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Dossier

Transplantation cardiaque : sélectionner les bons candidats


(pdf / 0,94 Mo)

  • La transplantation cardiaque reste le seul traitement curatif des malades atteints d'insuffisance cardiaque avancée, plus nombreux grâce à la diminution des décès par mort subite.
  • La pénurie relative de greffons cardiaques nécessite de rationaliser la transplantation cardiaque en la réservant aux cas suffisamment sévères pour que la survie moyenne soit améliorée par la greffe.
  • Mais il faut aussi exclure les cas trop sévères et/ou avec des comorbidités importantes, car ils présentent un risque de décès postopératoire, malgré la greffe, trop élevé. Ces situations constituent des contre-indications temporaires ou définitives.

Depuis la première transplantation cardiaque chez l'homme en décembre 1967, la greffe reste la seule solution, certes radicale, capable de corriger toute cardiopathie évoluée. Depuis cette première greffe cardiaque, les progrès du traitement antirejet et le suivi par des équipes dédiées ont permis une amélioration importante de la durée de vie après la transplantation. La médiane de survie après une greffe est maintenant supérieure à 10 ans (15 ans pour les malades greffés entre 18 et 60 ans). Mais cet espoir important pour les malades et leurs médecins est contrebalancé par un risque d'événements graves périopératoires et durant les premiers mois qui reste élevé (environ 20 % de mortalité périopératoire actuellement en France), en raison de la fragilité des patients opérés et des défaillances primaires de greffon ; et par la pénurie de greffons cardiaques (actuellement, il y a un peu plus de 2 candidats pour 1 greffon cardiaque). Ces éléments obligent les équipes de greffe à sélectionner les meilleurs candidats, avec pour objectif d'assurer aux patients un taux de succès suffisamment élevé et à la société une équité des chances et une bonne gestion des ressources. Cette sélection comporte 2 volets : la pertinence de l'indication de greffe cardiaque et l'absence de contre-indications absolues ou relatives.

Quand faut-il évoquer une transplantation cardiaque ? Indications

Concernant la question de la transplantation cardiaque, il existe 2 grands contextes cliniques : l'insuffisance cardiaque aiguë et l'insuffisance cardiaque chronique. Ces contextes sont assez contrastés car ils comportent des questions et des contraintes différentes. Ils seront donc présentés séparément.

Greffe cardiaque et situations d'urgence

L'insuffisance cardiaque aiguë sévère est une situation rencontrée fréquemment dans les unités de soins intensifs cardiologiques (ou de réanimation) des centres hospitaliers disposant d'un agrément pour la transplantation cardiaque. Elle concerne essentiellement des patients en état de choc cardiogénique, qu'ils aient une cardiopathie préalablement connue ou pas. La cause la plus fréquente reste actuellement l'infarctus du myocarde, surtout quand il est étendu et/ou que la revascularisation est tardive. La fréquence de cette étiologie tend à diminuer grâce au recours beaucoup plus fréquent et plus rapide à l'angioplastie primaire. En dehors de la phase aiguë d'infarctus, cela peut concerner aussi des patients en décompensation cardiaque congestive révélant une cardiomyopathie très dilatée ou très hypokinétique. Enfin, il y a les cas plus rares d'orages rythmiques, réfractaires au traitement médicamenteux ou rythmologique interventionnel. La prise en charge initiale des états de choc est relativement bien organisée, et consiste très souvent à prescrire un médicament à effet inotrope positif et, éventuellement, un vasopresseur. La réponse thérapeutique et l'évolution de l'état de choc cardiogénique sont ensuite variables. La situation peut :

  • être réfractaire au traitement et s'aggraver rapidement ;
  • être partiellement stabilisée mais s'aggraver progressivement sur quelques jours ou nécessiter l'augmentation des doses (échappement au traitement) ;
  • être stabilisée, mais avec une dépendance au traitement dont le sevrage est impossible.

