Editorial

Le concept de One Health


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A priori, cet Éditorial apparaît quelque peu décalé des thèmes des articles de ce numéro de La Lettre du Neurologue. Mais il nous a semblé important d'aborder le concept de One Health, qui fait tache d'huile aux niveaux national et ­international. La ­parution d'un ouvrage ­pluridisciplinaire, venu des États-Unis, sur le thème de la santé planétaire, en est aussi l'occasion [1], comme les rencontres en trois webconférences de Prévention Santé réalisées sous l'égide ­d'Edimark et de l'Unim, partenaire d'Allianz sur le thème précisément de One Heath avec ­Mélanie Heard, Éric Delaporte et Jean-Daniel Lelièvre [2]. Un grand moment d'échanges à voir sans modération !

Avant la crise sanitaire liée au Covid-19, l'approche One Health, pourtant vieille comme le monde, structurée dès le début des années 2000 et portée par la FAO, l'OMS et l'OMSA, n'était connue que d'un cercle d'initiés. La santé globale, ou “une seule santé” (“one health”), met l'accent sur la convergence des problématiques de santé environnementale, humaine et animale. Elle tente de discerner comment des éléments sanitaires (pandémies, virus émergents, antibio­résistances, syndrome post-infection aiguë, etc.) interagissent avec d'autres déterminants (voyages, déplacements de populations, urbanisation, alimentation, déforestation, pollution, etc.), et ce à l'échelle individuelle, collective, nationale et internationale. L'approche sanitaire a glissé, peu à peu puis en accéléré, sous la pression de la crise du Covid-19 (qui aurait coûté en 2020, selon la Banque mondiale, près de 10 000 milliards de dollars à la planète), de la notion de “santé mondiale”, centrée sur la santé humaine et ses déterminants immédiats – y compris la gouvernance et le partage des moyens médicaux – à “une seule santé”. Un glissement conceptuel qui souligne l'interdépendance entre la nature, la faune et l'Homme, avec une perspective englobante, mondiale, qui saisit les phénomènes dans leur unicité pour les comprendre et proposer des solutions politiques, sociales et de santé publique. Cette approche nécessite au passage de repenser les institutions, à l'image de l'ANRS devenue l'ANRS-MIE (pour “maladies infectieuses émergentes”), ou du programme prioritaire PREZODE (Preventing ZOonotic Disease Emergence), initiative internationale proche de l'OMS ayant pour ambition d'améliorer la prévention des maladies infectieuses émergentes d'origine animale. On peut citer d'autres applications, comme, en France, la création du comité de veille et d'anticipation des risques sanitaires, présidé par le Pr ­Brigitte Autran, ou le think tank Santé mondiale 2030 [3].

Même s'il n'y a pas de consensus sur l'approche One Health, les termes qui y sont souvent associés sont “holistique”, “intégré”, “interdisciplinaire” et “coordonné”. De fait, les choses évoluent vite depuis la formulation du concept au début des années 2000, dans le sillage du SRAS, et la France s'efforce de rattraper son retard, car il n'y a à ma connaissance, dans les universités de médecine, aucun enseignement ou programme de recherche qui porte ce libellé. Les colloques One Health fleurissent çà et là depuis peu, mais jusque-là il n'existait en France qu'un seul DIU “Infections émergentes : approche One Health” [4], créé à l'initiative conjointe de l'université de Montpellier, de l'université Cheikh Anta Diop de Dakar et de l'Institut de recherche pour le développement (IRD) avec ­l'Inserm et le CNRS ; ce DIU a été pris d'assaut cette année, selon son principal organisateur, notre collègue Éric Delaporte.

Un ouvrage collectif vient d'être publié sous la direction de Samuel Myers et de Howard Frumkin, sous le titre Santé plané­taire, soigner le vivant pour soigner notre santé [1] ; il permet à chacun de s'emparer du sujet et de mesurer l'étendue et la complexité du concept, que l'on pourrait résumer de la façon suivante : promouvoir une vision holistique qui permette de reconnecter la santé des écosystèmes, des animaux sauvages et domestiques et des humains, tout en tenant compte des grands problèmes auxquels l'humanité est confrontée, comme le dérèglement climatique, la perte de biodiversité, la pollution, la désertification, l'urbanisation, etc. Tout est lié ou, pour reprendre la citation improprement attribuée à Pierre Dac, “tout est dans tout et inversement” : santé animale, santé environnementale et santé humaine. C'est le principe même de One Health, qui reste un enjeu majeur de la gouvernance des politiques publiques, qu'elles soient territoriales, nationales ou internationales.

