L’ostéoporose, caractérisée par une détérioration de la microarchitecture osseuse et une perte de densité minérale osseuse (DMO) exposant à un risque accru de fracture, est fréquente chez les femmes et encore souvent négligée et sous-évaluée chez les hommes [1‑3]. Des facteurs de risque multiples ont été identifiés, génétiques, nutritionnels, iatrogènes ou liés aux comorbidités. Les recommandations françaises sur la prévention et le traitement de l’ostéoporose [4‑7] soulignent l’importance des règles hygiénodiététiques, de la supplémentation en vitamine D, de l’activité physique, de l’utilisation d’outils d’évaluation et de suivi validés : ostéodensitométrie ; calcul du risque de fractures (FRAX®) ; marqueurs de la résorption osseuse incluant CTX (C-télopeptide du collagène de type I). Elles mettent également en avant la nécessité du traitement pharmacologique de l’ostéoporose chez les patients à risque élevé de fracture de fragilité. La prise en charge de l’ostéoporose peut toutefois être difficile à appréhender chez certains patients dont les situations cliniques sont complexes. Huit de ces situations sont discutées ici en fonction des données scientifiques et des avis d’experts.
L’insuffisance rénale chronique sévère
L’insuffisance rénale chronique (IRC) est à l’origine d’un trouble de la minéralisation osseuse et du niveau de remodelage osseux, ce qui peut induire une augmentation de la fragilité osseuse. Trois grands types d’atteinte osseuse peuvent résulter d’une IRC : l’ostéite fibreuse, l’ostéomalacie, l’ostéopathie adynamique, auxquelles s’ajoute l’ostéopathie mixte.
- Au cours de l’ostéite fibreuse, il est noté une prolifération des ostéoblastes et ostéoclastes, une augmentation du remodelage osseux, une fibrose médullaire extensive, l’absence de trouble de la minéralisation. Sur le plan clinique, les signes ne sont pas spécifiques : douleurs osseuses, faiblesse musculaire, prurit. Les radiographies peuvent montrer une résorption sous-périostée de la corticale des phalanges des doigts, une érosion des extrémités des clavicules, une ostéocondensation des plateaux vertébraux et des tumeurs brunes, images lacunaires sous-périostées ou intraparenchymateuses en lien avec l’hyperparathyroïdie. Au niveau biologique, la PTH est franchement augmentée, les phosphatases osseuses sont le plus souvent augmentées.
- L’ostéomalacie est un déficit de minéralisation osseuse et une diminution de la formation osseuse, qui résulte majoritairement d’une carence en vitamine D native (ou d’une intoxication en aluminium, cas rare de nos jours).
- L’ostéopathie adynamique (OA) est un déficit de minéralisation osseuse et une diminution de la formation osseuse ; l’activité cellulaire ostéoblastique et ostéoclastique est virtuellement nulle ; il est noté une absence d’accroissement du tissu ostéoïde. Il n’y a aucun signe clinique spécifique. L’atteinte peut être devinée sur les critères cliniques et la biologie (PAO basses, dissociation PAO et PTH).
Il est parfois difficile de conclure sur l’atteinte osseuse liée à l’IRC. Des PAO normales ou une élévation modérée de la PTH ne permettent pas d’exclure une OA, alors qu’une élévation des PAO permet de le faire. À l’inverse, un taux de PTH au-delà de 6 fois la limite supérieure de la normale ou une augmentation progressive lors de dosages répétés, suggèrent une hyperparathyroïdie secondaire qu’il convient de traiter (calcimimétiques ± forme active de vitamine D).
