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Raconté à Juliette

Les cellules NK


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Pour une fois, Juliette, je t'invite à une promenade contemporaine, entièrement dans les XXe et XXIe siècles, pour traquer des cellules longtemps inconnues, les lymphocytes dits “Natural Killer” ou “tueurs spontanés”.

Tout commence dans les années 1960, avec les travaux sur la cytotoxicité. Je t'épargne, Juliette, un rapport détaillé de ces expérimentations, mais la lecture de ces articles met en évidence la ténacité et le courage des chercheurs, il y a à peine 60 ans, pour tenter de comprendre des caractéristiques maintenant évidentes pour nous. À cette époque de l'immunologie expérimentale, reposant quasi exclusivement sur des modèles animaux ou des expérimentations in vitro, la notion d'immunité cellulaire balbutie. Elle est surtout portée par l'observation, dans des modèles de greffes, de l'absence de l'apparition d'anticorps contre le greffon chez les receveurs, du transfert de l'immunité conduisant au rejet de greffe avec des cellules ganglionnaires ou spléniques mais pas avec du sérum, et de la survie des greffons d'animaux immunisés en l'absence de contacts cellulaires1. D'autres travaux commencent à explorer l'immunité antitumorale. Ainsi, en 1961, Werner Rosenau publie avec Henry D. Moon un article dans le Journal of the National Cancer Institute qui suscite un grand scepticisme. Ils rapportent les résultats d'un modèle démontrant directement la lyse de cellules tumorales autologues par des lymphocytes sensibilisés. Ces lymphocytes, provenant d'animaux préalablement immunisés par une lignée homologue (cellules L), ont été mis au contact de cellules L in vitro dans un milieu de culture synthétique. Les auteurs observent au microscope que les lymphocytes se regroupent autour des cellules L qui changent de forme, avec des images caractéristiques de cytopathogénicité, et qui sont finalement détruites. Ces effets cytopathogènes et cytotoxiques surviennent en l'absence de complément. Une étude en immunofluorescence démontre l'absence d'anticorps sur les cellules L avant leur lyse et le sérum des souris immunisées ne contient pas d'anti­corps contre les cellules L. C'est donc bien le contact lymphocyte/cellule cible qui intervient. L'intérêt des auteurs bifurque alors vers les détails de ces interactions dans des modèles de greffe homologue et d'immunité antitumorale chez des animaux isogéniques2. De plus en plus d'équipes s'intéressent à ce domaine, et les substances toxiques (lymphotoxines) produites par les cellules “tueuses” sont progressivement identifiées3. Surtout, les modèles mis au point par Rosenau et Moon sont utilisés pour tenter d'élucider ce nouveau concept de cytotoxicité cellulaire.

En 1966, un chercheur anglais de Leeds, Henry Smith, fait un nouveau pas important. Il publie, seul, dans le British Journal of Cancer, un article démontrant l'existence, indépendante d'une sensibilisation préalable, d'une cytotoxicité cellulaire à l'égard de cellules tumorales. Plusieurs travaux ont alors déjà démontré l'antigénicité de cellules tumorales issues de modèles de carcinogenèse chimique ou virale. Quelques rares observations ont aussi suggéré une immunité vis-à-vis de tumeurs spontanées, mais on ne connaît presque rien de l'antigénicité de ces dernières. Smith, lui, a monté une série d'expérimentations complexes et strictement contrôlées. Il confirme l'immunogénicité de tumeurs induites par le méthylcholanthrène, ce qui est cohérent avec des données déjà connues. Il tente aussi l'administration de cellules tumorales mélangées à des cellules spléniques. Il observe alors une inhibition de la croissance tumorale, même s'il utilise la rate de souris saines. Ce contrôle, anticipé “négatif”, lui fait supposer une “immunité innée” antitumorale.

En 1967, le groupe de chercheurs suisses de Karl Theodor Brunner développe le test de relargage du chrome-51 qui permet de progresser dans les travaux sur la cytotoxicité. Les cellules cibles sont préalablement incubées avec cet isotope et leur lyse se traduit par la libération du produit radioactif dans le milieu de culture. Cela permet notamment à Ronald B. Herberman4, ­en ­utilisant des souris nude5, qui en sont riches, d'identifier des cellules cytotoxiques particulières. Avec ses collaborateurs Myrthel E. Nunn, Howard T. Holden et David H. Lavrin, il publie, en 1975, 2 articles démontrant qu'il ne s'agit pas de lymphocytes T ni de macrophages, que leur cytotoxicité est indépendante du complément et qu'elles ne présentent pas de marqueurs de surface. Le terme de cellules N est proposé, pour les différencier des “cellules nulles” déjà identifiées comme capables de cytotoxicité anticorps dépendante (antibody-dependent cellular cytotoxicity, ADCC, voir infra).

