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Dossier

Constipation chronique : quel type de chirurgie d'exérèse ?


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L'exérèse chirurgicale colique a une place très limitée dans le traitement de la constipation chronique et ne doit être proposée qu'après échec de tous les traitements conservateurs. L'analyse de la littérature montre un niveau de preuve faible selon l'evidence-based medicine car les données sont insuffisantes et manquent de cohérence. La colectomie totale avec anastomose iléorectale est l'intervention chirurgicale de référence. Son taux de succès est de 85 % et le risque de récidive de 15 %. Des douleurs abdominales et/ou des ballonnements abdominaux sont notés dans 50 % des cas. Le risque d'échec grave à la suite d'une colectomie totale conduisant à une stomie définitive est de 5 %. L'occlusion du grêle sur bride est la principale complication chirurgicale à long terme après colectomie totale, avec une fréquence de 15 %. D'autres types de chirurgie peuvent être proposés (colectomie segmentaire ou anastomose cæcorectale), mais le risque d'échec est plus important qu'après anastomose iléorectale.


La résection colorectale a une place limitée dans la stratégie thérapeutique de la constipation chronique, puisqu'elle constitue un traitement fonctionnel radical. Elle reste donc une proposition thérapeutique de dernier recours et ne peut s'envisager qu'après échec des traitements conventionnels.

Ainsi, la prise en charge thérapeutique de la constipation chronique doit se faire impérativement dans le cadre d'une concertation pluridisciplinaire radiomédicochirurgicale. Le traitement chirurgical doit être proposé à des patients sélectionnés afin de garantir le meilleur résultat fonctionnel à long terme, même si ce dernier reste malheureusement incertain au vu des données de la littérature.

Les approches conservatrices mini-invasives, telles que la neuromodulation des racines sacrées et l'intervention de Malone, ne seront pas abordées dans ce chapitre.

Place de la chirurgie radicale

La constipation chronique est une affection médicale et doit être traitée en priorité de manière conservatrice, en s'appuyant sur la pharmacologie. Malheureusement, en cas d'échec de tout l'arsenal thérapeutique, soit dans moins de 10 % des cas, il faut envisager un traitement fonctionnel chirurgical radical, qui peut être efficace, mais entraîne une morbidité chirurgicale non négligeable.

Bien évidemment, l'indication de chirurgie sous-­entend au préalable une discussion multidisciplinaire afin de réaliser une sélection préopératoire rigoureuse des patients (bilan préopératoire complet), en excluant toute pathologie psychiatrique sous-jacente, de façon à garantir un bon résultat ­fonctionnel.

Type de chirurgie

Historiquement, le concept de colectomie totale a été décrit il y a plus d'un siècle dans le traitement chirurgical de la constipation réfractaire. Actuellement, la plupart des auteurs proposent toujours cette même intervention, à savoir une colectomie totale avec une anastomose entre l'iléon terminal et le haut rectum ou le segment distal du sigmoïde (anastomose iléorectale). Bien évidemment, il s'agit de la chirurgie la plus documentée dans la littérature, et donc de l'intervention de référence, recommandée par les sociétés savantes américaines [1] et européennes [2].

D'autres interventions chirurgicales ont été proposées : colectomie totale avec anastomose entre le cæcum et le rectum (anastomose cæcorectale) ; colectomie segmentaire réséquant la partie du côlon la plus impliquée dans le ralentissement du transit (colectomie droite ou gauche) ; coloproctectomie totale avec anastomose iléoanale en cas de mégarectum associé ou d'échec de la colectomie totale.

Un élément commun ressort de l'analyse de la littérature concernant le traitement chirurgical de la constipation chronique : le peu de données de haut niveau de preuve, en raison de la diversité et, surtout, de l'hétérogénéité de ces données et du manque d'études comparant, par exemple, les différentes procédures chirurgicales entre elles ou la chirurgie à un traitement médical.