Les patients atteints de maladie rénale chronique (MRC) ont un risque accru d’ostéoporose et de fractures, et la mortalité cardiovasculaire post fracture chez ces patients présentant souvent plusieurs comorbidités reste élevée. Les patients atteints de maladie rénale chronique (MRC) ont un risque accru d’ostéoporose et de fractures. Le retentissement osseux de la MRC concerne la majorité des patients en stade IV (DFG 15‑29 mL/ min) et en stade V (< 15 mL/ min). La proportion de patients âgés de 70‑79 ans avec ostéoporose et DFG < 35 mL/ min est de 21 % et s’élève à 54 % chez les plus de 80 ans [8], avec une atteinte cumulative liée aussi à l’âge. Une revue Cochrane [9] montre que, chez les femmes ménopausées avec une MRC de stade IV, les médicaments anti-ostéoporotiques pourraient réduire le risque de fractures vertébrales. En cas d’insuffisance rénale sévère (DFG < 20 mL/ min), l’ostéoporose est le plus souvent associée à une hyperparathyroïdie secondaire ou tertiaire, parfois à une ostéopathie adynamique (OA), notamment chez le patient dialysé [8]. Il n’existe pas de traitement spécifique pour l’ostéoporose du patient dialysé, mais le contrôle de l’hyperparathyroïdie secondaire peut aider à maintenir la masse osseuse [10]. Des conduites à tenir ont été présentées dans la littérature [8, 11, 12]. Ainsi, chez les patients avec une MRC de stade IV et V, il est recommandé de surveiller les concentrations sériques de la parathormone (PTH), du calcium et du phosphate sérique, des phosphatases alcalines osseuses (PAO) et de la vitamine D pour un taux de 25(OH)D à maintenir au-dessus de 50 nmol/L [11]. Une PTH < 150 pg/mL étant prédictive d’une OA, les apports calciques doivent être limités et une biopsie, recommandée [8]. La biopsie osseuse, théoriquement nécessaire dans ces cas difficiles, est en pratique peu réalisée.
Enfin, il n’existe pas de consensus pour le traitement médicamenteux de l’ostéoporose chez les patients avec IRC ; la décision de traiter doit résulter d’une bonne évaluation de la balance bénéfice/risque, et d’un consensus entre rhumatologues et néphrologues.
Chez les patients ayant une MRC de stade IV-V/VD et un T-score < −2,5 ou des antécédents de fractures [8], la probabilité élevée d’une hyperparathyroïdie secondaire justifie de bien évaluer le patient avant d’instaurer un traitement anti-ostéoporotique. C’est particulièrement le cas pour le dénosumab, anticorps anti-RANK ligand humain, qui n’est pas contre-indiqué en cas de MRC sévère, car il n’est pas éliminé par les reins et ne semble pas avoir d’effet délétère sur le rein (étude FREEDOM [13]). Toutefois, une tendance à l’hypocalcémie, parfois profonde, a été notée, notamment lors d’une insuffisance en vitamine D. Il convient donc de bien contrôler le taux sérique de calcium et la 25(OH)D avant toute utilisation, comme cela est en réalité aussi recommandé en l’absence de MRC.
L’utilisation de bisphosphonates oraux et de traitements substitutifs de la ménopause, s’il n’existe pas de risque thromboembolique veineux, est aussi suggérée [8]. Toutefois, l’élimination rénale des bisphosphonates est un frein à leur utilisation dans ce contexte (utilisation hors AMM, nécessitant une information éclairée du patient et une concertation entre le néphrologue et le rhumatologue).
Enfin, les mesures hygiénodiététiques doivent être favorisées, incluant la pratique d’une activité physique, une alimentation satisfaisante et variée, la supplémentation en vitamine D et la prévention des chutes [12].
La corticothérapie au long cours
Environ 1 % de la population reçoit une corticothérapie au long cours [14] pour une grande variété de maladies. La prise de glucocorticoïdes augmente le risque de fractures de l’extrémité proximale du fémur et de la colonne vertébrale dès les plus petites posologies ≥ 2,5 mg/j, et de manière particulièrement marquée à partir de 7,5 mg/j. Le sur-risque de fractures vertébrales existe, y compris pour des valeurs ≤ 2,5 mg/ j. Des doses élevées, aussi bien quotidiennes (≥ 30 mg/j) que cumulées (≥ 5 g), augmentent le risque de fractures avec un pic dès 1 an. En France, la SFR et le GRIO ont émis des recommandations [15], reprises par la HAS [16] (figure) sur la conduite à tenir en cas de corticothérapie en cours (≥ 7,5 mg/j, ≥ 3 mois d’équivalent prednisone). Les agents anaboliques peuvent être recommandés en première ligne si le risque de fractures est élevé à très élevé, dans les conditions de remboursement définies en France.
Une étude récente [17] s’est intéressée aux glucocorticoïdes inhalés, topiques ou administrés par les voies épidurale ou intra-articulaire, et a souligné le manque de données sur leur retentissement osseux.
