Ces dernières années, les multiples alertes sur les risques sanitaires associés à l’émergence des arboviroses en Europe et en France hexagonale ont été éclipsées par la gestion de la pandémie de Covid-19. Jusqu’à très récemment, le scénario jugé prioritaire était celui de la transmission locale du virus de la dengue en France hexagonale. En 2025, c’est une autre arbovirose, le chikungunya, transmise par le même vecteur, le moustique Aedes albopictus, qui occupe à son tour l’espace médiatique. Cette menace oubliée depuis l’épidémie de grande ampleur survenue en 2005 à la Réunion et dans l’océan Indien est désormais une réalité et représente un nouveau défi.
Au 27 août 2025, 30 épisodes de chikungunya totalisant 228 cas (1 à 36 cas par épisode) ont été identifiés par le système de surveillance renforcée mis en place depuis le 1er mai 2025 [1]. La majorité des foyers de transmission sont situés au sud de la Loire, mais pour la première fois, un cas autochtone a été confirmé en Alsace, illustrant l’expansion continue vers le Nord du risque de transmission.
Ce nombre record de foyers de cas autochtones de chikungunya constatés cette année et leur précocité sont liés à la flambée épidémique de cas de chikungunya survenue à l’île de la Réunion (54 000 cas déclarés, 27 décès) et dans la zone de l’océan Indien. Deux facteurs expliquent l’ampleur de l’épidémie actuellement en pleine expansion (30 cas rapportés cette semaine à Bergerac) : d’une part, le corridor d’importation de voyageurs virémiques, infectés par une souche virale mutée et bien adaptée à Aedes albopictus (plus de 1 865 cas importés au 26 août 2025) ; d’autre part, l’expansion croissante du vecteur Aedes albopictus qui colonise désormais 81 départements du territoire hexagonal [2]. Fort heureusement, aucun décès n’a été signalé en France hexagonale, mais le tropisme articulaire du virus chikungunya fait redouter un nombre important de formes articulaires chroniques. Pour faire face à cette réémergence, la France dispose d’un système de surveillance des arboviroses depuis 2006. Ce dispositif fondé sur la surveillance renforcée de la dengue, du chikungunya et du virus Zika de mai à novembre permet une détection rapide des cas associée à des investigations épidémiologiques et entomologiques et des mesures de lutte antivectorielle limitant la diffusion locale du virus. Au cœur de l’été 2025, ce système de surveillance aussi performant que sensible a mobilisé des ressources humaines et financières importantes, montrant ainsi les limites du dispositif [3]. À la faveur de la mondialisation et du réchauffement climatique, la vulnérabilité de l’Europe aux maladies transmises par les moustiques est désormais une “nouvelle normalité”, terme utilisé récemment par le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies infectieuses (ECDC). Il faut donc apprendre à vivre avec ce virus.
Comment mieux anticiper la prochaine épidémie de chikungunya dont la survenue est considérée comme inéluctable ? Il faut optimiser la démarche existante en améliorant la coordination de la riposte et la sensibilisation des professionnels de santé et de l’ensemble des acteurs concernés dans le cadre d’une approche de prévention intégrée. En pratique, cette stratégie se heurte à de nombreux obstacles : défaut de moyens, défaut de formations des acteurs dont les professionnels de santé, difficultés multiples d’application des méthodes de lutte antivectorielle individuelles (efficacité, observance) et collectives (efficacité, toxicité des biocides, acceptabilité). Parmi les mesures de prévention à privilégier, trois actions complémentaires apparaissent prioritaires :
- la mobilisation des citoyens qui doivent s’approprier la culture du risque vectoriel (adoption de comportements adaptés à la lutte contre la prolifération des moustiques en France hexagonale) ;
- l’intensification de la recherche dans les domaines de la lutte antivectorielle (pièges, technique de l’insecte stérile) ;
- l’étude et la mise en place de stratégies vaccinales fondées sur les deux nouveaux vaccins existants dans les zones endémo-épidémiques, chez les voyageurs et dans les territoires hexagonaux colonisés par Aedes albopictus.
La lutte contre les arboviroses est un combat d’avenir qui nous concerne tous : mobilisons-nous !

