Éditorial

L'implantation des vecteurs des arboviroses en métropole : quelles conséquences ?


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Sous l'influence du changement climatique, la France métropolitaine semble tendre à devenir une “zone tropicale à temps partiel”, propice au développement des arthropodes piqueurs et à la transmission d'arbovirus.

Les virus de la dengue, du chikungunya et Zika sont régulièrement la cause d'épidémies explosives touchant toutes les zones tropicales du globe. Cependant, la colonisation de 51 départements métropolitains par un de leurs vecteurs principaux, Aedes albopictus ou moustique-tigre, doit faire acter la sortie de ces arbovirus du champ de la pathologie du voyageur.

Arrivée d'Italie vraisemblablement il y a 15 ans, cette espèce invasive a trouvé dans les jardins et terrasses du grand sud de la France le gîte et le couvert, respectivement dans des gouttières encombrées, coupelles ou autres petites collections d'eau où les femelles pondent, et auprès des humains sur lesquels elles prélèvent les repas sanguins nécessaires à la production de leurs œufs.

Entre 2010 et 2018, A. albopictus a été impliqué dans 9 épisodes de transmission autochtone de dengue et 3 de chikungunya détectés de juillet à octobre en Provence-Alpes-Côte d'Azur et en Occitanie, régions les plus anciennement colonisées par le vecteur (1). Une détection rapide et une lutte antivectorielle efficace ont permis de circonscrire ces foyers d'une dizaine de cas, au plus, résidant dans un rayon de quelques centaines de mètres. Avec plus de 200 cas de chikungunya en Émilie-Romagne en 2007 et plus de 300 en 2017 répartis entre Rome, Anzio, dans le Latium, et la Calabre, l'expérience italienne montre que des épidémies d'ampleur restent possibles sous nos latitudes.

Le diagnostic rapide des infections à virus chikungunya, dengue et Zika est indispensable pour détecter toute introduction par un patient virémique ou toute chaîne de transmission locale dans les zones colonisées par A. albopictus. Tout cas confirmé doit être notifié au titre de la déclaration obligatoire à l'autorité sanitaire régionale au plus vite pour guider les actions de lutte antivectorielle requises. Une dengue, un chikungunya mais aussi un Zika, pour lequel on retrouve plus souvent un exanthème qu'une fièvre, doivent être considérés comme plus que de simples diagnostics différentiels du paludisme. Ce sont maintenant des causes de fièvre à évoquer au retour d'un séjour en zone tropicale remontant à moins de 15 jours ou en cas d'émergence documentée, notamment sur le territoire métropolitain. Parce que leurs zones de circulation et leurs présentations cliniques se recoupent largement, il convient de rechercher le diagnostic des 3 arboviroses simultanément. La confirmation diagnostique sera, de façon privilégiée, obtenue par RT-PCR en phase précoce, et par la mise en évidence d'une séroconversion sur des sérums appariés prélevés à 10 jours d'intervalle, en phase tardive.

Un diagnostic précoce est également nécessaire à la prise en charge rapide de possibles formes graves ou compliquées. La plupart des infections à virus chikungunya, dengue ou Zika sont spontanément résolutives, mais certains patients, en particulier les plus fragiles, peuvent développer des complications ; les plus fréquentes sont les arthralgies inflammatoires chroniques associées au chikungunya, le syndrome de Guillain-Barré et le syndrome congénital décrits pour le Zika, ou la dengue sévère.

Le dispositif de surveillance des arboviroses transmises par A. albopictus en France métropolitaine a pu détecter les émergences de façon suffisamment précoce pour les contenir, malgré une proportion non négligeable d'infections infracliniques. Toutefois, plusieurs facteurs incitent à maintenir un niveau élevé de vigilance dans les prochaines années. Les premiers effets du changement climatique pourraient s'avérer favorables à la transmission en allongeant la période d'activité d'A. albopictus tout en accélérant la réplication virale dans ce vecteur. La population exposée au risque arboviral continue à augmenter avec l'expansion constante de la zone colonisée par A. albopictus qui couvre maintenant une large partie de l'Île-de-France, où le nombre de voyageurs de retour de zone tropicale est particulièrement important. L'intensification des actions de lutte antivectorielle que l'on peut entrevoir expose au risque d'émergence de populations de moustiques résistantes aux insecticides.

Cependant A. albopictus n'est pas le seul vecteur d'arboviroses présent sur le territoire métropolitain.

Culex pipiens et Culex modestus sont impliqués dans le cycle de transmission du virus West Nile au sein des populations d'oiseaux présentes dans l'ensemble du pourtour méditerranéen. Largement implantés et très opportunistes, ces moustiques ont transmis le virus West Nile aux cours des années 2000 de façon sporadique aux humains et plus largement aux chevaux. En 2018, 26 cas humains dont 5 infections neuro-invasives ont été rapportés, principalement dans les Alpes-Maritimes. Dans un contexte d'implantation d'une nouvelle lignée virale dans le sud de l'Europe, une intensification de la transmission du virus West Nile en France est à prévoir dans les prochaines années.

D'autres arboviroses véhiculées par les tiques trouvent en France des conditions favorables à leur transmission. Des foyers actifs en Alsace et aux alentours de Nancy justifient de rechercher une encéphalite à tiques transmise par Ixodes ricinus devant un tableau associant fièvre et signes neurologiques centraux dans la région Grand-Est (2).

Enfin, en 2016 et 2018, des cas sporadiques de fièvre hémorragique Crimée-Congo ont été documentés pour la première fois en Espagne. Le trafic de bétail potentiellement porteur de la zoonose impose la vigilance quant à l'introduction de cet agent pathogène de classe 4 en Corse et partout dans le sud de la France continentale où la tique vectrice Hyalomma marginatum est présente (3).

Les changements à l'œuvre dans le paysage épidémiologique des arboviroses en France métropolitaine sont profonds. D'autres émergences capables d'avoir un impact sur la santé humaine sont à attendre. On ne les détectera précocement qu'en améliorant la connaissance de la biologie des vecteurs, en décelant leurs signes d'apparition chez leurs hôtes animaux éventuels, tout en observant attentivement la santé de la population.

Références

1. Franke F et al. Émergences de dengue et de chikungunya en France métropolitaine, 2010-2018. Bull Epidémiol Hebd 2019;19-20:374-82. 

2. Velay A et al. A new hot spot for tick-borne encephalitis (TBE): A marked increase of TBE cases in France in 2016. Ticks Tick Borne Dis 2018;9(1):120-5.

3. Stachurski F et al. ­Installation de la tique Hyalomma ­marginatum, vectrice du virus de la fièvre hémorragique de Crimée-Congo, en France continentale. Bulletin ­épidémiologique, santé animale et alimentation 2018;84(8):35-9.


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H. Noël déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.