L’état buccodentaire
Il a été retrouvé dans la littérature, que l’ostéoporose, pathologie osseuse systémique, pourrait aussi avoir un retentissement sur la santé buccodentaire et périodontale, avec une diminution de la densité osseuse de la mâchoire, une sensibilité accrue aux pathologies périodontales, à l’affaiblissement de l’os alvéolaire qui entoure les dents, à l’inflammation périodontale et au déchaussement dentaire [18], même si ces constatations ne sont pas souvent faites en pratique clinique. Les cliniciens se trouvent souvent confrontés à une réticence des patients, de leur médecin ou de leur dentiste lorsqu’un traitement anti-ostéoporotique, en particulier les bisphosphonates, est proposé et que le patient a eu son évaluation dentaire. Les questions le plus souvent soulevées portent sur 3 points : la perte de dents à cause du traitement, le problème de la chirurgie et des extractions dentaires, et le risque d’ostéonécrose de la mâchoire lors du traitement avec bisphosphonates et dénosumab. Voici des éléments de réponse pour chacun de ces points :
- une étude récente sur 5 ans a montré qu’un FRAX® élevé et une ostéoporose non traitée sont des facteurs de risque pour la chute des dents et que le traitement de l’ostéoporose sur 3 ans n’augmente pas ce risque [19] ;
- les extractions dentaires, avant de commencer le traitement, ne sont pas toujours bien perçues par le patient auquel les bénéfices d’une bonne santé buccodentaire doivent être souvent réexpliqués. Les bisphosphonates et le dénosumab peuvent néces-siter une réhabilitation buccodentaire, à réaliser de préférence en amont de la prescription, sous réserve qu’il n’existe pas un risque imminent de nouvelle fracture imposant d’instaurer rapidement le traitement [20]. Un suivi dentaire au minimum annuel est recommandé. Aucun acte invasif n’est contre-indiqué, mais il doit respecter quelques précautions techniques, notamment pour éviter toute lésion de la muqueuse gingivale et sa bonne cicatrisation. L’arrêt du traitement en amont de la chirurgie n’a aucun intérêt, particulièrement pour les molécules ayant les effets les plus rémanents, comme l’acide zolédronique ou l’alendronate. Sous dénosumab, il est plutôt suggéré de réaliser ces gestes dans les 1 à 2 mois précédant l’injection à venir. Celle-ci pourra alors être différée en cas de retard de cicatrisation, selon la concertation entre le dentiste et le rhumatologue. Il est aussi observé que, lors d’une extraction dentaire sous bisphosphonates, plus la personne est âgée (> 80 ans) et prend de médicaments, plus la cicatrisation sera longue [21].
- Le lien entre ostéonécrose de la mâchoire et traitement par médicaments antirésorbeurs a été bien décrit, particulièrement lorsque ceux-ci sont utilisés en cancérologie, à des posologies 10 fois supérieures à celles validées dans l’ostéoporose [22]. Les études cliniques montrent que ce risque augmente lors d’une extraction dentaire, si la santé buccodentaire est mauvaise et si la durée du traitement excède 4 ans [23]. Toutefois, l’incidence de cette complication grave est très faible lors d’un traitement à posologie anti-ostéoporotique, quelle que soit sa voie d’administration, de l’ordre de 2 cas pour 10 000 patients-années, mais significativement plus élevée en cancérologie, de l’ordre de 1 à 10 cas pour 100 patients-années [24].
La bonne évaluation du rapport bénéfices/ risques du traitement entre santé osseuse et santé buccale implique la communication entre le rhumatologue, le dentiste et le médecin traitant, afin de sensibiliser le patient sur la nécessité d’une bonne hygiène buccodentaire et la régularité de visites chez le chirurgien-dentiste, tout en dédramatisant le sujet [20].
L’anorexie mentale
L’anorexie mentale est caractérisée par la peur de la prise de poids, par des restrictions alimentaires et par une image corporelle déformée, entraînant une restriction drastique des apports nutritionnels et conduisant à un faible IMC. Cette maladie touche environ 2,9 millions de personnes dans le monde, essentiellement des femmes, même si elle est décrite aussi chez les hommes [25‑27]. Elle débute en général à l’adolescence, période clé pour le développement du squelette et l’acquisition du pic osseux, et engendre un risque important d’ostéoporose. La perte de poids dérégule l’axe hypothalamo-hypophysogonadique et surrénalien, avec une diminution des taux d’estrogènes et d’androgènes induisant une augmentation de l’activité ostéoclastique, d’une part, et un hypercortisolisme déprimant la formation osseuse, d’autre part. Les taux faibles d’insulin-like growth factor-1 (IGF-1) et la malnutrition avec un déficit d’apports en protéines, vitamine D et calcium concourent également à cette dépression de la formation osseuse.
