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Éditorial

Maladie de Still de l’adulte et forme systémique de l’arthrite juvénile idiopathique : une seule et même maladie ?


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La maladie de Still a été décrite pour la première fois chez l’enfant en 1897 [1] et chez l’adulte 80 ans plus tard [2]. Cependant, en 1994, la forme pédiatrique de la maladie a reçu un nom différent – forme systémique de l’arthrite juvénile idiopathique (FS-AJI) ­– et depuis lors, la majorité des publications scientifiques a traité séparément la FS-AJI et la maladie de Still de l’adulte (MSA). En conséquence, les critères de classification utilisés à des fins de recherche clinique par les rhumatologues pédiatriques et adultes sont différents, les stratégies thérapeutiques et les lignes directrices de pratique clinique ont été définies indépendamment pour la FS-AJI et la MSA, ce qui limite la diffusion des connaissances, entrave la mise en œuvre de stratégies optimales dans la pratique quotidienne et réduit la puissance des essais cliniques [3]. Plusieurs experts de la maladie ont, par le passé, exprimé l’avis que la FS-AJI et la MSA devraient être considérées comme une seule et même maladie [4], mais jusqu’à présent les preuves manquaient pour étayer ce point de vue et parvenir à un consensus.

Cependant, l’EULAR et la Société européenne de rhumatologie pédiatrique (PReS) ont récemment exprimé leur volonté d’homogénéiser le point de vue des rhumatologues pédiatriques et adultes et ont mis en place un groupe de travail chargé de rédiger les premières recommandations communes pour le diagnostic et la prise en charge de la ­FS-AJI et la MSA [5]. L’un des objectifs de ce groupe de travail était précisément de collecter les arguments cliniques, bio­logiques et physiopatho­logiques plaidant en faveur d’un continuum entre les 2 pathologies et de parvenir à un consensus.

Une physiopathologie superposable

La FS-AJI et la MSA sont très similaires en termes de physiopathologie, car le système immunitaire inné joue un rôle prépondérant dans les 2 cas (figure) [4, 6, 7]. L’implication de la voie de l’inflammasome et la surexpression de cytokines inflammatoires, telles que l’interleukine 1 (IL-1), l’IL-6, l’IL-18 et les protéines S100, ainsi que la réponse spectaculaire à l’inhibition de l’IL-1 et de l’IL-6 et l’absence de signes d’auto-immunité (notamment d’auto­anticorps), ont conduit à considérer ces affections comme des syndromes auto-inflammatoires complexes et poly­géniques.

Si l’activation du système immunitaire inné semble cruciale, notamment dans les formes simples (corrrespondant aux formes non compliquées), des données suggèrent une implication de l’immunité adaptative dans certaines complications : syndrome d’activation macrophagique (SAM), micro­angiopathie thrombotique, coagulation intra­vasculaire disséminée ou atteinte interstitielle pulmonaire [8].

Ces complications pourraient correspondre à un syndrome “hyper­inflammatoire” avec une activation excessive de l’immunité innée et de l’immunité adaptative : rôle central de l’IFNγ (allant de pair avec une augmentation de l’IL-18 et l’IL-6) et action de certaines populations lymphocytaires TCD8+, en parallèle de la défaillance des lymphocytes NK et de certaines polarisations Th1, Th2, voire Th17 des TCD4+ selon les cas [8]. En outre, certaines de ces complications sont fortement associées (> 80 % des cas) à la présence de l’allèle particulier HLA-DRB1*15, pouvant témoigner d’une réponse dirigée par un antigène ou un super-antigène, alors que la prévalence de cet allèle n’est que de 20 % chez les patients atteints d’une FS-AJI ou d’une MSA non compliquée (prévalence similaire à celle de la population générale caucasienne) [9, 10].

Des manifestations cliniques et biologiques similaires

Une revue systématique (RS) avec méta-analyse (MA) des manifestations cliniques et biologiques portant sur 8 cohortes mixtes de patients adultes et pédiatriques (n = 1 010 patients) a été menée par le groupe de travail de l’EULAR/ PReS [11].

