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Encoprésie : l'enfant acteur de sa prise en charge


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G. Niedergang interroge le forum sur la démarche à suivre à propos d'un de ses patients âgé de 13 ans encoprétique depuis toujours. La prise en charge par une psychologue n'a eu aucun effet. Selon notre consœur, la famille, pourtant solide, est proche de l'explosion : 13 ans, c'est trop…

Ce cas clinique a suscité de nombreux échanges, passionnés et passionnants, sur cette pathologie. Dans un premier temps, A. Sengier-Njinou conseille, si cela n'a pas déjà été fait, de réaliser au minimum un bilan organique avec exploration biologique, comprenant des tests thyroïdiens, une sérologie cœliaque et une manométrie rectale. Elle demande quelques précisions, notamment sur l'évolution de la courbe staturopondérale de ce jeune patient, sur l'existence de troubles urinaires diurnes associés ou de fuites urinaires nocturnes. Elle interroge également sur le contexte psychosocial de la famille, mais aussi sur des antécédents de sévices sexuels d'une part, et d'autre part sur le bénéfice secondaire de cette encoprésie pour ce jeune patient. Elle suggère enfin de demander aux parents l'autorisation de se mettre en lien avec la psychologue qui aura peut-être consigné un suivi.

M. Boublil souhaite également avoir des informations complémentaires sur ce jeune patient : est-il autiste, déficient, psychotique, schizophrène ? Est-il scolarisé normalement ? Dans quel environnement social et familial vit-il ? Qu'est-ce qui a été tenté comme prise en charge psy ? A-t-il plusieurs selles par jour ? Est-il inconscient d'être sale ? Demande-t-il quand il a fait ? Comment les parents gèrent-ils le problème ? Utilise-t-il des couches ? Les parents le battent-ils ?

G. Niedergang complète la présentation : il n'est ni autiste ni déficient ; il a de bons résultats scolaires ; il vit dans une “bonne famille”, qui dit qu'elle n'en peut plus et qu'elle va craquer ; il n'est pas conscient d'être sale ; il n'a pas de couches ; il n'est pas battu.

Notre consœur précise qu'il a ­présenté plus jeune une constipation rebelle traitée “énergiquement” par le gastropédiatre. Suite à cette prise en charge, l'encoprésie a disparu temporairement, mais l'enfant a refusé le traitement prescrit pour cette constipation et l'encoprésie est réapparue.

Débat autour de la manométrie…

C. Olivari-Philiponnet, neuropédiatre, propose à G. Niedergang de contacter un service de chirurgie pédiatrique ou de médecine physique et de ­rééducation (MPR) prenant en charge les troubles vésicosphinctériens, qui pourra pratiquer les examens (dont la manométrie anorectale) et pourra proposer une prise en charge plus “pratique”, avec de l'ETP (Éducation thérapeutique du patient) par exemple, qui peut être complémentaire de l'approche “psy”, explique-t-elle.

C. Philippe demande quel serait l'intérêt d'une manométrie et/ou de l'expertise d'un chirurgien : si le symptôme peut faire l'objet de maltraitances, tant familiales qu'institutionnelles pour l'enfant ou l'adolescent qui en souffre, n'en rajoutons pas en le soumettant à des tas d'examens inutiles et invasifs, ­estime-t-il.

D'autant que la maladie de ­Hirschsprung ne se diagnostique pas à cet âge et que “si ça sort tellement que c'est plein”, c'est qu'il reste tout de même de la motricité, ajoute-t-il, en précisant que l'expérience montre que ça ne sort pas “passivement”.

Notre confrère – qui prépare une mise au point sur l'encoprésie pour Médecine & enfance – conseille la lecture d'un article de Nathalie Boige : L'évolution de la clinique de l'encoprésie infantile. Une bombe à retardement, paru dans La lettre de l'enfance et de l'adolescence [1].

C. Olivari-Philiponnet défend, quant à elle, l'intérêt du bilan manométrique. Les spécialistes des troubles vésico­sphinctériens ne sont pas tous des brutes qui veulent faire des examens inutiles et invasifs, observe-t-elle. Si ce jeune patient n'a jamais eu d'examens complémentaires, ceux-ci peuvent aider à comprendre la mécanique du trouble et permettre de dépister une éventuelle cause organique. Ce sont souvent des chirurgiens qui réalisent ces examens, mais il existe des centres experts dans lesquels exercent des gastroentérologues ou des médecins MPR spécialisés qui apportent un autre regard, complémentaire, selon elle.