Colectomie totale avec anastomose iléorectale

En pratique, cette chirurgie est le plus souvent réalisée actuellement par laparoscopie. Il est logique de penser que tous les bénéfices péri­opératoires connus de cette chirurgie dite mini-invasive s'appliquent à la chirurgie fonctionnelle. Il n'existe malheureusement que très peu de données comparant la chirurgie ouverte à la chirurgie laparoscopique. Y.H. Ho et al. [3], dans une étude comparative, ne retrouvaient pas de différence significative concernant la satisfaction post­opératoire (96 versus 100 % après laparoscopie). F. Marchesi et al. [4] concluaient également à l'absence de différence significative entre les 2 groupes concernant les résultats fonctionnels et la qualité de vie. La durée de la chirurgie par laparoscopie était plus longue, mais le risque d'occlusion du grêle sur bride était diminué de moitié (13,3 %, versus 6,7 % après laparoscopie).

La technique de résection colique est dite non oncologique et doit être faite au plus près du côlon afin de minimiser le risque de plaie nerveuse, et donc de séquelles génito-urinaires.

Enfin, d'après la plupart des auteurs, l'anastomose colorectale doit porter sur le haut rectum ; toutefois, certains préfèrent la réaliser au niveau du sigmoïde distal.

Taux de succès

Une revue exhaustive anglaise publiée en 2017 rapporte les résultats de 40 études internationales, soit 2 045 patients ayant eu une colectomie totale pour constipation chronique réfractaire [5]. La plupart des études (7 américaines, 11 européennes, 9 chinoises) étaient des études de cohorte de mauvaise qualité, avec seulement 1 étude comparative et 8 études prospectives. Par ailleurs, le recul était très variable, allant de 1 à 11 ans, avec une médiane de 4 ans. Il y avait une grande hétérogénéité des procédés d'analyse, avec un recueil par questionnaire de la fonction digestive dans seulement 16 études. Ainsi, parmi 1 616 patients, le taux global de satisfaction était de 85,6 % (IC95 : 81,4-89,3 ; I2 = 76,9 %).

Les recommandations américaines actualisées en 2016 [2] concluent à une amélioration clinique significative, après chirurgie, dans 50 à 100 % des cas.

Résultats fonctionnels

La même revue anglaise [5] montre, à long terme, une récidive de la constipation dans 15 % des cas (IC95 : 10-21). Les auteurs notaient des ballonnements abdominaux dans 10 à 40 % des cas. Des symptômes à type de diarrhées et/ou des troubles de la continence anale persistaient chez 5 à 15 % des patients.

Une étude américaine [6] montre, avec un recul moyen de 8 ans chez 30 patients ayant eu une colectomie totale, des résultats fonctionnels satisfaisants incluant un nombre moyen de selles de 2,5 par jour (variant de 1,0 à 6,0), des douleurs abdominales persistantes dans 13 % des cas, des ballonnements abdominaux (65 %), le recours à des laxatifs ou à des lavements (6 %) et à des antidiarrhéiques (6 %). D'autres auteurs [7] objectivaient au contraire des résultats plus mitigés, rapportant des douleurs abdominales persistantes dans 41 % des cas, des ballonnements (65 %), la nécessité de poursuivre un traitement laxatif dans 29 % des cas, et une incontinence anale et fécale avec émission incontrôlée de gaz et de selles liquides dans 47 % des cas.

Le taux d'échecs graves conduisant à la réalisation d'une iléostomie définitive varie dans la littérature de 0 à 28 %, pour une moyenne de 5 %. Une étude très récente [8], incluant 42 patients opérés d'une colectomie totale avec un recul médian de 15 ans, conclut à la nécessité d'une stomie définitive devant de mauvais résultats fonctionnels dans 19 % des cas, même si les auteurs soulignaient un taux élevé de satisfaction parmi les patients, y compris ceux qui, ayant subi une stomie, déclaraient ne pas regretter la chirurgie et avoir accepté le risque d'échec. Pourtant, si la stomie peut soulager les patients, un certain nombre de symptômes peuvent néanmoins persister, tels que le météorisme abdominal ou les ballonnements douloureux.

Résultats opératoires

Il s'agit d'une chirurgie majeure, même si actuellement les interventions sont réalisées dans la plupart des cas par laparoscopie. Le risque de complications postopératoires n'est pas négligeable, mais l'analyse de la littérature montre là aussi une grande variabilité.