Ces différentes situations sont bien décrites par la classification INTERMACS (Interagency Registry of Mechanically Assisted Circulatory Support), conçue initialement à la création du registre américain des assistances cardiaques mécaniques (ACM) [1]. Cette classification, détaillée dans le tableau I, comporte 7 catégories de patients, allant de la classe 1, qui regroupe les chocs cardiogéniques qui s'aggravent très rapidement malgré un traitement médicamenteux maximum avec un décès prévisible en quelques heures ou jours, à la classe INTERMACS 7, qui correspond à des patients ambulatoires non décompensés mais significativement symptomatiques, équivalent d'une classe IIIB de la New York Heart Association, et dont le décès cardiovasculaire ne devrait pas survenir avant quelques années. Les situations d'urgence (classes INTERMACS 1, 2 et 3) relèvent d'une discussion de prise en charge au sein d'équipes dédiées. La première question posée est : quelle est la possibilité de récupération d'une fonction cardiaque correcte ? En effet, la gravité initiale ne préjuge pas de la récupération possible : probable pour une myocardite virale fulminante, possible pour une cardiomyopathie dilatée primitive de novo ou très improbable pour un infarctus antérieur revascularisé au-delà de la 6e heure. Pour les patients dont la situation n'est pas contrôlée médicalement (INTERMACS 1 et 2), chez qui le sevrage des inotropes ne semble pas possible (INTERMACS 3) ou la fonction cardiaque ne semble pas pouvoir récupérer, au moins partiellement, se pose une seconde question : doit-on procéder à une greffe cardiaque rapide ? (pour les patients éligibles – voir ci-dessous). La greffe n'est pas une bonne solution dans les cas qui ne sont pas stabilisés par le traitement médicamenteux (INTERMACS 1 et 2). En effet, premièrement, les délais de disponibilité d'un greffon sont souvent incompatibles avec la gravité de ces cas. Deuxièmement, ces patients sont tellement fragiles, avec des défaillances viscérales consécutives au faible débit cardiaque (rein, foie et tube digestif), que le risque opératoire devient trop important, entraînant un risque de décès du patient et donc de perte du greffon. Ces patients non ­stabilisés médicalement ou qui échappent au traitement médical nécessitent une amélioration hémodynamique par une ACM dite “de courte durée”. Il s'agit de systèmes implantés en urgence (oxygénation par membrane extra­corporelle), le plus souvent par voie percutanée ou parfois par abord vasculaire chirurgical. Il est donc nécessaire, dans les situations aiguës, que l'état des patients soit amélioré par des inotropes ou une ACM de courte durée avant d'envisager une greffe cardiaque rapide dans les situations où la cardiopathie ne semble pas réversible. Il reste une situation difficile : dans le cas des patients stabilisés mais pour lesquels il persiste un doute quant à la faisabilité d'une greffe cardiaque (en raison des contre-indications ou d'un risque très élevé), une période sous ACM de longue durée est à envisager en “pont à la candidature” ou en “pont à la greffe”.

Envisager la greffe cardiaque en situation chronique

Chez des malades atteints d'insuffisance cardiaque chronique, c'est-à-dire non hospitalisés et ambulatoires, la transplantation cardiaque doit être évoquée lorsque la probabilité de survie à 1 ou 2 ans est supposée inférieure à la survie après transplantation cardiaque, qui est actuellement en France proche de 75 % à 1 an ; ou lorsque lorsque la qualité de vie en lien avec l'insuffisance cardiaque est très altérée, soit du fait de symptômes très invalidants dans la vie quotidienne, soit en raison d'hospitalisations répétées (qui constituent aussi un marqueur important de risque de décès). Ces situations sont souvent regroupées sous le terme d'“IC avancée”. Ils correspondent aux classes 4 à 7 de la classification INTERMACS. Les principales indications actuelles de greffe cardiaque sont résumées dans le tableau II, adapté des recommandations internationales (2, 3).