L'ouvrage, rédigé par près de 40 auteurs, est constitué de 4 parties :

  • les fondamentaux de One Health ;
  • la santé des populations ;
  • transformer les menaces en occasion ;
  • “sauver notre population, sauver notre planète”, véritable plaidoyer pour une éthique de la santé planétaire dans ­l'espoir “d'un avenir radieux”.

On y perçoit combien la définition de la santé par l'OMS, vue comme “un état de complet bien-être physique, mental et social” est totalement dépassée dans la situation d'intrication des phénomènes environnementaux, animaliers et humains, comme l'a révélé, une nouvelle fois et très lourdement, la crise du Covid-19.

On relira, en parallèle de cet imposant ouvrage, l'avis du 8 février 2022 de l'ancien Conseil scientifique Covid-19 [5], qui permet de comprendre combien cette crise sanitaire a démontré la nécessité de mettre en œuvre des approches intégrées de la santé : One Health ne se résume pas aux maladies infectieuses (même si 65 à 70 % des maladies émergentes sont précisément d'origine infectieuse, et pour une grande majorité d'entre elles des zoonoses) ; cet avis vient d'être transformé en publication dans le Lancet [6].

On peut citer quelques exemples qui éclairent la diversité de l'approche One Health. S'agissant de la production alimentaire, un chapitre du livre rappelle que pour se nourrir, la planète consomme 40 % des terres libres de glaces, 50 % de l'eau douce d'irrigation, 90 % des stocks de pêche contrôlée et participe très largement à l'émission de gaz à effet de serre, tout en précisant que 7 à 11 millions d'hectares de forêts tropicales et tempérées ont été rasées, avec les conséquences que l'on sait sur les zoonoses. Une étude du Lancet de 2015 [7] a montré par exemple que le déclin des insectes pollinisateurs avait un impact négatif, non seulement en termes de calories, mais aussi en termes de nutriments (vitamine A, folate, calcium). En modélisant dans 152 pays ­l'effet d'une diminution de 50 % de la pollinisation, on obtient 700 000 décès supplémentaires par cardiopathie, AVC, ­cancer, etc. À l'inverse, le rapport d'EAT-­Lancet 2019 [8], ­établi par 37 scientifiques, modélise qu'un régime alimentaire de santé planétaire, appelé flexitarien (en clair : riche en végétaux, avec une petite proportion d'aliments d'origine animale), diminuait de 11 millions les décès annuels dans le monde (−20 %)… Le défi alimentaire de demain est triple :

  • nourrir sainement une population en plein essor, avec un lien direct entre malnutrition et morbimortalité ;
  • faire face au contexte de raréfaction de l'eau, de dégradation des terres arables, de la pêche et de diminution des insectes pollinisateurs ;
  • réduire l'empreinte écologique de cette production alimentaire, car elle représente 22 % de notre empreinte carbone, soit le 3e poste le plus émetteur de gaz à effet de serre, après le transport (30 %) et le logement (23 %).

Les liens entre urbanisation, transferts de populations induits par celle-ci et zoonoses sont connus depuis des lustres. Ce sont des thèmes classiques, comme celui du lien entre la déforestation de la forêt amazonienne au Brésil et l'augmentation du paludisme, liée notamment à l'intense reproduction de l'anophèle, dont le nombre croît avec la déforestation. Sujet qui renvoie à l'implémentation de One Health en termes politiques, particulièrement d'actualité avec les dernières élections brésiliennes, puisque durant le mandat précédent de Jair Bolsonaro, le Brésil a augmenté de 70 % la déforestation de la forêt amazonienne. Cet enjeu One Health était d'ailleurs au cœur de la campagne électorale.

Autre exemple, moins discuté, celui de la poussée écologique de la végétalisation des villes, qui n'est pas sans poser de problèmes, notamment en Chine, avec l'importation, consécutive à cette végétalisation, de différents vecteurs comme les Aedes albopictus. Végétalisation qui est souvent couplée à l'urbanisation qui, si elle permet le développement des infrastructures sanitaires, accroît aussi l'immigration rurale soudaine, qui conduit à transporter des populations non immunes dans des lieux où différents pathogènes des zoonoses existent.