La morbidité postopératoire rapportée dans la revue anglaise [5] était de 24,0 %, avec une mortalité périopératoire de 0,4 %. Le taux de fistules anastomo­tiques variait de 1 à 11 %, et une reprise difficile du transit (iléus réflexe prolongé) était notée dans 24 % des cas. La durée moyenne d'hospitalisation variait de 5 à 15 jours.

La morbidité à long terme est dominée par le risque d'occlusion intestinale sur bride, qui est d'environ 15 %, variant de 0 à 71 % selon les études. Le taux de réopération chirurgicale fluctue lui aussi de 0 à 50 %, avec une médiane de 18 %. Il est possible que le risque d'occlusion soit aujourd'hui plus faible grâce au développement de la laparoscopie, qui réduit le risque d'adhérences postopératoires.

Colectomie totale avec anastomose cæcorectale

Le principal avantage de cette technique consiste dans la conservation de la valvule iléocæcale, qui limiterait l'afflux de selles liquides dans le rectum, permettant d'améliorer les résultats fonctionnels, notamment en diminuant le risque postopératoire de diarrhée.

Les données de la littérature sont très hétérogènes [9, 10]. Les résultats fonctionnels postopératoires sont globalement satisfaisants, avec une moyenne de 4,8 ± 7,5 selles par jour et un taux de satisfaction de 78 %. Les résultats en termes de qualité de vie sont comparables à ceux de la colectomie totale conventionnelle. Dans une étude rétro­spective [10] comparant l'anastomose cæco­rectale et la colectomie totale avec anastomose iléorectale, les résultats fonctionnels étaient similaires, mais le risque de récidive ou de constipation persistante était significativement plus élevé et le taux de satisfaction significativement moins bon (73 versus 93 %).

Colectomie segmentaire

En pratique, la résection colique cible la partie du côlon responsable du ralentissement du transit. Définir cette topographie est difficile, ce qui limite la chirurgie segmentaire aux seuls cas de méga­sigmoïde. Certains auteurs recommandent pourtant cette technique, en soulignant la nécessité de bien documenter le bilan préopératoire, en incluant une scintigraphie du transit colique, afin de sélectionner les meilleurs candidats.

Peu de données sont disponibles dans la littérature, et les résultats sont encore très variables, différant selon l'expérience de chaque auteur (4 études, soit 99 patients). Globalement, l'analyse montre que le principal avantage serait une diminution du risque de diarrhée et d'incontinence anale, au prix d'un risque plus élevé de récidive de la constipation. C.H. Knowles et al. concluent à un risque d'échec élevé et rapportent un taux de récidive de la constipation après colectomie segmentaire de 26,8 versus 8,7 % après colectomie totale ­standard [5].

Une étude récente a confirmé en 2019 ces résultats en évaluant 50 patients opérés d'une colectomie droite ou gauche pour constipation entre 1993 et 2008 [11]. Le bilan préopératoire incluait une scintigraphie du transit. Sur un suivi médian de 19,8 ans, le taux d'échecs était de 26 %. Le taux de satisfaction était de 52 %. Le nombre de selles quotidiennes était significativement augmenté après chirurgie, et la prise de laxatifs était significativement moindre.

Coloproctectomie totale avec anastomose iléoanale

Cette chirurgie très radicale, “extrême”, est rarement rapportée dans la littérature. Elle est le plus souvent proposée chez les patients présentant une récidive invalidante, après colectomie totale et anastomose iléorectale ou en cas de mégarectum associé.

Une étude a évalué ses résultats fonctionnels chez 15 patients ayant eu cette chirurgie d'emblée pour constipation de transit entre 1993 et 1999 [12]. Tous les patients avaient eu une stomie temporaire, et aucun cas de fistule anastomotique n'était rapporté. Le nombre moyen de selles était de 5 par jour (extrêmes : 2-6). Une iléostomie définitive a été nécessaire pour 2 patients (13 %) au cours des 18 mois qui ont suivi l'intervention.