Place de l'épreuve d'effort métabolique

La transplantation cardiaque restant une intervention à mortalité périopératoire importante et “psychologiquement particulière”, il est nécessaire, auparavant, d'estimer le risque de décès cardiovasculaire sous traitement médicamenteux et de rendre objectif que les symptômes sont bien d'origine cardiaque (et non dus à la désadaptation musculaire périphérique, à une participation respiratoire, etc.). Ces 2 objectifs sont bien évalués par l'épreuve d'effort métabolique, en particulier par la mesure à l'effort du maximum de consommation d'oxygène ou pic de VO2. La première étude ayant validé l'intérêt de la VO2 est celle de Mancini et al., qui date de 1991 (4). Dans cette étude (avant l'utilisation des bêtabloquants et du défibrillateur automatique dans l'insuffisance cardiaque), les auteurs ont évalué l'intérêt de décaler l'inscription sur liste de transplantation lorsque le pic de VO2 était supérieur à 14 ml/mn/­kg. Trois groupes de patients, dont la FEVG, le NYHA et l'index cardiaque (mesuré par cathétérisme) étaient peu différents, ont été définis en fonction du pic de VO2. Le groupe des 52 patients ayant un pic de VOsupérieur à 14 ml/mn/kg a eu un taux de survie de 94 % à 1 an et de 84 % à 2 ans, identique à celui des patients greffés dont le pic de VO2 était inférieur à 14 ml/mn/kg. Le taux de survie à 1 an est de 70 % pour les patients inscrits mais non greffés et de 47 % (32 % à 2 ans) pour les patients avec un pic de VO2 inférieur à 14 ml/mn/­kg mais chez qui la greffe était contre-indiquée (4). Depuis, de nombreuses études observationnelles ont établi que, même sous bêtabloquant, le pic de VO2 est un des marqueurs pronostiques indépendants les plus puissants (5) ; que, les bêtabloquants diminuant la VO2 tout en améliorant de façon importante le pronostic, la valeur seuil permettant de différer la greffe est un pic de VO2 > 12 ml/mn/­kg (5, 6). D'autres marqueurs métaboliques issus de l'épreuve d'effort ont par la suite également montré un intérêt, dont les équivalents respiratoires et en particulier la pente de VE/VCO2, qui peut constituer un critère de greffe cardiaque quand elle est supérieure à 35 (6).

Place des scores de risque de décès

Pour les cas où la VO2 n'est pas réalisable ou donne des résultats intermédiaires, plusieurs équipes ont développé des scores de risque. Aucun d'entre eux ne permet à l'heure actuelle de déterminer de façon certaine si une transplantation cardiaque est indiquée. De plus, ces scores doivent être utilisés dans les conditions dans lesquelles ils ont été élaborés et validés. L'erreur la plus fréquente est d'utiliser les scores d'insuffisance cardiaque chronique dans les situations aiguës, ­
instables. Le premier score est le Heart Failure Survival Score (HFSS) [7]. Il comporte un modèle non invasif qui fait appel à 7 variables simples (dont le pic de VO2) et un modèle invasif reposant sur 8 variables dont le pic de VO2 et les pressions artérielle moyenne et capillaire. Ce score, développé avant l'utilisation des bêta­bloquants, reste intéressant chez les patients traités par bêta­bloquants (8). Chez les patients classés dans les groupes de haut risque ou de risque intermédiaire, l'inscription sur liste de transplantation peut être justifiée. Le Seattle Heart Failure Model (SHFM) est un autre score, relativement simple et volontairement conçu sans le pic de VO2 ni le taux de peptides natriurétiques (9). Développé à partir des données de l'essai thérapeutique PRAISE (Prospective Randomized Amlodipine Survival Evaluation), il a été validé dans 5 cohortes indépendantes. À noter qu'un poids important est donné dans ce score à la dose journalière de diurétiques (en équivalents de dose de furosémide). Ce score ne classe pas les patients en groupes de différents niveaux de risque mais donne une probabilité de survie à 1 et 2 ans. On peut considérer que quand les chances de survie prédites sont inférieures à 80 % à 1 an, l'inscription sur liste de transplantation est légitime. Une des limites de ces 2 scores est que très peu de patients sur lesquels ils ont été validés avaient reçu un défibrillateur automatique implantable, ce qui en limite donc la portée, puisque la moitié des décès cardiovasculaires étaient liés à une mort subite.

