Grossesse après un cancer du sein : quand l'autoriser ? quels risques ? quelle surveillance spécifique ?
- La grossesse après cancer du sein n'augmente pas le risque de rechute, celui-ci semblant même diminué.
- Un délai d'environ 2 ans est généralement proposé pour laisser passer le pic des rechutes précoces.
- L'allaitement est possible et ne requiert aucune surveillance spécifique.
La grossesse après cancer du sein a longtemps été interdite et les interruptions de grossesse étaient la règle. L'inondation hormonale associée à la grossesse faisait craindre une majoration du risque de rechute, ce d'autant que l'hormonothérapie avait démontré son efficacité tant dans le traitement des patientes atteintes d'un cancer du sein métastasé que dans le traitement en situation adjuvante.
Cependant, dès les années 1980, plusieurs études cas-témoins ne montraient pas d'augmentation du risque de rechute chez ces femmes. Nous avions par exemple, à l'hôpital Saint-Louis, colligés 68 cas de grossesse après cancer du sein. 27 patientes avaient eu une ou plusieurs grossesses interrompues à un stade précoce. 41 patientes avaient eu au moins une grossesse non interrompue et avaient été appariées à 136 témoins. Il n'avait pas été observé de différence de survie, avec une survie à 10 ans des 68 patientes de 71 % (90 % pour les N–). Il n'y avait pas de différence qu'il y ait eu interruption de grossesse ou non. En l'absence d'envahissement ganglionnaire, on observait donc un excellent taux de survie, et ce quel que soit le délai entre le cancer et la grossesse. On en a conclu que l'on ne devait pas décourager ces femmes d'avoir des enfants (1).
Il faut noter que, parallèlement, les progrès effectués tant dans le diagnostic précoce que dans les thérapeutiques avaient permis de nettement améliorer le pronostic des patientes. Cependant, ces progrès thérapeutiques se sont accompagnés d'une altération potentielle de la fertilité avec due à la toxicité gonadique de la chimiothérapie et aux délais à la conception qu'impose l'hormonothérapie. Petit à petit les mesures de préservation de la fertilité chez ces femmes jeunes sont devenues une recommandation officielle de l'INCa et une obligation légale (loi n° 2011-814 du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique). Cette toxicité gonadique des traitements dépend de l'âge des patientes, des molécules de chimiothérapie, de leur dose, de la modalité et de la durée des traitements. Concernant le traitement du cancer du sein, les agents alkylants tel l'endoxan sont les plus gonadotoxiques.
Désir de grossesse après cancer du sein
En France, l'étude VICAN (Vie après le cancer) s'est intéressée à une population âgée de 18 à 40 ans lors du diagnostic de cancer à l'aide de questionnaires renseignés en 2012 et en 2015. 46,9 % des femmes avaient eu un cancer du sein. 37,5 % avaient un désir de grossesse et, parmi elles, 24,5 %, un fort désir. 67,4 % des femmes ont déclaré ne pas avoir eu de conseil en oncofertilité avant le début des traitements. Sur les 432 femmes de l'étude, seulement 14 ont eu un enfant dans les 5 ans suivant le diagnostic (3,2 %), et 23,8 % parmi celles qui désiraient une grossesse. Il semble donc y avoir toujours un manque d'information auprès de ces femmes de la part des équipes d'oncologie (2).
Les études menées de par le monde retrouvent grosso modo le même pourcentage de femmes enceintes après avoir eu un cancer du sein. B. Gerstl et al. ont effectué une revue de la littérature et une méta-analyse de 16 études. Ils ont retrouvé que parmi 1 287 patientes traitées (moyenne d'âge 33 ans) 14 % ont été enceintes mais que, parmi celles-ci, 12 % ont fait une fausse couche et 21 %, une interruption de grossesse (3). Cette étude a mis en évidence que les femmes qui avaient été traitées pour un cancer du sein avaient en moyenne 40 % de chances en moins d'être enceinte par rapport à la population générale. Par ailleurs, le fait de savoir que l'on peut avoir un enfant après avoir eu un cancer améliore le vécu des traitements et diminue les répercussions psychologiques pendant la prise en charge thérapeutique (4).
