Les innovations thérapeutiques de ces dernières années ont révolutionné la prise en charge de la polyarthrite rhumatoïde (PR). L’obtention de la rémission prolongée dès les premiers mois d’évolution de la maladie est un objectif réaliste permettant d’éviter la progression structurale, source de handicap ultérieur. L’utilisation des corticoïdes au moment de l’instauration d’un traitement de fond ou pour traiter une poussée reste largement répandue, permettant une rémission plus rapide et limitant la progression structurale, même à faible dose. Les dernières recommandations de l’EULAR [1] positionnent les corticoïdes comme traitement d’appoint avec une nécessité de sevrage le plus rapide possible afin d’éviter les effets indésirables à long terme. Malgré ces recommandations, plus d’un tiers des patients atteints de PR conservent une corticothérapie prolongée [2], ce qui illustre la difficulté, en pratique courante, d’aboutir à un sevrage définitif chez ces patients.
Le sevrage en corticoïdes pris au long cours expose aux risques suivants : poussée de la maladie, insuffisance surrénalienne et syndrome de sevrage en corticoïdes.
Le risque de poussée accompagnant un sevrage en corticoïdes dans la PR a été évalué dans peu d’essais thérapeutiques. Dans l’essai SEMIRA [3], qui avait pour objectif d’évaluer la possibilité d’un sevrage en corticoïdes chez des patients ayant commencé un traitement par tocilizumab, 13 % des patients ayant débuté une décroissance des corticoïdes en dessous de 5 mg/j ont dû interrompre précocement l’étude et, parmi ceux qui ont poursuivi la décroissance, 26 % ont eu une poussée. L’essai thérapeutique STAR [4] a évalué 2 stratégies de sevrage en corticoïdes chez des patients ayant une PR en rémission prenant 5 mg/j de prednisone au long cours, l’une consistant à diminuer progressivement la prednisone en retirant 1 mg tous les mois, l’autre, à remplacer la prednisone par 20 mg/j d’hydrocortisone. Dans cette étude, seule la moitié des patients ont pu réellement se sevrer en corticoïdes, sans différence entre les 2 stratégies. Les patients ayant une plus longue durée d’évolution de la maladie avaient plus de risques d’être en échec du sevrage. De même, les patients traités par biothérapie avaient moins de chances d’être sevrés en corticoïdes dans cette étude, alors que les biothérapies ont démontré leur intérêt pour l’épargne cortisonique [3]. Cette association est probablement expliquée par une activité et une sévérité de la maladie plus grandes chez les patients sous biothérapie, qui présentent plus de risques de poussées. Ces résultats confortent les recommandations de l’EULAR [1] d’essayer de sevrer les patients le plus rapidement possible en corticoïdes, ce qui optimise les chances de sevrage.
Le risque d’insuffisance surrénalienne après sevrage en corticoïdes est exceptionnel avec une prévalence de l’ordre de 0,015 à 0,1 % [5], le plus souvent dans un contexte postopératoire. Théoriquement, ce risque existe dès qu’un patient est exposé à plus de 7,5 mg/j de prednisone pendant plus de 3 semaines. Les signes cliniques sont en général frustes, à type de fatigue, de myalgies diffuses, sans franche perturbation du ionogramme sanguin. Les récentes recommandations européennes d’endocrinologie [6] proposent d’évaluer la fonction de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien chez les patients ayant commencé une décroissance des corticoïdes en dessous des doses physiologiques (4 à 6 mg/j d’équivalent prednisone) par un dosage du cortisol à 8 h, au moins 24 h après la dernière prise de corticoïdes. Si le taux de cortisol est supérieur à 300 nmol/L ou 10 μg/dL, les corticoïdes peuvent être arrêtés sans risque. Si le taux de cortisol n’atteint pas ce seuil, il est préférable de poursuivre les corticoïdes à dose physiologique (soit prednisone entre 4 et 6 mg/j ou hydrocortisone entre 15 et 25 mg/j) et de répéter ces dosages après quelques semaines ou quelques mois. L’intérêt des tests de stimulation par ACTH (test au Synacthène®) reste contesté, et ces tests n’ont pas été recommandés par la Société européenne d’endocrinologie [6], car ils n’apportent pas de plus‑value au seul dosage du cortisol à 8 h. À ce jour, aucune étude n’a permis d’établir un lien entre ces taux de cortisol bas et le risque d’insuffisance surrénalienne. Ainsi, dans l’essai STAR, 17 % des patients avaient des taux de cortisol bas après stimulation par ACTH à la fin de l’étude, mais aucun cas d’insuffisance surrénalienne n’a été observé. Dans les recommandations européennes d’endocrinologie [6], les experts ont admis la possibilité de ne pas réaliser systématiquement un dosage du cortisol et d’entreprendre un sevrage accompagné d’une surveillance clinique seule, les tests n’étant réalisés qu’en cas d’apparition de symptômes évocateurs d’une insuffisance surrénalienne.
Le troisième effet fréquemment rapporté par les patients est le syndrome de sevrage en corticoïdes. Il se manifeste par des symptômes aspécifiques tels qu’une asthénie, une faiblesse généralisée, des myalgies et arthralgies diffuses, des nausées, une dépression. Ces symptômes peuvent être pris à tort pour une poussée de la maladie ou une insuffisance surrénalienne, mais les examens paracliniques (notamment le taux de cortisol à 8 h) restent normaux. Les recommandations européennes d’endocrinologie [6] préconisent de réaugmenter provisoirement les doses de prednisone chez les patients ayant des symptômes invalidants et d’envisager une décroissance ultérieure plus lente. Les patients ressentent habituellement une amélioration de la symptomatologie lors de cette réaugmentation, mais les douleurs réapparaissent fréquemment lors des nouvelles tentatives de décroissance. La question de l’emploi de l’hydrocortisone dans ces situations pourrait se poser. Dans l’essai STAR [6], les patients sous 20 mg d’hydrocortisone avaient les mêmes niveaux de douleur et de fatigue que les patients qui diminuaient la prednisone progressivement, observation mettant en doute l’intérêt de cette substitution systématique par hydrocortisone. La meilleure prévention du syndrome de sevrage reste donc la décroissance très progressive des corticoïdes et l’accompagnement des patients par des traitements antalgiques et non pharmacologiques de la douleur.
En résumé, la meilleure stratégie pour éviter l’exposition aux corticoïdes au long cours dans la PR est de les utiliser avec parcimonie au moment des poussées, d’éduquer les patients afin de limiter l’automédication et d’intensifier les traitements de fond pour atteindre rapidement la rémission. L’information des patients sur les signes évocateurs d’une insuffisance surrénalienne est essentielle au moment du sevrage. La décroissance des corticoïdes doit être très progressive pour limiter le syndrome de sevrage. Le remplacement systématique de la prednisone par de l’hydrocortisone ne semble pas avoir d’intérêt chez les patients en cours de sevrage en corticoïdes pour prévenir les poussées ou le syndrome de sevrage.