Les 2 groupes FS-AJI et MSA ne différaient pas en ce qui concerne la prévalence des manifestations cliniques. Seules les myalgies et l’odyno­phagie, symptômes que les jeunes enfants ont du mal à verbaliser, étaient un peu plus fréquentes chez les adultes. En outre, le mal de gorge est l’un des éléments requis par les critères de Yamaguchi, et il est donc plus susceptible d’être recherché et rapporté par les rhumato­logues s’occupant d’adultes, alors qu’il n’est pas présent dans les critères pédiatriques de l’International League of Associations for Rheumatology (ILAR) ; les pédiatres peuvent donc être moins enclins à le rechercher. Si la perte de poids a été plus souvent mentionnée chez les adultes, il convient de rappeler que, chez les enfants, c’est plus souvent la cassure de la courbe de croissance qui est évaluée que véritablement la perte de poids.

De même, les groupes ne différaient pas en ce qui concerne la prévalence des caractéristiques bio­logiques, y compris la leuco­cytose, le taux de CRP sérique et celui de ferritine. En outre, la MA n’observait plus de différences en termes d’anémie lorsqu’un seuil pertinent pour les enfants et les adultes était utilisé, ­c’est‑à‑dire une hémo­globine < 10 g/dL. Deux études avaient, en effet, pris un seuil d’hémoglobine < 12 g/dL. Cependant, il s’agit d’un seuil qui n’est pas approprié chez les enfants, les valeurs normales d’hémo­globine évoluant avec l’âge. Ainsi, dans plusieurs groupes d’âge, une valeur < 12 g/dL se situe bien dans les limites de la normale.

Les 2 groupes ne différaient pas non plus en termes de prévalence des complications. Bien que la mortalité ait été légèrement plus élevée dans le groupe MSA que dans le groupe FS-AJI (avec une forte hétéro­généité dans les études), la différence n’était pas statistiquement significative. En ce qui concerne le SAM, complication pouvant engager le pronostic vital, il a été constaté une hétéro­généité au sein des groupes, mais pas entre eux. Il convient de noter qu’une seule étude a rapporté la fréquence de la micro­angiopathie thrombotique, de la tamponnade, de la myocardite ou de l’hypertension pulmonaire, et qu’aucune MA n’a donc été réalisée pour ces complications. Enfin, 2 études ont rapporté la fréquence de l’amylose. Bien que la prévalence ait été très faible, l’amylose AA était moins fréquente dans la MSA que dans la FS-AJI, et la différence entre les groupes était statistiquement significative (p = 0,009). Cependant, les 2 études faisant état d’une amylose AA étaient plus anciennes (1995 et 2006), avant l’utilisation généralisée des médicaments bio­logiques, qui ont pu réduire considérablement la prévalence de l’amylose au cours des dernières années. De façon notable, l’amylose n’a pas été rapportée dans les articles postérieurs à 2006.

Enfin, un autre élément clinique capital vient s’ajouter à ces différents arguments pour plaider en faveur d’un continuum entre la FS-AJI et la MSA : la temporalité. En effet, l’existence de patients ayant présenté une FS-AJI dans l’enfance, puis développant une MSA à l’âge adulte, a fortiori après un intervalle prolongé libre de symptômes, est en faveur d’une rechute de la même maladie survenant à des âges différents.

Des biomarqueurs diagnostiques potentiels communs

La RS du groupe de travail EULAR/PReS a permis d’identifier de nombreux bio­marqueurs diagnostiques potentiels différents [11]. Seuls 3 d’entre eux ont été analysés dans plusieurs études portant à la fois sur la FS-AJI et la MSA : la ferritine/la ferritine glycosylée, le groupe de protéines S100 (S100A8/A9/A12) et l’IL-18. Les contrôles utilisés dans les études publiées étant très différents, il est impossible de généraliser les résultats. Par conséquent, la sensibilité, la spécificité, les seuils et les valeurs de l’ASC rapportés doivent être interprétés avec prudence. Néanmoins, ces bio­marqueurs dia­gnostiques semblent prometteurs, et leur utilisation de manière plus standardisée doit être étayée et validée par d’autres études.

Une réponse au traitement similaire

Une autre RS portant sur le traitement de la FS-AJI et de la MSA a été réalisée par le groupe de travail EULAR/PReS [12]. Aucune étude n’a porté spécifiquement sur l’efficacité des AINS seuls dans la FS-AJI et la MSA. Si les glucocorticoïdes sont efficaces dans les 2 maladies, ils peuvent induire des effets secondaires potentiels.