Principales contre-indications de la greffe cardiaque

Il est important de rappeler en préambule 2 principes généraux. Premièrement, certaines contre-indications, relatives ou absolues, sont temporaires. Il se peut aussi que les équipes de greffe passent outre une contre-­indication relative. Il s'agit en effet d'évaluer la balance bénéfices/risques pour le patient, en comparant le risque de l'insuffisance cardiaque aux risques de la greffe avec cette contre-indication relative. Deuxièmement, aucune contre-indication ne doit reposer sur des éléments d'ordre “moral” (ce qui est parfois difficile). Cela peut concerner des aspects relationnels, qui finalement posent peu de problèmes (malade peu attachant, au contact difficile, voire conflictuel, etc.) ; des aspects sociaux (greffe chez un réfugié sans papiers ni couverture sociale), et enfin des aspects éthiques ­complexes, comme d'envisager la greffe chez de jeunes patients avec un retard mental plus ou moins sévère ou des patients avec un handicap moteur significatif dans les cas de cardiomyopathies accompagnant les myopathies périphériques. Ainsi, les contre-indications sont, et doivent rester, basées et admises de façon consensuelle sur les résultats de la greffe à court (risque périopératoire) et long termes. Lorsque, dans certaines situations, les résultats de la greffe sont moins bons, cela entraîne le décès du patient mais aussi la perte du greffon. Les principales contre-indications absolues et relatives sont donc les situations et les éléments qui sont associés à un risque périopératoire trop important ou une survie à long terme compromise malgré la greffe. Ces contre-indications ont été précisées au cours des dernières décennies grâce aux données observationnelles (6). Les principales contre-indications sont résumées dans le tableau III. En raison de leur fréquence ou de leurs liens avec l'insuffisance cardiaque, certains éléments méritent quelques commentaires.

Âge

C'est l'une des contre-indications les plus controversées et qui repose essentiellement sur la pénurie de la ressource : les greffons cardiaques. En effet, d'un côté, la pénurie de greffons retarde ou empêche la transplantation de patients jeunes (< 50 ans) voire très jeunes. D'un autre côté, l'amélioration de la prise en charge médicale fait que les indications de greffe concernent des patients plus âgés qu'avant. De plus, avec l'amélioration globale de l'espérance de vie, il est difficile de donner un âge définissant que l'on est “trop vieux” pour une prise en charge. Ainsi, il n'existe pas d'âge limite formel, “légal”, contre-indiquant la greffe. L'âge physiologique doit être pris en considération, et surtout toutes les comorbidités, qui doivent être absentes pour un patient d'âge “limite”. Plusieurs registres ont montré que les résultats de la greffe étaient moins bons chez les patients transplantés après 65 ans et, surtout, après 70 ans (6). Le risque de rejet ou de maladie chronique du greffon n'est pas plus important (il est au contraire légèrement plus faible), mais le risque de cancer, de diabète cortico-induit, d'infection ou d'insuffisance rénale est plus élevé (6). Ainsi, les recommandations internationales conseillent de ne pas transplanter les malades de plus de 70 ans et d'être très vigilants concernant les comorbidités et la recherche de cancers méconnus après 65 ans – et surtout après 70 ans si la greffe reste envisagée (2, 3).

Obésité morbide et diabète

Avec l'augmentation de la prévalence du surpoids dans la population générale, de plus en plus de patients atteints d'insuffisance cardiaque sévère sont concernés. Un indice de masse corporelle (IMC) supérieur à 35 kg/­m2 avant la transplantation est associé à une augmentation des complications et des décès après la greffe. Il est donc raisonnable chez ces patients de recommander une perte de poids pour atteindre un IMC inférieur à 35 kg/m2 avant l'inscription sur liste d'attente. Il faut prendre garde que cette perte de poids ne se fasse pas aux dépens d'une trop grande perte de masse musculaire, d'une dénutrition, qui aggraveraient aussi les complications périopératoires.

De plus en plus de patients atteints d'insuffisance cardiaque sont diabétiques. Certaines équipes ont rapporté de petites séries où la survie après une greffe cardiaque n'était pas différente chez les patients diabétiques sous traitement oral, voire sous insuline, extrêmement bien suivis et rigoureux. Un équilibre glycémique insuffisant, défini par la persistance d'une hémoglobine glyquée (HbA1c) supérieure à 7,5 % malgré des efforts optimaux, constitue une contre-indication relative ou une contre-indication temporaire jusqu'à un bon équilibre du diabète. En revanche, les registres internationaux montrent que si le diabète est associé à une obésité morbide, à une complication du type insuffisance rénale chronique significative (créatinine > 25 mg/l), à une artériopathie périphérique ou à un antécédent de tabagisme (même sevré), la survie à 5 ans est moins bonne. Ces éléments constituent une contre-indication absolue (2, 3).