Le modèle de l'hantavirus, qui existe en Asie et sur le continent américain, est un autre exemple typiquement One Health, car les rongeurs qui en sont les vecteurs prolifèrent avec l'urba­nisation. Cette maladie a touché 1,4 million de personnes entre 1950 et 2010, faisant 45 000 morts en Chine et en menaçant 1,4 milliard. Par deux mécanismes : une immigration rurale soudaine qui accompagne l'urbanisation et la prolifération de deux races de rongeurs porteurs de souches pathogènes. Deux espèces synanthropiques : l'une (Rattus norvegicus) qui prospère dans les villes, l'autre (Apodemus agrarius) qui prolifère lors du déboisement et la conversion en terres agricoles qui accompagnent l'urbanisation.

La lecture de cet ouvrage et de l'avis du Conseil scientifique permet en outre de ne pas voir la santé humaine uniquement sous l'angle des maladies transmissibles, et parfois de tordre le cou à certaines idées préconçues sur le monde animal, souvent par méconnaissance. Par exemple la chauve-­souris, modèle unique et diabolisé d'hôte de virus pathogènes, comme le rappelait si bien aux dernières JNI notre collègue Loïc Epelboin [9], et que l'on a évoquée dans l'actualité pour les infections à coronavirus, à Ebola ou certaines arboviroses de type fièvre hémorragique. Ce que l'on connaît moins, c'est le rôle joué par les chauves-souris
dans les écosystèmes : notamment les espèces insectivores, qui consomment précisément des vecteurs d'arbo­virose à hauteur de 1 kg par an. On pourrait aussi citer le cas de l'opossum, animal haï par toute une partie de la planète, alors qu'il présente une qualité particulière, celle de supprimer 96 % des larves de tiques présentes dans sa fourrure, véritable nettoyeur, protecteur de la transmission de la maladie de Lyme dont il est un hôte incompétent !

Au-delà de l'evidence-based du concept de One Health, il reste un certain nombre d'interrogations :

  • One Health ne bute-t-il pas sur les inégalités sociales qu'il pourrait creuser ? Par exemple, le déplacement des populations non immunes vers des zones infestées sous le poids de l'urbanisation, qui ne bénéficie pas à tous de manière équitable. S'agissant de l'urbanisation, on observe une densité de moustiques de type Aedes plus importante dans les quartiers pauvres des villes, de même que pour les rongeurs et les hantavirus, en Asie notamment. Et que dire de l'accès au programme alimentaire de santé planétaire [6] basé sur un régime flexitarien ? Est-il déclinable aux populations les plus pauvres, aux pays du Sud ?
  • One Health, c'est avant tout la rencontre contre-nature entre des cultures et des sciences qui ont peu l'habitude de ­co­exister, même en période de crise sanitaire : anthropologues, médecins, vétérinaires, climatologues, écologistes, modélisateurs, économistes, ethnologues, politologues… profanes ? Comment décloisonner les disciplines ? Les récentes crises sanitaires, notamment celle du Covid-19, ont-elles engagé un mouvement dans ce sens ?
  • Vu les enjeux interministériels de One Health, est-ce que finalement ce ne sont pas l'économie politique et les lois [10] qui auront le dernier mot sur la science ?

Références

1. Myers S, Frumkin H. Santé planétaire. Soigner le vivant pour soigner notre santé. Rue de l’Échiquier: 2022.

2. https://evenements.unim.asso.fr/1711-2022-grps/registration/inscription-

3. http://santemondiale2030.fr/

4. https://du-diu-facmedecine.umontpellier.fr/diplome-international-infections-emergentes-­approche-one-health-201

5. https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/contribution_conseil_scientifique_8_fevrier_2022_one_health.pdf

6. Lefrançois T et al. After 2 years of the COVID-19 pandemic, translating One Health into action is urgent. Lancet 2022;S0140-6736(22)01840-2.

7. Smith MR et al. Effects of decreases of animal pollinators on human nutrition and global health: a ­modelling analysis. Lancet 2015;386(10007):1964-72.

8.https://www.thelancet.com/commissions/EAT

9. https://www.infectiologie.com/UserFiles/File/jni/2022/com/jni2022-st7-01-epelboin.pdf

10. Carlson CJ, Phelan AL. International law reform for One Health notifications. Lancet 2022;400:462-8.


Liens d'intérêt

G. Pialoux déclare ne pas avoir de liens d’intérêts en relation avec cet article.