Éditorial

Qui de l'œuf ou de la poule dans des dermatoses à “dimension psychologique” ?


(pdf / 63,02 Ko)

Nous connaissons tous des patients qui racontent que leurs symptômes ou leur maladie cutanés ont commencé dans un contexte de stress, ou même après un événement précis. Nous en connaissons aussi beaucoup qui souffrent de maladies psychiques, en particulier l'anxiété et la dépression, mais aussi de conduites addictives (alcoolisme, tabagisme, etc.) dont ils disent qu'elles sont secondaires à leur maladie cutanée. Que pouvons-nous leur répondre ?

Deux thèses se sont longtemps affrontées et s'affrontent encore. D'un côté, certains voient dans les causes psychiques, le stress ou des événements de vie désagréables, la cause principale des lésions cutanées et même des maladies dermatologiques, allant parfois même jusqu'à proposer de traiter celles-ci par des psychotropes ou une psychothérapie. D'un autre côté, certains proclament que la vie psychique ne peut avoir aucune influence sur les maladies dermatologiques, allant jusqu'à exclure la composante psychique (et donc la personnalité) de leurs patients de toute prise en charge. Ces 2 points de vue ne peuvent être soutenus sérieusement, parce qu'ils reposent sur la même hypothèse erronée : le corps et le psychisme sont séparés.

Or, les données récentes de la science, en particulier l'imagerie cérébrale et la neurobiologie, montrent sans ambiguïté qu'il n'en est rien. Au contraire, toute pensée consciente ou inconsciente est indissociable d'une activité cérébrale et peut aussi s'accompagner d'un relargage de neuromédiateurs dans les organes, cela étant très bien démontré pour ce qui concerne la peau. De même, la présence de lésions inflammatoires cutanées s'accompagne d'une hyperactivation de certaines zones cérébrales et du relargage de cytokines qui vont jouer un rôle dans les fonctions cérébrales, et en particulier dans la vie psychique.

Cela étant acquis, on peut se poser la question de savoir qui est la poule et qui est l'œuf. Il est en général impossible de répondre à cette question, et il existe des situations bien différentes. Les plus simples seraient celles où des lésions cutanées sont induites par un trouble psychique (pathomimie, par exemple) ou bien celles où des troubles psychiques (une dépression, par exemple) et une maladie cutanée (un psoriasis, par exemple) n'ont aucune relation. Mais peut-on en être si sûr ? En général, il est totalement impossible de répondre à la question car une maladie dermatologique est une cause de stress, et le stress est un des principaux facteurs aggravants de toute maladie dermatologique, surtout si elle a une composante inflammatoire ou immunitaire : se met alors en place un cercle vicieux qu'il faut rompre.

Enfin, il existe des cas complexes où les patients se présentent notamment avec une stomatodynie, une vulvodynie ou un prurigo. C'est typiquement dans ce type de situation que les “combats” entre les “ultra-somaticiens” et “ultra-psychiatrisants” sont les plus passionnés… et les plus incongrus. Les spécialistes de la douleur ont beaucoup avancé sur cette question et ils ont compris que toute douleur avait une composante psychique et une composante somatique, plus ou moins importantes selon les cas, et que l'origine de la douleur − initialement liée à une lésion ou à un problème neurologique ou psychique − n'a aucune importance puisque ces composantes vont finalement toutes être retrouvées et qu'elles sont étroitement liées. J'aime bien expliquer aux patients que personne n'est décapité, ce qui est une manière de dire que le cerveau est un organe interagissant avec les autres organes et qu'une de ces interactions (et même la principale) est la vie psychique.


Liens d'intérêt

L’auteur déclare avoir des liens d’intérêts avec AbbVie, Amgen, Bayer, Beiersdorf, Bioderma, Biogen, Celgene, Expanscience, Galderma, Intercept, Janssen, Johnson & Johnson, Leo Pharma, Lilly, Menlo, MSD, Novartis, Pierre Fabre, Pfizer, Roche-Posay, Sanofi, Trevi, UCB.