En 1975 également, les Suédois Rolf Kiessling, Eva Klein et Hans Wigzell publient 2 revues tentant de faire le point sur les cellules tueuses murines. Ils confirment qu'il ne s'agit pas de monocytes, mais probablement de lymphocytes, cependant ni T ni B, de grande taille et granuleux (large granular lymphocytes, LGL). Leur origine médullaire est confirmée par des expériences de greffe de moelle à des souris irradiées, quel que soit l'âge de ces dernières, bien que le nombre de ces cellules diminue normalement au cours du vieillissement. En raison de leur caractère spontané (ne nécessitant pas d'immunisation préalable) et de leur potentiel cytotoxique, ils parlent pour la 1re fois de “Natural Killer”. Les cellules NK sont nées et on n'en connaît pas grand-chose… À cette époque, on ne sait d'ailleurs encore rien du TCR6 ni de l'importance des molécules du complexe majeur d'histocompatibilité (CMH)7 pour le fonctionnement des lymphocytes T.

Toujours au milieu des années 1970, une série de travaux explore la cytotoxicité lymphocytaire allogénique (allogeneic lymphocyte cytotoxicity, ALC), également appelée cytotoxicité naturelle. Il est montré qu'elle dépend de ces fameuses cellules NK, car elle existe chez les animaux nude et est indépendante des lymphocytes B. Des modèles complexes d'animaux hybrides (F1) sont développés, rejetant ou non des greffes de cellules de leurs parents, ces derniers différant par leur CMH. En particulier, William Ford, à Oxford, encourage ses doctorants à travailler sur ce phénomène. Ainsi, le Norvégien Bent Rolstad, dans ce laboratoire, met en évidence l'importance des interactions entre les cellules NK et les molécules du CMH, dans le modèle pourtant particulier du système d'histocompatibilité du rat. Le rôle précis des molécules du CMH dans la cytotoxicité NK reste cependant longtemps mystérieux. En 1981, le jeune doctorant Klas Kärre, dans le laboratoire de George Klein et sous la supervision de Rolf Kiessling, rédige sa thèse basée sur les souris F1 des modèles d'ALC. Il bute sur une formulation et finit par décrire ce que n'expriment pas les cellules sensibles à la cytotoxicité NK : leurs molécules CMH de classe I. Il élabore ainsi la théorie du “missing self”, le “soi manquant”, qu'il expose dans son mémoire publié par la suite. Reste à démontrer que les cellules NK identifient effectivement l'absence d'un signal, ce qui va à l'encontre de tout ce que l'on connaît alors du système immunitaire. Pour ce faire, il faut trouver des cellules sans CMH, à une époque où on est encore loin d'imaginer la possibilité d'inactiver des gènes in vivo et de faire des animaux knock-out8. L'idée, darwinienne, est de sélectionner des cellules résistant à une lyse induite par des anticorps anti-CMH et du complément. Là encore, Juliette, la ténacité va payer. D'ailleurs, Kärre raconte que son mentor l'avait prévenu, lui disant : “N'oublie jamais que le succès d'une sélection dépend de 2 facteurs : la force de la pression de sélection et la patience de l'investigateur.” Kärre s'embarque alors dans l'aventure, tuant des milliers de cellules jusqu'à générer une lignée dépourvue de molécules de classe I. Des souris sont inoculées, en particulier des souris nude sans lymphocytes T, et le miracle s'opère : un beau matin dans l'animalerie, les souris ayant reçu des cellules CMH+ présentent des tumeurs, mais pas une seule de celles ayant reçu la lignée défectueuse. En répétant les expérimentations, le modèle est affiné, d'autant qu'il est alors montré que de nombreuses tumeurs sont déficientes en molécules de classe I, échappant ainsi à la cytotoxicité des lymphocytes T CD8+ mais devenant par là même sensibles à la lyse NK. La charge tumorale est alors identifiée comme un facteur limitant de la cytotoxicité NK-dépendante.

Progressivement, l'existence de récepteurs activateurs et inhibiteurs est démontrée à la surface des cellules NK, qui, loin d'être “nues” comme on l'avait initialement pensé, sont incroyablement riches en récepteurs d'expression variable. Chaque cellule NK possède ainsi son propre répertoire de molécules activatrices et inhibitrices. En fonction des signaux reconnus ou absents, les cellules NK restent inactives ou, au contraire, exercent leur cytotoxicité. Les travaux d'Alessandro Moretta et de son équipe, à Gênes, dans les années 1990, ont été déterminants pour identifier et comprendre ces mécanismes. En particulier, la production de toute une série d'anticorps monoclonaux a permis d'identifier et de classer les récepteurs activateurs et inhibiteurs des cellules NK.

Trois notions importantes encore, Juliette, dans cette histoire si récente.