L'hypertension pulmonaire

L'hypertension pulmonaire (HTP) est une complication classique de l'insuffisance cardiaque avancée ou sévère. Dans la majorité des cas, il s'agit d'une hypertension “passive”, c'est-à-dire sans maladie vasculaire pulmonaire, qui reflète simplement la transmission par le système veineux de l'hypertension de l'oreillette gauche. Des études histologiques ont montré un remodelage de la circulation pulmonaire en réponse à l'augmentation chronique de la pression. Il n'existe pas à ce jour de définition consensuelle à partir des données du cathétérisme cardiaque, de la présence éventuelle d'une maladie artériolaire pulmonaire. Cependant, il est tout à fait clair qu'une HTP élevée, qui ne régresserait pas très rapidement lors de la greffe, et surtout des résistances vasculaires pulmonaires (RVP) élevées, augmentent fortement le risque de défaillance du ventricule droit du greffon et la mortalité postopératoire immédiate. Les recommandations internationales maintiennent donc la nécessité de réaliser un cathétérisme cardiaque avant l'inscription sur liste de greffe, et régulièrement (au minimum tous les 6 mois) au cours de l'attente sur liste. Une pression artérielle pulmonaire systolique (PAPs) supérieure à 50 mmHg avec soit un gradient transpulmonaire (PAP moyenne − pression d'occlusion ou capillaire) supérieur à 15 mmHg, soit des RVP supérieures à 3 unités Wood (> 5 dans les recommandations américaines), malgré un test de vasodilatation, constitue une contre-indication, au moins relative, à la greffe cardiaque (2, 3). Cette situation constitue en revanche une excellente indication d'ACM monoventriculaire gauche (quand la fonction ventriculaire droite est encore correcte), car, même dans les cas où l'HTP semble “fixée” et non réversible lors des tests pharmacologiques, on observe très souvent la normalisation totale de l'hémodynamique pulmonaire après quelques mois de décharge ventriculaire gauche. Certaines équipes ont aussi rapporté la possibilité de faire une greffe après la correction partielle de cette HTP non réversible après quelques semaines ou mois d'un traitement par sildénafil oral (10). Ce traitement n'ayant pas d'indication ni de preuve formelle dans l'insuffisance cardiaque, cette stratégie doit être réservée par les centres de transplantation à certains cas très particuliers.

Cancers et hémopathies malignes

La conduite à tenir en cas de cancer ou d'antécédent de cancer est une autre question parfois difficile. En effet, le pronostic de beaucoup de cancers s'est amélioré ces dernières années. Cela implique qu'un plus grand nombre de patients ayant un antécédent de cancer sont adressés pour discussion de greffe cardiaque, mais aussi que le pronostic théorique des malades chez qui le bilan prégreffe révèle un cancer est meilleur. Les discussions autour du pronostic du cancer en cours de traitement ou du risque de récidive en cas de rémission doivent se faire avec l'équipe d'oncologie. D'un point de vue général, la greffe cardiaque peut être envisagée dans les cas de faible probabilité de récidive ou de tumeur répondant bien au traitement oncologique et en l'absence de métastase sur un bilan récent et approfondi. Compte tenu du risque d'accélération de l'évolution de certaines tumeurs sous thérapie immunosuppressive, la question spécifique du délai nécessaire avant l'inscription sur liste de greffe après la rémission reste à régler cas par cas. La plupart des équipes essaient d'attendre au moins 3 ans, bien que ce délai soit très arbitraire et ne soit pas précisé dans les recommandations internationales. La discussion doit tenir compte, pour chaque malade, de la possibilité d'attendre l'inscription, qui dépend de la sévérité de l'atteinte cardiaque. Pour les malades les plus fragiles ou symptomatiques, il faut discuter la pose d'une ACM de longue durée en pont à la candidature ou à la greffe (2, 3, 5). Les amyloses systémiques constituent un cas très particulier, car elles comportent souvent une atteinte cardiaque par les dépôts amyloïdes. L'atteinte cardiaque, surtout dans les amyloses à chaînes légères d'immuno­globuline, confère à l'amylose une gravité nettement plus importante. Or, les thérapeutiques actuelles permettent une rémission hématologique dans plus de 80 % des cas. Malheureusement, la gravité de l'atteinte cardiaque ne permet pas toujours d'attendre une rémission durable, et la question d'une greffe cardiaque se pose alors que le traitement hématologique vient de commencer. Ces cas très particuliers doivent être discutés dans des centres de compétences et de référence pour la prise en charge des amyloses en concertation avec un centre de transplantation.