Ce sont surtout les biothérapies ciblant l’IL-1 ou l’IL-6R qui étaient les médicaments présentant le niveau de preuve le plus élevé. Deux MA réalisées à partir d’essais cliniques randomisés ont montré un odds ratio pour l’obtention d’une réponse ACR 50 (seul critère commun aux différents essais) de 6,02 (IC95 : 2,24-21,36) et de 8,08 (IC95 : 1,89-34,57) pour, respectivement, les anti-IL-1 et anti-IL-6R, par rapport au placebo. En outre, les données des études observationnelles ont montré que l’instauration précoce (1 à 5 mois en médiane après le début de la maladie) d’un traitement anti-IL-1 ou anti-IL-6 était associée à des taux de rémission plus importants que lorsque les traitements étaient instaurés tardivement (> 12 mois après le début de la maladie) avec, respectivement, des taux de maladie cliniquement inactive (MCI : absence de signes cliniques et de syndrome inflammatoire biologique, c’est-à-dire VS et/ou CRP normale ; la MCI qui dure au moins 6 mois sous traitement est appelée rémission) allant de 60 à plus de 90 % versus 37 à 45 %. Cela suggère le concept de fenêtre d’opportunité.

Enfin, en l’absence d’essais comparatifs directs, une comparaison formelle avec les anti-TNF n’a pas été possible. Toutefois, le groupe de travail a effectué une analyse groupée du taux de réponse (ACR 70 ou MCI) dans les études longitudinales observationnelles prospectives et rétrospectives disponibles afin d’avoir une estimation des taux de réponse ; ces taux étaient de 59 % (IC95 : 51-68) pour les inhibiteurs de l’IL-1, de 55 % (IC95 : 45-65) pour les inhibiteurs de l’IL-6 et de 26 % (IC95 : 17-35) pour les anti-TNF. Par ailleurs, les données montraient un faible maintien thérapeutique sous anti-TNF.

Des considérations particulières selon l’âge

Comme le disait le neurologue et psychologue suisse Édouard Claparède, “l’enfant n’est pas un adulte en miniature”. Il a ainsi des particularités physiques, psychiques, ­biologiques et métaboliques qui lui sont propres, et qui évoluent en fonction de l’âge et de la croissance. Par exemple, l’incidence du SAM est nettement plus importante avant l’âge de 18 mois qu’après (respectivement 47 et 4 %) [13]. Une vigilance particulière doit être portée chez les enfants lors des choix de traitement, notamment lors de l’introduction de corticoïdes, du fait de la iatro­génie et des conséquences potentielles sur la croissance. Rappelons toutefois que, même si elles touchent le plus souvent les jeunes adultes, les MSA de diagnostic ou en rechute à un âge plus tardif peuvent également faire l’objet d’une prise en charge spécifique adaptée aux comorbidités de chaque patient, qui augmentent souvent avec l’âge. Enfin, l’âge est également important dans la démarche diagnostique, dans la mesure où les nombreux diagnostics différentiels à évoquer varient en conséquence et ont été colligés par le groupe de travail dans des tableaux de synthèse utiles pour le clinicien [5]. Rappelons que plus l’âge de début des manifestations est jeune, plus le clinicien doit rechercher une cause génétique (notamment liées à des mutations de NLRC4), et que plus l’âge est élevé, plus il faut se méfier d’une hémo­pathie. Dans tous les cas, face à un tableau clinique atypique, les réunions de concertation pluridisciplinaire (RCP) de la filière FAI2R (­https://­ www.­ fai2r.org/) et du CeRéMAIA (https://ceremaia.fr/) peuvent s’avérer très utiles.

Par conséquent, avancer que FS-AJI et MSA sont la même maladie ne signifie pas que le clinicien adulte se substitue au pédiatre, mais plutôt qu’ils travaillent main dans la main, chacun apportant son expertise et son point de vue de 2 revers d’une même médaille.

Conclusions du groupe de travail EULAR/PReS et impact sur la pratique courante

Ainsi, se fondant sur la similitude qui existe entre la FS-AJI et la MSA en termes de physiopathologie, de manifestations cliniques et biologiques et de réponse thérapeutique, le groupe de travail EULAR/PReS a établi comme premier principe général que la FS-AJI et la MSA sont la même maladie, laquelle devrait désormais être désignée par un même et unique nom : la maladie de Still [5]. Au-­delà d’une simple considération sémantique, ce concept est capital car :