A. Sengier-Njinou estime qu'il est en effet parfois nécessaire de démontrer à la famille et au patient qu'il n'y a justement rien d'organique dans ce trouble et que la prise en charge repose sur une rééducation sphinctérienne longue et rigoureuse avec un traitement laxatif adéquat et un horaire défécatoire à imposer.

L'enfant détient la clé de la guérison

Pour C. Philippe, il est effectivement essentiel de faire comprendre, tant aux parents qu'à l'enfant (et souvent au médecin traitant), que l'encoprésie n'a rien d'organique. La constipation est bien une dysfonction, quelle qu'en soit la cause. Il suffit d'expliquer, sans recourir à des examens complémentaires inutiles qui ne feraient que conforter les uns et les autres dans l'idée d'une possible organicité. Il en est de même pour l'énurésie primaire isolée, pour laquelle tant d'examens inutiles sont encore trop souvent prescrits.

L'enfant, dans sa “toute-puissance”, doit comprendre qu'il est bien le seul à détenir la clé qui lui permettra de se libérer de ce symptôme bien handi­capant tant il est difficilement tolérable. C. Philippe rapporte ce qu'il dit à ses jeunes patients atteints d'encoprésie : ­“Personne ne peut faire caca à ta place, mais je vais t'aider”.

Il précise que des aménagements doivent être proposés, avant toute autre prise en charge thérapeutique, afin de permettre à cet enfant de mener une vie sociale décente et ne pas être l'objet de maltraitances, celles-ci devant être systématiquement dépistées.

La question de l'organicité de l'encoprésie n'a pas fini de nous animer, constate C. Philippe, qui recommande la lecture d'un autre article, coécrit par M. Bellaïche, sur l'“Abord psychosomatique de l'encoprésie” [2]. Les auteurs expliquent dans l'introduction que “la prise en charge de l'encoprésie est volontiers source de polémique entre les tenants du tout-organique et ceux du tout-psychique. La seule façon de trancher le débat serait de pouvoir disposer d'études comparatives entre les différents types de prise en charge, mais de telles études, difficiles, restent à faire. Dans cette attente, nous avons jugé utile de publier ce point de vue psychosomatique nuancé de l'approche de l'enfant encoprétique, différent de la vision plus organique exposée par O. Goulet.”

C. Philippe souligne qu'il est difficile d'envisager des recommandations de bonnes pratiques de la prise en charge de l'encoprésie tant chaque situation est singulière.

Pour illustrer la problématique complexe de ce symptôme, M. Boublil partage l'histoire du crocolion. L'histoire se passe au Sénégal, sous l'arbre à palabres. Un enfant demande aux anciens :

“– Quel est l'animal le plus méchant de la brousse ?

– C'est le lion, répond un vieil homme. Il est très méchant et très cruel, s'il t'attrape, il te met en morceaux et te dévore tout cru.

– Non, dit un autre homme plus âgé, c'est le crocodile, il est très, très méchant et encore plus cruel, il te prend dans sa gueule et il t'avale tout rond.

– Pas du tout, reprend un troisième encore plus âgé. Le plus méchant, c'est le crocolion. Il a une gueule de crocodile d'un côté et une gueule de lion de l'autre, il est très, très, très méchant, comme un crocodile et un lion réunis.

– Mais, dit l'enfant, s'il a une gueule de chaque côté, il ne peut pas faire caca !

– En effet, répond l'ancien, et c'est pour cela qu'il est très, très, très, méchant.”

L'histoire du crocolion, animal le plus méchant de la brousse, sert ici de point de départ à une réflexion sur la pulsion anale qui a quasiment disparu de la littérature psychanalytique, alors même qu'elle est devenue prévalente dans le fonctionnement psychique et le lien social contemporains, explique N. Bon, qui rapporte cette histoire dans un article de 2009 recommandé par nos confrères M. Boublil et C. Philippe [3].