Addiction au tabac, à l'alcool, aux stupéfiants

Les addictions persistantes sont l'exemple d'une question qui doit rester d'ordre médical et non “moral”. Si on prend l'exemple des greffes de foie, il a été montré, d'un point de vue purement scientifique, que la greffe hépatique en urgence pour hépatite aiguë chez des personnes non sevrées de l'alcool avait des résultats à court terme identiques à ceux des malades sevrés. L'addiction récente ne constituerait donc pas une contre-indication absolue. Les résultats à long terme sont moins bons, la cirrhose pouvant récidiver sur le greffon chez les malades non sevrés. Pour la greffe cardiaque, l'existence d'un tabagisme dans les 6 mois qui précèdent une greffe est associée à une mortalité plus importante. Le tabagisme actif est donc une contre-­indication relative à la greffe cardiaque. Il est recommandé de mettre en place tous les modes d'information et toutes les aides au sevrage possibles avant la greffe. Ces aides doivent être poursuivies après la greffe cardiaque. Concernant l'addiction à l'alcool, la question est différente. C'est parce que de nombreux cas d'insuffisance cardiaque à FEVG altérée sont réversibles à l'arrêt de l'intoxication que ce sevrage fait partie du traitement bien conduit. Il n'est pas recommandé de greffer un patient dont le traitement ne serait pas bien conduit, ce qui inclut le cas de l'intoxication alcoolique. Enfin, la situation de la consommation de stupéfiants comporte des questions multiples : une part de causalité dans l'insuffisance cardiaque pour les intoxications à la cocaïne ou aux amphétamines, des questions majeures psychologiques d'observance et de qualité de suivi pour les intoxications aux opiacés et à l'héroïne en particulier. Ces addictions, si elles sont persistantes, constituent une contre-indication absolue au moins temporaire. À nouveau, les malades pour lesquels ce serait la seule contre-­indication et dont on voudrait “éprouver” la qualité du sevrage ou du suivi peuvent être orientés d'abord, cas par cas, vers un projet d'ACM de longue durée dans l'attente de la candidature.

Conclusion

Avec l'amélioration de la survie sous traitement médical et électrique des malades atteints de cardiomyo­pathies ou d'infarctus étendus, la question du recours à la greffe cardiaque et la sélection des candidats restent une mission importante des équipes intervenant avant la greffe. En effet, l'évaluation des malades doit être extrêmement attentive pour ne pas transplanter un patient qui n'en aurait pas besoin, c'est-à-dire dont le cas ne serait pas assez grave pour prendre ce risque ou dont les symptômes ne seraient pas dus uniquement à l'insuffisance cardiaque ; ou chez qui le risque opératoire serait trop important ; ou encore dont l'espérance de vie à 1 an serait insuffisante malgré la correction de l'insuffisance cardiaque. Ainsi, beaucoup de patients sont évalués et seuls quelques-uns seront transplantés avec un bon résultat fonctionnel et avec une vie nettement prolongée. Ces dernières années ont aussi été marquées par l'arrivée de différentes solutions d'ACM, de courte durée pour les patients en situation d'urgence et de longue durée pour les patients dont le cas est trop grave pour le délai d'attente ; ayant une contre-indication absolue mais temporaire (assistance “en pont à la greffe”) ; ayant une contre-indication relative ou en attente d'évaluation (“pont à la candidature”) ; ou encore ayant une contre-indication absolue définitive (assistance définitive). Les résultats pour les patients de ces différentes solutions de prise en charge dépendent étroitement de la cohésion des équipes, rassemblant cardiologues de soins intensifs pour les situations aiguës et de prégreffe cardiaque, ­
d'anesthésistes-réanimateurs, de chirurgiens cardiaques et de médecins de postgreffe cardiaque. L'arrivée future possible des cœurs totalement implantables et autonomes devrait encore fournir des solutions supplémentaires aux situations difficiles.■

Tableau I. Classification INTERMACS (Interagency Registry of Mechanically Assisted Circulatory Support), d’après L.W. Stevenson et al. (1).