Jusqu’à 50 % des patients atteints d’anorexie ont des T-scores < −2 en DXA et plus de 90 % des T-scores ≤ −1, et la masse maigre est le plus important facteur prédictif de la DMO.
La prise en charge médicale et psychologique de l’anorexie mentale doit être précoce. Elle bénéficiera aussi à la santé osseuse, l’anorexie étant en effet associée à un risque important de fracture : 57 % de ces femmes auront au moins une fracture dans leur vie, un risque qui augmente dès le début de la maladie et qui peut se prolonger bien au-delà, 40 ans après le diagnostic. Une étude récente [28] a montré un ratio du taux d’incidence de fracture (IRR) de 2,2 (IC99 : 1,6‑3,0) chez 803 femmes de la cohorte nationale danoise, avec un IRR très élevé de fracture du fémur de 6,6 (IC99 : 2,6‑18,0). Ce risque de fractures élevé est en réalité mal prédit par la seule DXA. Des approches diagnostiques nouvelles, telles que le HR-pQCT et la mesure de l’adiposité médullaire, sont en cours d’évaluation. D’autres marqueurs pourraient être intéressants pour prédire le statut osseux, notamment l’adiponectine [29], la durée de l’anorexie, l’IMC ou le taux de phosphatases alcalines osseuses.
Concernant les traitements : le gain de poids est la donnée cardinale de l’amélioration de la DMO, sans ou avec un apport hormonal d’estrogène transdermal combiné à de la progestérone. Aucun des médicaments utilisés habituellement contre l’ostéoporose n’est autorisé pour traiter l’anorexie mentale des adolescents ou des jeunes adultes. Dans quelques cas, les bisphosphonates, le tériparatide ou le dénosumab pourraient avoir un intérêt, mais aucune information n’est disponible quant à l’efficacité et la sécurité à long terme de ces traitements, surtout quand l’anorexie se prolonge. La prise en charge ne peut se faire qu’à l’échelon individuel et toute décision thérapeutique ne peut être prise que de manière concertée.
La grossesse
L’ostéoporose associée à la grossesse et à la lactation, ou ostéoporose gravidique, est une pathologie rare et mal connue, dont l’incidence est estimée à 4‑8 cas pour 1 million. La majorité des cas sont observés en fin de première grossesse et lors de la phase précoce au décours du 3e trimestre ou en post-partum. L’ostéoporose gravidique est caractérisée par une DMO basse, en particulier au niveau rachidien, et se manifeste par des lombalgies sévères et une limitation fonctionnelle, révélatrices de fractures vertébrales, site privilégié dans cette situation [30]. Les facteurs prédisposants sont difficiles à identifier, compte tenu de la rareté de cette pathologie. Ainsi, le suivi d’un petit groupe de 16 patientes [31] rapportait des antécédents familiaux d’ostéoporose, la prise d’antithrombotiques (chez 50 % des patientes), de corticoïdes injectés ou inhalés et d’antiépileptiques, sans qu’une imputabilité soit formellement établie. Il n’existe dans la littérature aucun essai clinique randomisé. La prise en charge clinique porte sur l’arrêt de l’allaitement, le port d’un corset, la supplémentation en vitamine D et en calcium. Sont aussi utilisés les bisphosphonates ou le tériparatide sur des durées variables. La nécessité de ces traitements n’a pas été clairement établie et une augmentation progressive de la DMO a été observée à l’arrêt de la lactation chez la majorité des femmes. Une méta-analyse très récente [32] a identifié seulement 2 études interventionnelles (avec tériparatide, vitamine-calcium et antirésorbeurs) sur 66 études, résultats qui n’ont pas permis de conclure avec robustesse sur l’intérêt des médicaments anti-ostéoporotiques dans le traitement de l’ostéoporose gravidique.