  • il valide le bien-fondé de l’élaboration de recommandations communes pour le diagnostic et la prise en charge de la FS-AJI et la MSA. La synthèse des premières recommandations EULAR/PReS a été détaillée en octobre dernier dans La Lettre du Rhumatologue [14] ;
  • il s’agit de la première étape pour proposer un ensemble commun et consensuel de critères de classification. À ce jour, les pédiatres utilisent surtout les critères de l’ILAR, alors que les rhumatologues d’adultes se fondent sur ceux de Fautrel ou de Yamaguchi. Ces derniers critères sont les seuls testés chez les adultes et les enfants, avec une sensibilité supérieure à 95 % [15] ;
  • il ouvre la porte aux projets de recherche translationnelle et clinique communs. Étant donné la rareté de la maladie, la mise en commun des données provenant des patients pédiatriques et adultes augmentera la taille des cohortes. Cela pourra également permettre de formaliser l’extrapolation des données d’une population à l’autre. In fine, cela ouvrira en outre la voie à des recherches communes visant à valider des biomarqueurs dia­gnostiques et pro­nostiques et à établir de nouvelles stratégies thérapeutiques pour la maladie et ses complications.

FIGURES

Maladie de Still de l’adulte et forme systémique de l’arthrite juvénile ­idiopathique : une seule et même maladie ? - Figure

Références

1. Still GF. On a form of chronic joint disease in children. Med Chir Trans 1897;80:47-60.9.

2. Bywaters EG. Still’s disease in the adult. Ann Rheum Dis 1971;30(2):121-33.

3. Jamilloux Y et al. Le temps est venu de réconcilier l’arthrite juvénile idiopathique systémique et la maladie de Still de l’adulte. Rev Med Interne 2019;40(10):635-6.

4. Feist E et al. Mechanisms, biomarkers and targets for adult-onset Still’s disease. Nat Rev Rheumatol 2018;14(10):603-18.

5. Fautrel B et al. EULAR/PReS recommendations for the diagnosis and management of Still’s disease, comprising systemic juvenile idiopathic arthritis and adult-onset Still’s disease. Ann Rheum Dis 2024;83(12):1614-27.

6. Inoue N et al. Cytokine profile in adult-onset Still’s disease: comparison with systemic juvenile idiopathic arthritis. Clin Immunol 2016;169:8-13.

7. Jamilloux Y et al. Pathogenesis of adult-onset Still’s disease: new insights from the juvenile counterpart. Immunol Res 2015;61(1-2):53-62.

8. Binstadt BA, Nigrovic PA. The conundrum of lung disease and drug hypersensitivity-like reactions in systemic juvenile idiopathic arthritis. Arthritis Rheumatol 2022;74(7):1122-31.

9. Saper VE et al. Severe delayed hypersensitivity reactions to IL-1 and IL-6 inhibitors link to common HLA-DRB1*15 alleles. Ann Rheum Dis 2022 Mar;81(3):406-15.

10. Schulert GS et al. Systemic juvenile idiopathic arthritis-associated lung disease: characterization and risk factors. Arthritis Rheumatol 2019;71(11):1943-54.

11. De Matteis A et al. Systemic juvenile idiopathic arthritis and adult-onset Still’s disease are the same disease: evidence from systematic reviews and meta-analyses informing the 2023 EULAR/PReS recommendations for the diagnosis and management of Still’s disease. Ann Rheum Dis 2024 83(12):1748-61.

12. Bindoli S et al. Efficacy and safety of therapies for Still’s disease and macrophage activation syndrome (MAS): a systematic review informing the EULAR/PReS guidelines for the management of Still’s disease. Ann Rheum Dis 2024;83(12):1731-47.

13. Russo RAG, Katsicas MM. Patients with very early-onset systemic juvenile idiopathic arthritis exhibit more inflammatory features and a worse outcome. J Rheumatol 2013;40(3):329-34.

14. Mitrovic S, Fautrel B. Synthèse des recommandations de l’EULAR et de la PReS pour le diagnostic et la prise en charge de la maladie de Still. La Lettre du Rhumatologue 2024;505:34-7.

15. Kumar S et al. Application of the Yamaguchi criteria for classification of “suspected” systemic juvenile idiopathic arthritis (sJIA). Pediatr Rheumatol 2012;10(1):40.


Liens d'intérêt

S. Mitrovic déclare avoir des liens d’intérêts avec BMS, Lilly, Pfizer, Sobi et UCB (­honoraires de conseil).

B. Fautrel déclare avoir des liens d’intérêts avec AbbVie, Amgen, Biogen, BMS, Celltrion, ­Fresenius Kabi, Galápagos, Gilead, Janssen, Lilly, Medac, MSD, Nordic Pharma, Novartis, Pfizer, Roche, Sandoz, Sanofi Genzyme, Sobi, UCB et Viatris (honoraires de conseil et/ou subventions de recherche).

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