Classe 1 : choc cardiogénique qui se “crashe”, aggravation rapide avec défaillance viscérale malgré un traitement médical (dobutamine) – décès prévisible en quelques heures
Classe 2 : choc cardiogénique avec déclin progressif sous traitement médical (dobutamine) – décès prévisible en quelques jours ou semaines
Classe 3 : patient stabilisé sous dobutamine mais dépendant de l’inotrope – décès prévisible en quelques semaines
Classe 4 : patient insuffisant cardiaque fréquemment hospitalisé pour décompensations – décès prévisible en quelques semaines ou quelques mois
Classe 5 : patient non décompensé mais confiné au domicile, intolérant au moindre effort – décès prévisible en quelques mois ou quelques années
Classe 6 : patient ambulatoire, non décompensé, dont la marche est gênée par l’insuffisance cardiaque
Classe 7 : patient ambulatoire, non décompensé, avec dyspnée ou fatigue pour les efforts modérée (équivalent IIIB NYHA)
Tableau II. Indications de greffe cardiaque chez les patients ambulatoires (classes INTERMACS 4 à 6).

Indication classique
Dysfonction systolique du VG (FEVG < 30 %)

+ classe III ou IV de la NYHA
+ taux de peptides natriurétiques (BNP, NT-proBNP) nettement élevé (témoin de l’origine cardiaque des symptômes)
+ un pic de VO2 ≤ 12 ml/mn/kg sous bêtabloquant (sinon ≤ 14 ml/mn/kg), ou, chez le sujet < 50 ans et la femme, un pic de VO2 ≤ 50 % de la théorique et/ou ≥ 3 hospitalisations dans les 12 mois
En l’absence d’un facteur potentiellement réversible et malgré un traitement médical optimal (± resynchronisation)
Indications raresCardiomyopathies hypertrophiques ou restrictives, au stade de l’insuffisance cardiaque sur les critères proches des indications classiques en dehors de la FEVG et de la VO2 peu étudiée dans ce contexte ou compliquées de troubles du rythme ventriculaires, incoercibles malgré un traitement antiarythmique et interventionnel maximum
Cardiomyopathie arythmogène du ventricule droit, pour dysfonction hémodynamique terminale du ventricule droit ou arythmies ventriculaires réfractaires
Cardiopathies congénitales complexes ou endocardites bactériennes récidivantes
et réfractaires sur prothèsevalvulaire
Tableau III. Principales contre-indications de la greffe cardiaque.

Âge > 70 ans
Obésité importante avec IMC > 35 kg/m²
Diabète multicompliqué ou déséquilibré avec HbA1c > 7,5 %
Artériopathie sévère (aortique, des membres inférieurs ou cérébrovasculaire)
Insuffisance rénale chronique sévère (clairance < 30 ml/mn)
Insuffisance hépatocellulaire sévère
Hypertension pulmonaire “mixte” et “fixée” habituellement définie par : PAPs > 50 mmHg et soit gradient transpulmonaire > 15 mmHg, soit RVP > 3-5 UW malgré un test pharmacologique de vasodilatation pulmonaire
Infection non contrôlée
Insuffisance respiratoire chronique sévère (par exemple VEMS < 1 l/mn ou 40 % Th)
Cancer ou hémopathie maligne évolutive ou en rémission depuis moins de 3 à 5 ans
Maladie de système (lupus, sarcoïdose, amylose, etc.) avec atteinte multiorgane
Addiction persistante à l’alcool, au tabac ou aux stupéfiants
Conditions sociales ou psychologiques rendant trop incertaine l’observance thérapeutique et la surveillance
Tableau I. Classification INTERMACS (Interagency Registry of Mechanically Assisted Circulatory Support), d’après L.W. Stevenson et al. (1).