La pathologie cancéreuse
Le cancer et les thérapies anticancéreuses constituent un facteur de risque majeur d’ostéoporose en raison de la perte osseuse et de la détérioration de la microarchitecture osseuse qu’ils peuvent induire. Le cancer du sein est le cancer le plus répandu chez les femmes, et la majorité des patientes sont positives pour les récepteurs aux estrogènes. Les médicaments inhibiteurs de l’aromatase (anastrozole, létrozole, exémestane), en bloquant la conversion des androgènes en estrogènes, réduisent les taux d’estrogènes résiduels et inhibent la croissance des cellules tumorales. Ils constituent souvent l’un des traitements de la 1re ligne thérapeutique, recommandés pendant 5 à 10 ans. Toutefois, les effets indésirables sont nombreux, incluant ostéoporose, fractures, douleurs et diminution de la qualité de vie. Des recommandations françaises pour la prise en charge de l’ostéoporose dans ce contexte ont été publiées [6, 7]. Plusieurs études ont montré que l’acide zolédronique à forte dose, 4 mg/ 3 mois, était efficace pour diminuer le risque de métastases et de décès, et une étude à faible dose de bisphosphonates a également montré une efficacité [33]. Les auteurs de cette étude suggèrent que toutes les femmes ménopausées avec un cancer du sein RE+ devraient se voir proposer un traitement systématique par bisphosphonates, même en l’absence d’ostéoporose, alors que ce traitement est en pratique peu prescrit par les cancérologues. L’arsenal thérapeutique pour la prise en charge de l’ostéoporose dans le cancer reste plus limité, car le tériparatide, ostéoformateur, ne doit pas être utilisé dans le cas du cancer des os, de tout autre cancer métastasé aux os, de certaines maladies osseuses ou de radiothérapie. En effet, une augmentation dose-dépendante de l’incidence d’ostéosarcome avait été observée dans les études toxicologiques menées chez le rat. Pour autant, des données américaines de suivi de prescriptions [34] chez des patients ostéoporotiques suivis pour cancer ont montré que l’incidence globale d’ostéosarcome était la même que dans la population générale, ce qui a entraîné une modification des précautions d’emploi par la FDA, à savoir le retrait de la mention du risque lié aux travaux chez le rat. La mention d’un risque faible possible chez l’homme, au-delà de 2 ans, reste en revanche présente [35]. Par ailleurs, le tériparatide a des propriétés angiogéniques, ce qui peut poser question lors de son éventuelle indication dans un contexte néoplasique.
La chirurgie bariatrique
Des recommandations ont été émises pour la prévention et le traitement de l’ostéoporose des patients obèses traités par chirurgie bariatrique [5]. L’évaluation du risque fracturaire doit être précoce pour adapter le traitement médicamenteux. Les carences en vitamines et minéraux sont fréquentes chez ces patients, à la suite des modifications métaboliques induites par la chirurgie qui entraînent une mauvaise absorption ; une supplémentation en vitamines et minéraux tout au long de la vie est donc recommandée. Il a été montré que 10 % des patients arrêtent la supplémentation prévue dans les premières années après la chirurgie. Les raisons sont multiples et vont de l’oubli ou la crainte des effets indésirables aux incertitudes quant à la nécessité et l’opportunité de cette prévention. Afin de favoriser l’adhésion du patient au traitement, l’utilisation de smartphones en complément de la sensibilisation lors des visites de suivi a été évaluée [36] ; les résultats ont été plutôt négatifs. Par ailleurs, un nouvel outil [37], le MARS-5 (5-item Medication Adherence Report Scale), qui permet d’évaluer l’adhésion à la prise de vitamines et minéraux, a été validé et il serait intéressant de le tester dans une population française.
L’obésité entraîne une augmentation de la mortalité et de la morbidité, incluant des troubles musculosquelettiques. Ces conditions prédisposent à l’obésité sarcopénique, définie par la présence d’une diminution de la masse et de la force musculaires associées à l’obésité [38] et aux fractures osseuses. La chirurgie bariatrique entraîne aussi une perte de masse musculaire et de force [39], qui peut être en partie contrecarrée par la pratique d’une activité physique adaptée, modérée en endurance (150 min/ sem.) et en résistance (× 2‑3/ sem.) [39, 40].
Le risque de fracture ostéoporotique majeure dépend du type de chirurgie pratiquée ; il est plus important en cas de bypass ou de dérivation biliopancréatique qu’après une sleeve gastrectomie, et semble moindre en cas de gastroplastie par anneau modulable [5, 41].
Les recommandations françaises soulignent que, chez les patients avec indication de chirurgie bariatrique, ou après une chirurgie bariatrique [7], il convient de normaliser les apports en calcium et en protéines, de 25(OH)D (entre 30 et 60 ng/ mL), de prévenir les risques de chutes, d’introduire un régime d’activité physique adapté et d’évaluer le risque de fractures. Lorsque ce risque est élevé, il est recommandé d’utiliser l’acide zolédronique en première intention, particulièrement chez les femmes ménopausées et les hommes ≥ 50 ans avec : des antécédents de fracture grave, quel que soit le T-score ; des antécédents de fracture non grave et un T-score ≤ −1 ; aucun antécédent de fracture et un T-score ≤ −2.