Revenant à l'approche psycho­somatique de l'encoprésie, ce dernier conseille 2 autres articles, l'un publié dans le livre L'enfant et son corpsÉtudes sur la clinique psychosomatique du jeune âge [4], l'autre intitulé : L'encoprésie de l'enfant. Une réévaluation bidisciplinaire du concept et du traitement [5].

Enfin, pour répondre à G. ­Niedergang, à l'origine de cette discussion, C. ­Philippe note que si ces approches thérapeutiques (psychanalyse, psychosomatique) ne suffisent pas à venir à bout de ce symptôme bien fixé, et qui accroche comme une selle au fond de la culotte, elles ont au moins le mérite de mieux comprendre sa psycho­dynamique en le replaçant toujours dans le contexte familial dans lequel il s'ancre.

Une prise en charge pluridisciplinaire est essentielle. S'accrocher au symptôme serait pure illusion. S'il est bien fixé, c'est à l'enfant de bouger en l'invitant à être le propre acteur de sa prise en charge.

L'avis du gastroentérologue

En pratique, comment aider ces jeunes patients ? Le Dr Alexis Mosca du service de gastroentérologie et nutrition pédiatrique de l'hôpital Robert-Debré présente 2 techniques proposées aux enfants dont l'encoprésie complique une constipation sévère et ancienne responsable d'une altération des mécanismes physiologiques impliqués dans le processus de défécation.

À l'hôpital Robert-Debré, nous utilisons une technique de biofeedback visant à corriger l'asynergisme abdomino-sphinctérien qui entretient la constipation et entraîne la perte ­incontrôlée de selles, explique le Dr Mosca. Normalement, pour exonérer, il faut d'abord pousser, donc contracter les muscles puis relâcher le sphincter anal. Surtout s'ils ont présenté un anisme suite au passage de selles très dures et volumineuses ayant provoqué de vives douleurs, irritation, voire des fissures anales, ces jeunes patients n'arrivent plus à relâcher leur sphincter. La contraction inappropriée du sphincter anal externe est alors responsable d'un syndrome obstructif anorectal.

La technique de biofeedback vise à améliorer la compréhension de la défécation et de ses mécanismes périnéaux à l'aide d'une manométrie et d'une sonde rectale. Elle permet de retrouver la sensation anale et d'obtenir la dissociation de la contraction sphinctérienne et des efforts de poussée. Il ne s'agit pas vraiment d'une rééducation, mais plutôt de l'apprentissage de la coordination des mouvements nécessaires pour obtenir une exonération normale et non douloureuse, précise le Dr Mosca. Le taux de succès est d'environ 70 % en 4 à 5 séances dans cette forme d'encoprésie rétentionnelle.

À l'hôpital Necker, l'approche est différente, elle vise à rétablir la sensibilité rectale altérée chez ces patients qui ont généralement un mégadolichocôlon avec une dilatation du sigmoïde et du rectum. Ils n'ont plus la sensation du besoin de déféquer lorsque les selles sont normales, explique le Dr Mosca. Ils ne ressentent le besoin que lorsqu'elles sont très volumineuses et qu'un fécalome s'est déjà formé.

La technique fait appel à un ballonnet gonflé à des volumes progressivement dégressifs pour retrouver la sensation du besoin de défécation pour des selles normales. Ces techniques s'inscrivent bien entendu dans le cadre d'une prise en charge globale de ces jeunes patients. ●

Références

1. N. Boige. L’évolution de la clinique de l’encoprésie infantile. Une bombe à retardement. La Lettre de l’Enfance et de l’Adolescence 2011;1 (n° 83-84):103-12.

2. N. Boige et al. Abord psychosomatique de l’encoprésie . Arch Pediatr 1999;6(12):1331-7.

3. N. Bon. Animalus horribilis. Une pulsion détestée. Le Journal des psychologues 2009;269(6):70-4.

4. L. Kresler et al. L’enfant et son corps. Études sur la clinique psychosomatique du jeune âge. Presses Universitaires de France, 1974.

5. S. Missonnier, N. Boige. L’encoprésie de l’enfant. Une réévaluation bidisciplinaire du concept et du traitement. https://www.rap5.org/Publications/Articles_et_communications_en_ligne/Enfance_et_Psychosomatique/
81/encopresie.pdf


Liens d'intérêt

M. Joras déclare ne pas avoir de liens d’intérêts en relation avec cet article.