Classe 1 : choc cardiogénique qui se “crashe”, aggravation rapide avec défaillance viscérale malgré un traitement médical (dobutamine) – décès prévisible en quelques heures
Classe 2 : choc cardiogénique avec déclin progressif sous traitement médical (dobutamine) – décès prévisible en quelques jours ou semaines
Classe 3 : patient stabilisé sous dobutamine mais dépendant de l’inotrope – décès prévisible en quelques semaines
Classe 4 : patient insuffisant cardiaque fréquemment hospitalisé pour décompensations – décès prévisible en quelques semaines ou quelques mois
Classe 5 : patient non décompensé mais confiné au domicile, intolérant au moindre effort – décès prévisible en quelques mois ou quelques années
Classe 6 : patient ambulatoire, non décompensé, dont la marche est gênée par l’insuffisance cardiaque
Classe 7 : patient ambulatoire, non décompensé, avec dyspnée ou fatigue pour les efforts modérée (équivalent IIIB NYHA)
Tableau II. Indications de greffe cardiaque chez les patients ambulatoires (classes INTERMACS 4 à 6).

Indication classiqueDysfonction systolique du VG (FEVG < 30 %)
+ classe III ou IV de la NYHA
+ taux de peptides natriurétiques (BNP, NT-proBNP) nettement élevé (témoin de l’origine cardiaque des symptômes)
+ un pic de VO2 ≤ 12 ml/mn/kg sous bêtabloquant (sinon ≤ 14 ml/mn/kg), ou, chez le sujet < 50 ans et la femme, un pic de VO2 ≤ 50 % de la théorique et/ou ≥ 3 hospitalisations dans les 12 mois
En l’absence d’un facteur potentiellement réversible et malgré un traitement médical optimal (± resynchronisation)
Indications raresCardiomyopathies hypertrophiques ou restrictives, au stade de l’insuffisance cardiaque sur les critères proches des indications classiques en dehors de la FEVG et de la VO2 peu étudiée dans ce contexte ou compliquées de troubles du rythme ventriculaires, incoercibles malgré un traitement antiarythmique et interventionnel maximum
Cardiomyopathie arythmogène du ventricule droit, pour dysfonction hémodynamique terminale du ventricule droit ou arythmies ventriculaires réfractaires
Cardiopathies congénitales complexes ou endocardites bactériennes récidivantes
et réfractaires sur prothèse valvulaire
Tableau III. Principales contre-indications de la greffe cardiaque.

Âge > 70 ans
Obésité importante avec IMC > 35 kg/m²
Diabète multicompliqué ou déséquilibré avec HbA1c > 7,5 %
Artériopathie sévère (aortique, des membres inférieurs ou cérébrovasculaire)
Insuffisance rénale chronique sévère (clairance < 30 ml/mn)
Insuffisance hépatocellulaire sévère
Hypertension pulmonaire “mixte” et “fixée” habituellement définie par : PAPs > 50 mmHg et soit gradient transpulmonaire > 15 mmHg, soit RVP > 3-5 UW malgré un test pharmacologique de vasodilatation pulmonaire
Infection non contrôlée
Insuffisance respiratoire chronique sévère (par exemple VEMS < 1 l/mn ou 40 % Th)
Cancer ou hémopathie maligne évolutive ou en rémission depuis moins de 3 à 5 ans
Maladie de système (lupus, sarcoïdose, amylose, etc.) avec atteinte multiorgane
Addiction persistante à l’alcool, au tabac ou aux stupéfiants
Conditions sociales ou psychologiques rendant trop incertaine l’observance thérapeutique et la surveillance

Références

1. Stevenson LW, Pagani FD, Young JB et al. INTERMACS profiles of advanced heart failure: the current picture. J Heart Lung Transplant 2009;28:535-41.

2. Mehra MR, Kobashigawa J, Starling R et al. Listing criteria for heart transplantation: International Society for Heart and Lung Transplantation guidelines for the care of cardiac transplant candidates-2006. J Heart Lung Transplant 2006;25:1024-42.

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Liens d'intérêt

N. Lamblin et C. Goeminne déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.