Pronostic des patientes ayant eu une grossesse
après avoir été traitées pour un cancer du sein
Les méta-analyses publiées sur le sujet ces dernières années montrent une réduction du risque de rechute chez les femmes qui sont enceintes après avoir eu un cancer du sein. Il n'a pas non plus été mis en évidence d'excès de risque de rechute en cas de tumeur RE+. Cet effet bénéfique s'expliquerait par l'healthy mother effect : les femmes en début de grossesse auraient de base un meilleur pronostic. Mais il existe d'autres pistes à creuser : le rôle protecteur de l'HcG (5, 6), de la prolactine et des fortes doses d'estrogènes, ainsi que les interférences avec l'immunité maternelle (7).
En 2011, H. Azim et al. ont repris 14 études, 1 244 cas ont été appariés à 18 145 témoins. Ils ont retrouvé 41 % de réduction de mortalité chez les femmes ayant été enceintes après le traitement de leur cancer (PRR = 0,59 ; IC95 : 0,50-0,70) (8).
E. Hartman et al. ont rapporté en 2016 une méta-analyse de 19 études et ont retrouvé également un gain en survie chez les femmes enceintes (pHR = 0,63 ; IC95 : 0,51-0,79) (9).
Une étude canadienne publiée en 2017 et non prise en compte dans les méta-analyses antérieures retrouve des résultats similaires : les femmes enceintes, 6 mois et plus après avoir eu un cancer du sein, ont un meilleur pronostic que les femmes non enceintes avec une survie à 5 ans de 96,7 versus 87,5 % (HR = 0,22 ; IC95 : 0,10-0,49 ; p < 0,001) (10).
En est-il de même en fonction du statut de la tumeur par rapport aux récepteurs hormonaux (RH) ? H. Azim et al., toujours, ont mené une étude rétrospective multicentrique comparant 333 patientes enceintes à 874 patientes non enceintes. Ils n'ont pas retrouvé de différence statistiquement significative en fonction des récepteurs :
- RH+ : HR = 0,91 (IC95 : 0,67-1,24) ;
- et RH– : HR = 0,75 (IC95 : 0,51-1,08).
Ils ont noté une meilleure survie globale des femmes enceintes, et ce indépendamment des récepteurs : HR = 0,72 (IC95 : 0,54-0,97) (11). Cette série a été actualisée et publiée en 2018 avec une médiane de suivi de 7,2 ans. La survie sans rechute n'est pas différente en fonction des RH :
- RH+ : HR = 0,94 (IC95 : 0,70-1,26) ; p = 0,68 ;
- RH– : HR = 0,75 (IC95 : 0,53-1,06) ; p = 0,10 ;
de même que la survie globale :
- RH+ : HR = 0,84 (IC95 : 0,60-1,18) ; p = 0,32 ;
- RH– : HR = 0,57 (IC95 : 0,36-0,90) ; p = 0,01 (12).
Dans cette étude, il n'a pas été mis en évidence d'effet délétère des avortements, du moment de la survenue de la grossesse, de l'allaitement ainsi que du type de traitement adjuvant. Il en est de même en cas de mutation BRCA : dans cette population également, la grossesse après un cancer du sein n'augmente pas le risque de rechute (13, 14).
A. Valachis et al. se sont intéressés à l'healthy mother effect et ont effectué une méta-analyse en reprenant des études permettant d'éliminer ce biais. Ils ont apparié ainsi 1 089 patientes ayant été enceintes à 13 051 témoins. Les grossesses devaient avoir débuté au moins 10 mois après le diagnostic. Ils ont conclu également à un gain en survie chez les femmes ayant été enceintes après le traitement de leur cancer : HR = 0,51 (IC95 : 0,42-0,62) (15).
Faut-il proposer un délai ?
