prurit tel celui de Brest, et comme le demande le Livre blanc, les défis de la dermatologie en France, de la Société française de dermatologie, similaires aux centres de la douleur existant déjà, pourrait permettre une meilleure prise en charge, depuis le diagnostic jusqu'au traitement.II

Références

1. Misery L, Ständer S. Pruritus. Springer-Verlag, 2017.

2. Ueno Y, Mori A, Yanagita T. One year long-term study on abuse liability of nalfurafine in hemodialysis patients. Int J Clin Pharmacol Ther 2013;51:823-31.

3. Mathur VS, Kumar J, Crawford PW, Hait H, Sciascia T, TR02 Study Investigators. A Multicenter, Randomized, Double-Blind, Placebo-Controlled Trial of Nalbuphine ER Tablets for Uremic Pruritus. Am J Nephrol 2017;46:450-8.

4. Yosipovitch G, Ständer S, Kerby MB, et al. Serlopitant for the treatment of chronic pruritus: results of a randomized, multicenter, placebo-controlled phase 2 clinical trial. J Am Acad of Dermatol 2018;78:882-91.e10.

5. Ruzicka T, Hanifin JM, Furue M et al. Anti-Interleukin-31 Receptor A Antibody for Atopic Dermatitis. N Engl J Med 2017;376:826-35.

6. Ständer S, Augustin M, Roggenkamp D et al. Novel TRPM8 agonist coolong commound against chronic icth: results from a randomized, double-blind, controlled, pilot study in dry skin. J Eur Acad Dermatol Venereol 2017;31:1064-8.

7. Roblin D, Yosipovitch G, Boyce B et al. Topical TrkA Kinase Inhibitor CT327 is an Effective, Novel Therapy for the Treatment of Pruritus due to Psoriasis: Results from Experimental Studies, and Efficacy and Safety of CT327 in a Phase 2b Clinical Trial in Patients with Psoriasis. Acta Derm Venereol 2015;95:542-8.

8. Misery L, Erfan N, Castela E, et al. Successful treatment of refractory neuropathic pruritus with capsaicin 8% patch: a bicentric retrospective study with long-term follow-up. Acta Derm Venereol 2015;95:864-5.

Liens d'interêts

L. Misery déclare avoir des liens d’intérêts avec AbbVie, Amgen, Bayer, Beiersdorf, Bioderma, Biogen, Celgene, Expanscience, Galderma, Intercept, Janssen, Johnson & Johnson, Leo Pharma, Lilly, Menlo, MSD, Novartis, Pierre Fabre, Pfizer, Roche-Posay, Sanofi, Trevi, UCB.

auteur
Pr Laurent MISERY
Pr Laurent MISERY

Médecin
Dermatologie et vénéréologie
CHU, Brest
France
Contributions et liens d'intérêts

centre(s) d’intérêt
Dermatologie
Mots-clés