Facteurs prédictifs du résultat fonctionnel

Des facteurs prédictifs du pronostic fonctionnel après colectomie totale ont pu être identifiés :

  • le pays d'origine des populations étudiées : États-Unis (médiane : 94 %) versus Grande-Bretagne (médiane : 64 %) versus Europe (médiane : 67 %) ;
  • la durée des symptômes préopératoires : le résultat serait meilleur lorsque la constipation a débuté dans l'enfance (n = 2 ; 89 et 100 % de succès) plutôt qu'à l'âge adulte ;
  • des antécédents personnels, comme l'hystérectomie ou les troubles psychiatriques, qui seraient corrélés à un moins bon résultat fonctionnel ;
  • la durée du suivi ; plus longue, elle serait préjudiciable au taux de succès, qui est compris entre 94 et 100 % pour un suivi de moins de 3 ans et entre 39 et 87 % pour un suivi de 5 à 21 ans ;
  • le type d'étude réalisée : le taux de succès serait meilleur dans les études prospectives (n = 16 ; médiane : 90 %) que dans les études rétrospectives (n = 13 ; médiane : 67 %) ;
  • les critères de sélection des patients, comme les indications chirurgicales multiples telles que le mégarectum associé, la constipation postopératoire, les troubles neurologiques ;
  • le type de procédure chirurgicale : le risque de récidive semblerait plus faible après une colectomie totale avec anastomose iléorectale qu'avec les autres techniques chirurgicales.

Conclusion

La résection chirurgicale pour constipation chronique est une proposition thérapeutique de dernier recours après échec des traitements conservateurs médicaux et chirurgicaux. Elle doit être proposée chez des patients sélectionnés après un bilan préopératoire complet et nécessite surtout de bien informer les candidats à cette chirurgie du risque d'échec et des complications postopératoires.

La colectomie totale avec anastomose iléorectale est l'intervention de référence, car c'est la plus documentée. La place des colectomies segmentaires reste à définir par une identification précise du segment colique mis en cause.

Les résultats fonctionnels et opératoires semblent meilleurs dans un centre expert où la prise en charge est multidisciplinaire.■

Références

1. Locke GR 3rd et al. AGA technical review on constipation. Gastroenterology 2000;119:1766-78.

2. Paquette IA et al. The American Society of Colon and Rectal Surgeons’ Clinical Practice guideline for the evaluation and management of constipation. Dis Colon Rectum 2016;59:479-92.

3. Ho YH et al. Laparoscopic-assisted compared with open total colectomy in treating slow transit constipation. Aust N Z J Surg 1997;67:562-5.

4. Marchesi F et al. Laparoscopic subtotal colectomy with antiperistaltic cecorectal anastomosis: a new step in the treatment of slow-transit constipation. Surg Endosc 2012;26:1528-33.

5. Knowles CH et al. Surgery for constipation: systematic review and practice recommendations: Results I: Colonic resection. Colorectal Dis 2017;19 Suppl 3:17-36.

6. Pikarsky AJ et al. Longterm follow-up of patients undergoing colectomy for colonic inertia. Dis Colon Rectum 2001;44:179-83.

7. Thaler K et al. Quality of life after colectomy for colonic inertia. Tech Coloproctol 2005;9:133-37.

8. Patton V et al. Subtotal colectomy and ileorectal anastomosis for slow transit constipation: clinical follow-up at median of 15 years. Tech Coloproctol 2020;24:173-79.

9. Iannelli A et al. Laparoscopic subtotal colectomy with cecorectal anastomosis for slow-transit constipation. Surg Endosc 2006;20:171-3.

10. Xiao-Yu X et al. Surgical outcomes of subtotal colectomy with antiperistaltic caecorectal anastomosis vs total colectomy with ileorectal anastomosis for intractable slow-transit constipation. Gastroenterol Rep 2019;7:449-54.

11. Tsimogiannis KE et al. Long-term outcome after segmental colonic resection for slow transit constipation. Int J Colorectal Dis 2019;34:1013-9.

12. Kalbassi MR et al. Quality-of-life assessment of patients after ileal pouch-anal anastomosis for slow-transit constipation with rectal inertia. Dis Colon Rectum 2003;46:1508-12.


Liens d'intérêt

F. Bretagnol, D. Moszkowicz et D. Giovinazzo déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts en relation avec cet article.