Délais et risque de rechute
En fait les délais proposés sont liés au risque de rechute spontanée associé aux différents cancers dans le but de limiter au minimum l'association rechute et grossesse. Il existe des cancers associés à un risque de rechute précoce dans les 2 ou 3 premières années : les cancers avec un important envahissement ganglionnaire, les cancers triple-négatifs, les cancers surexprimant HER2. Pour les cancers luminaux A (RE+, RP+, HER2– et avec un KI67 < 15 %), le risque de rechute est faible, mais persiste au fil du temps. Il n'y a donc pas de raison objective d'attendre une fois les traitements terminés. Dans l'étude de B. Mueller et al., le pronostic est plus mauvais si l'accouchement survient dans les 3 mois suivant le diagnostic, mais au-delà de 6 mois il n'a pas été mis en évidence de différence de pronostic entre les grossesses précoces et les grossesses survenant plus de 10 mois après le diagnostic (16). Il en est de même dans l'étude de A. Ives et al. (17) ainsi que dans l'étude précitée de J. Iqbal et al. (10). Pour les cancers de bon pronostic il n'y a donc pas de raison d'attendre plus de 6 mois après le diagnostic.
Délais et traitements
Il est généralement conseillé d'attendre 6 mois après la fin de la chimiothérapie et entre 3 et 6 mois après la fin de l'hormonothérapie (18). Cependant, la durée en elle-même de l'hormonothérapie constitue un problème. En effet, une patiente ayant commencé une hormonothérapie à 38 ans aura 43 ans après 5 ans d'hormonothérapie, et ses chances de grossesse seront considérablement réduites. Que dire si l'hormonothérapie doit durer 10 ans ! Nous proposons donc parfois de suspendre l'hormonothérapie après 2 ou 3 ans de traitement et de la reprendre dès que possible après l'accouchement. Il n'y a bien sûr jamais eu d'essai randomisé sur le sujet, mais l'étude POSITIVE, menée conjointement par l'International Breast Cancer Study Group et le groupe ALLIANCE aux États-Unis, collige les cas.
Peut-on allaiter après avoir eu un cancer du sein ?
L'allaitement est possible et n'est pas contre-indiqué après traitement pour cancer du sein. Le sein opéré et irradié peut cependant produire moins de lait, probablement en association avec la fibrose post-radique ; certaines patientes rapportent des douleurs notamment au niveau de la plaque aréolomamelonnaire. Il est possible de n'allaiter que d'un sein (19). Il n'a pas été mis en évidence de risque accru de rechute chez les patientes qui allaitent (20). Une étude menée en Alsace a abouti aux mêmes conclusions (21).
Peut-on envisager une aide à la procréation
chez une patiente ayant eu un cancer du sein ?
Il existe peu d'études sur ce sujet qui sera traité par ailleurs dans ce numéro de La Lettre du Sénologue (article de Jennifer Flandrin et al.). O. Goldrat a rapporté une étude européenne multicentrique rétrospective de 198 patientes ayant eu une grossesse après avoir été traitées pour un cancer du sein. Une comparaison entre 34 grossesses post-AMP (après le traitement) et 247 grossesses sans AMP a été effectuée. Il n'a pas été mis en évidence de différence quant à l'évolution du cancer entre les 2 groupes (p = 0,54) (22). A. Azim et al. (23), J. Kim et al. (24) et K. Rodriguez-Wallberg et al. (25) ne retrouvent également pas d'augmentation du risque.
Quelle surveillance spécifique ?
Il n'y a pas de surveillance spécifique. Si la grossesse est programmée, il semble logique d'effectuer un bilan carcinologique avant son commencement, et en tous cas au minimum, outre l'examen clinique, une mammographie associée à une échographie et éventuellement à une IRM mammaire.
Conclusion
La grossesse est possible après un cancer du sein, y compris RH+. Elle n'en aggrave pas le pronostic, les études mettant même en évidence une diminution du risque de rechute. L'interruption de grossesse n'a donc aucun intérêt médical. L'allaitement ne doit pas être contre-indiqué. Des études se poursuivent quant à la possibilité d'utiliser si besoin des traitements inducteurs de l'ovulation.■
Références
1. Mignot L et al. [Pregnancy after treated breast cancer. Results of a case-control study]. Presse Medicale 1986;15(39):1961‑4.
2. Jegaden M et al. Fertility status perception, fertility preservation and desire to have children in cancer survivors: French VICAN survey. Future Sci OA 2018;4(10):FSO343.