Le dénosumab peut être éventuellement proposé en cas d’échec ou de mauvaise tolérance, mais la vigilance est de mise sur le risque d’hypocalcémie.
L’échec thérapeutique
Des recommandations fondées sur des opinions d’experts concernant l’échec thérapeutique ont été proposées dès 2012 [42]. L’efficacité d’un traitement anti-ostéoporotique est caractérisée par la réduction du risque de fractures, et 3 paramètres cliniques interviennent : fractures incidentes, changements de DMO et modifications des marqueurs de remodelage osseux. Une fracture sous traitement peut être liée [43] à un risque résiduel de fractures (à l’occasion d’une chute, par exemple) parce que l’os est trop atteint alors que le traitement est efficace, ou que le traitement a été instauré trop tardivement, que l’adhésion au traitement est insuffisante, ou enfin que l’efficacité du traitement proposé est non optimale (antirésorbeur faible, différences de biodisponibilité et de métabolisme, faible apport alimentaire en calcium, insuffisance en vitamine D et autres causes d’ostéoporose secondaire).
Un groupe d’experts avait proposé [42] que l’échec thérapeutique et la nécessité de changer de traitement soient évoqués dans les situations suivantes : au moins 2 fractures sous traitement ; une seule fracture sous traitement avec des marqueurs de remodelage élevés ou une DMO diminuée ; une modification significative des marqueurs et de la DMO. L’impossibilité à atteindre la cible densitométrique souhaitée avec un T-score au minimum autour de −2 à l’extrémité supérieure du fémur doit aussi être considérée.
Ce même groupe recommandait qu’un antirésorbeur soit remplacé par un médicament plus puissant de la même classe, qu’un médicament oral soit remplacé par un médicament intraveineux en cas de mauvaise adhésion à la forme orale et qu’un bisphosphonate antirésorbeur fort soit remplacé par un agent anabolique. Un échec thérapeutique sous dénosumab conduirait davantage à la poursuite de sa prise combinée à un agent anabolique.
Le marqueur biologique d’échec thérapeutique d’un traitement par antirésorbeurs est la variation du CTX, voire du P1NP, marqueur très sensible à la variation. En cas d’échec, des bisphosphonates, le dénosumab ou le tériparatide peuvent être utilisés. Dans le cas particulier du dénosumab, une mauvaise réponse biologique et densitométrique, sous réserve de l’assurance d’une bonne adhésion, pourrait être liée en théorie à l’apparition d’anticorps susceptibles d’être “neutralisants”, diminuant ainsi son efficacité en favorisant son élimination : il est alors proposé de monitorer la réponse pharmacologique en mesurant régulièrement les CTX et en raccourcissant, le cas échéant, l’espacement entre administrations afin de maintenir un blocage constant de l’inhibition de la résorption.
En complément de la stratégie adoptée en cas d’échec thérapeutique, traiter l’ostéoporose selon la cible (treat to target, T2T) [44‑46] a été proposée comme un moyen de mieux guider les décisions thérapeutiques. Ainsi, comment évaluer si le niveau de risque de fractures est réduit à un niveau acceptable ? Faut-il changer de traitement si tel n’est pas le cas ? Des patients avec un risque faible ne sont-ils pas traités plus longtemps que nécessaire ou, à l’inverse, des patients toujours à haut risque arrêtent-ils trop tôt leur traitement ? La démarche de T2T pour l’ostéoporose permet souvent de répondre à ces questions. Elle vise en effet, par un changement de paradigme, à identifier un niveau acceptable de risque de fractures dépendant d’un niveau de DMO atteint plutôt qu’à prendre seulement en compte la réponse au traitement. En Espagne, une 1re démarche T2T a également été proposée avec les objectifs thérapeutiques, le suivi des patients et le choix des traitements [47].
Conclusion
Ces 8 situations cliniques difficiles mettent en valeur des démarches thérapeutiques génériques de la prise en charge de l’ostéoporose qui doivent être adaptées à la situation clinique. Elles soulignent la nécessité de l’alliance thérapeutique clinicien-patient et des consensus entre professionnels pour aller vers une meilleure individualisation et optimisation de la stratégie thérapeutique à long terme contre l’ostéoporose.■