Tout d'abord pour te parler du mécanisme de la toxicité NK. C'est le même que celui utilisé par les lymphocytes T CD8+, et il dépend de la libération du contenu des granules cytoplasmiques de ces cellules. Ainsi, de la perforine est tout d'abord libérée, qui troue la membrane de la cellule cible. Des granzymes entrent alors dans le cytoplasme de la “proie” et activent son apoptose. Ces molécules ont été découvertes par Jürg Tschopp, un biochimiste suisse qui avait d'abord contribué à comprendre la lyse complément-­dépendante. En 1985, lors de son séjour postdoctoral à La Jolla, dans le laboratoire de Hans J. Müller-Eberhard et avec Eckhard Pollack, il avait en effet démontré la polymérisation de la molécule C9 à la surface de bactéries, conduisant à la formation de pores et, subséquemment, à la lyse osmotique du germe. Par la suite, s'intéressant à la cytotoxicité cellulaire, ces chercheurs ont mis en évidence la structure et les fonctions très proches de celles de C9 de la perforine, puis identifié les granzymes. Ces sérine protéases sont semblables à plusieurs molécules produites par les polynucléaires. Jürg Tschopp a aussi montré qu'en l'absence de perforine, les cellules NK peuvent conserver une activité cytotoxique, passant cette fois par le complexe Fas-Fas ligand.

Ensuite, il faut te dire un mot de l'ADCC, mentionnée brièvement plus haut. C'est un des moyens pour les cellules NK de détruire des cellules tumorales ou infectées par un virus. Elle fait intervenir une collaboration entre ces cellules de l'immunité innée et les anticorps issus de l'immunité adaptative. Dans ce mécanisme, la cellule à détruire exprime des antigènes qui sont d'abord reconnus par un anticorps d'isotype IgG. Les cellules NK portent à leur surface des récepteurs pour le fragment constant des IgG9, la molécule CD16. La liaison de CD16 à l'anticorps fixé sur la cellule cible active la cellule NK qui excrète alors sa perforine et ses granzymes, tuant ainsi la cible. La découverte de ce phénomène date de 1965 et revient à la Suédoise Erna Möller. En testant l'activité cytotoxique de lymphocytes vis-à-vis de cellules de sarcome, elle constata que l'addition de sérum de lapins préalablement immunisés contre ce sarcome augmentait la mort cellulaire. Le rôle des anticorps contenus dans ce sérum sera démontré par la suite. En revanche, le rôle de CD16 n'a été réellement identifié que plus de 20 ans plus tard, à la fin des années 1980.

Enfin, il est important d'évoquer le potentiel des cellules NK à produire des cytokines, en particulier de l'interféron gamma et du TNF (tumor necrosis factor)-alpha. La production d'interféron gamma est très rapide et cette cytokine permet, entre autres, l'activation des lymphocytes T vers un profil d'activité cellulaire plutôt qu'humorale. De plus, l'interféron gamma augmente l'expression des molécules du CMH, participant ainsi à activer les réponses T. Les cellules NK sont par ailleurs sensibles à plusieurs cytokines comme l'IL-2, l'IL-12, l'IL-15 ou l'IL-18 qui induisent leur production d'interféron gamma. Elles sont également très sensibles aux interférons de type I produits par les cellules dendritiques plasmacytoïdes en réponse à un contact avec des virus. Ces 2 types cellulaires de l'immunité innée collaborent alors pour stimuler à la fois la cytotoxicité NK et les réponses adaptatives.

Voilà, Juliette, pour l'histoire de ces cellules si importantes dans notre protection à l'égard des virus et des tumeurs. Si importantes et peut-être bien très anciennes, puisque des récepteurs proches de ceux des cellules NK ont été identifiés dans les urochordés ou tuniciers, colonies de petits invertébrés marins, mais cela est une autre histoire…■


1 Cela était effectué à l'aide de chambres de diffusion laissant seulement passer les molécules solubles et empêchant les contacts cellulaires.

2 On parle de modèles isogéniques lorsque des cellules ou des tissus sont transférés d'une souche de souris ou de rats vers des individus génétiquement identiques (lignées).

3 D'abord appelées lymphotoxines, on était loin alors de la description des interleukines et autres cytokines.

4 Un trentenaire talentueux, nommé en 1971 responsable de la section d'immunologie cellulaire et tumorale au National Cancer Institute Laboratory of Cell Biology de Pittsburgh.

5 Les souris nude sont dénommées ainsi en raison de leur absence de poils. Elles sont également athymiques et survivent grâce à leur immunité innée.

6 T-cell receptor, récepteur pour l'antigène des lymphocytes T.

7 MHC, HLA (human leukocyte antigens) chez l'homme. Les lymphocytes T CD4+ reconnaissent des antigènes exogènes présentés par des molécules HLA de classe II et les lymphocytes T CD8+ des antigènes endogènes présentés par des molécules HLA de classe I.

8 Ou souris KO, maintenant couramment utilisées.

9On les appelle FcR. Dans le cas des cellules NK, c'est la molécule CD16 ou FcRIII.

FIGURES

Les cellules NK - Figure

Liens d'intérêt

M.C. Béné déclare ne pas avoir de liens d’intérêts en relation avec cet article.