3. Gerstl B et al. Pregnancy outcomes after a breast cancer diagnosis: a systematic review and meta-analysis. Clin Breast Cancer 2018;18(1):e79‑88.
4. Deshpande NA et al. Impact of fertility preservation counseling and treatment on psychological outcomes among women with cancer: A systematic review. Cancer 2015;121(22):3938‑47.
5. Toniolo P et al. Human chorionic gonadotropin in pregnancy and maternal risk of breast cancer. Cancer Res 2010;70(17):6779‑86.
6. Albrektsen G et al. Clinical stage of breast cancer by parity, age at birth, and time since birth: a progressive effect of pregnancy hormones? Cancer Epidemiol Biomark Prev 2006;15(1):65‑9.
7. Janerich DT. The fetal antigen hypothesis: cancers and beyond. Med Hypotheses 2001;56(1):101‑3.
8. Azim HA et al. Safety of pregnancy following breast cancer diagnosis: a meta-analysis of 14 studies. Eur J Cancer 2011;47(1):74‑83.
9. Hartman EK, Eslick GD. The prognosis of women diagnosed with breast cancer before, during and after pregnancy: a meta-analysis. Breast Cancer Res Treat 2016;160(2):347‑60.
10. Iqbal J et al. Association of the timing of pregnancy with survival in women with breast cancer. JAMA Oncol 2017;3(5):659‑65.
11. Azim HA et al. Prognostic impact of pregnancy after breast cancer according to estrogen receptor status: a multicenter retrospective study. J Clin Oncol 2013;31(1):73‑9.
12. Lambertini M et al. Long-term safety of pregnancy following breast cancer according to estrogen receptor status. J Natl Cancer Inst 2018;110(4):426‑9.
13. Valentini A et al. The impact of pregnancy on breast cancer survival in women who carry a BRCA1 or BRCA2 mutation. Breast Cancer Res Treat 2013;142(1):177‑85.
14. Raphael J et al. Outcome of patients with pregnancy during or after breast cancer: a review of the recent literature. Curr Oncol 2015;22(Suppl 1):S8‑18.
15. Valachis A et al. Safety of pregnancy after primary breast carcinoma in young women: a meta-analysis to overcome bias of healthy mother effect studies. Obstet Gynecol Surv 2010;65(12):786‑93.
16. Mueller BA et al. Childbearing and survival after breast carcinoma in young women. Cancer 2003;98(6):1131‑40.
17. Ives A et al. Pregnancy after breast cancer: population based study. BMJ 2007;334(7586):194.
18. Azim HA et al. Motherhood after breast cancer: searching for la dolce vita. Expert Rev Anticancer Ther 2011;11(2):287‑98.
19. Azim HA et al. Breastfeeding in breast cancer survivors: pattern, behaviour and effect on breast cancer outcome. Breast 2010;19(6):527‑31.
20. Azim HA et al. Breast-feeding after breast cancer: if you wish, madam. Breast Cancer Res Treat 2009;114(1):7‑12.
21. Goetz O et al. [Breastfeeding after breast cancer: survey to hospital health professionals in Alsace]. Gynecol Obstet Fertil 2014;42(4):234‑9.
22. Goldrat O et al. Pregnancy following breast cancer using assisted reproduction and its effect on long-term outcome. Eur J Cancer 2015;51(12):1490‑6.
23. Azim AA et al. Safety of fertility preservation by ovarian stimulation with letrozole and gonadotropins in patients with breast cancer: a prospective controlled study. J Clin Oncol 2008;26(16):2630‑5.
24. Kim J et al. Long-term safety of letrozole and gonadotropin stimulation for fertility preservation in women with breast cancer. J Clin Endocrinol Metab 2016;101(4):1364‑71.
25. Rodriguez-Wallberg KA et al. Safety of fertility preservation in breast cancer patients in a register-based matched cohort study. Breast Cancer Res Treat 2018;167(3):761‑9.
Liens d'interêts
M. Espié déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.
G. Douchet et O. Nguyen n’ont pas précisé leurs éventuels liens d’intérêts.
Mots-clés
Autres articles sur « Cancer du sein »
Envoyer à un confrère
Merci de saisir l’e-mail de votre confrère :