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Point Psy

L’enfant et la conscience morale


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“La conscience morale équivaut à une juste connaissance du bien et du mal.”
PLATON

À notre époque, on ne cesse d’évoquer l’abaissement de la conscience morale chez les adultes et les enfants. La plupart des enfants jeunes qui nous sont adressés en consultation pour des troubles externalisés sont décrits comme n’ayant aucune limite, se sentant égaux des adultes et ne respectant rien ni personne. Le président de la République parle de “décivilisation” après qu’un ancien ministre de l’Intérieur a dénommé “sauvageons” ces enfants sans loi.

Qu’est-ce que le bien, qu’est‑ce que le mal ?

Pour les croyants, dans les religions monothéistes, comme dans le bouddhisme, ces notions sont définies dans des livres sacrés. Pour les autres, des questions se posent dans une société où, malgré des efforts éducatifs louables, nombre de situations sont vécues comme injustes, discriminatoires, reproduisant les inégalités sociales suscitant des attitudes de révolte chez des adultes comme chez des enfants, et donc un brouillage de cette notion de bien et de mal.

Comment la conscience morale naît-elle chez l’enfant ?

Cette conscience morale est-elle innée ou acquise, et si elle est acquise, comment l’est-elle ?

Cette conscience morale dans un monde de brutes, de profiteurs, d’injustices persiste-t-elle à l’âge venant ? Ou bien est-elle liée au statut d’obéissance et de dépendance de l’enfant qui réprime ses mauvais penchants pour se soumettre à ses parents par crainte ou par amour, et qui, libéré de leur joug, laissera libre cours à sa nature profonde ?

Des enfants sans problème à la maison mais se comportant mal à l’école ou au sport – ou inversement – sont des exemples fréquents : l’enfant peut-il avoir, comme l’adulte, deux visages ?

En outre, avoir une conscience morale est-elle une bonne voie pour l’enfant ? Certains parents pensent que non, et eux-mêmes sont en révolte contre la morale bourgeoise des riches qui promeuvent un immobilisme réactionnaire. L’enfant doit-il respecter scrupuleusement cette juste connaissance du bien et du mal, n’y a-t-il pas danger s’il est trop soumis aux règles strictes des adultes, n’y a-t-il pas de risque qu’il se laisse faire, voire qu’on abuse de lui ?

Certains parents craignant que leur enfant ne soit pas assez incisif, lui conseillent de ne surtout pas se laisser faire, de rendre les coups au détriment de la bonne éducation, voire d’être un agresseur plutôt qu’une victime.

Ce qui équivaut à la conscience morale en psychanalyse (où le terme n’existe pas) est la résolution du complexe d’œdipe dont le surmoi est l’héritier. Acquérir un surmoi est la condition nécessaire pour devenir un être civilisé, mesuré, juste et responsable.

Mais de quelle nature est ce surmoi ?

Le surmoi devrait être intériorisé, métabolisé, faire partie de soi-même et ne pas être trop cruel, sinon il y a un risque de masochisme et d’autopunition. Dans le Pinocchio de Walt Disney, c’est Jiminy Cricket, à qui Pinocchio tantôt obéit en rougissant de culpabilité, tantôt que Pinocchio enferme ou balance quand ses injonctions ne lui conviennent pas ; la conscience morale ici ne fonctionne pas, car Pinocchio s’y soumet quand elle est là mais il s’en débarrasse ou s’en affranchit quand il le souhaite. C’est un surmoi externe qui ne fonctionne que quand il est là. Certains enfants se comportent ainsi en présence du censeur (parent, enseignant, éducateur, etc.).

Le problème est plus complexe et toute option, toute décision, dans le fond comme dans la forme, est la résultante d’un débat intérieur parfois rapide, parfois long et douloureux ; on touche là à ce qu’on nomme “l’éthique” : va-t-on appliquer la loi, la règle, sans réfléchir ? Va-t-on voir les limites de ce qu’on nous demande d’être et de faire, même si cela émane de nos parents à qui on est censé obéir ? Et si nos parents sont dérangés, malades mentaux, déficients intellectuels ou pervers, ou bien s’ils nous instrumentalisent dans un problème de couple ou dans un problème névrotique davantage lié à leur enfance qu’à nous ?

La naissance et l’établissement de la conscience morale chez l’enfant est nécessairement la résultante d’un compromis, d’une réflexion, d’une confrontation, d’un débat.

Les parents, les enseignants ou encore la société ne peuvent fixer arbitrairement ce qui est bon et ce qui est mauvais, et l’enfant ne peut durablement adhérer à des critères qu’il n’a pas lui-même réfléchis et intégrés, faits siens.

La revue LeDivan familial évoque une instance dans la psyché nommée le “coryphée interne” [1]. Dans la tragédie grecque, cet exercice religieux à l’époque où coexistait une multitude de dieux, la tragédie avait une place fondamentale ; les acteurs portaient un masque et déclamaient un texte, on trouvait au centre de la scène le chef des chœurs, le coryphée, et en arrière-plan le chœur, qui rappelle au héros la loi de la cité, le coryphée étant une sorte de discutant qui envisage toutes les solutions, replace la réflexion dans un contexte plus large, plus individualisé. Ce coryphée est dans une position intermédiaire entre les acteurs le chœur et les spectateurs. Pour les auteurs, le “coryphée interne” a 5 fonctions :

  • rappeler les valeurs communes, la loi de la cité ;
  • inciter à la réflexion : prendre du recul, ne pas être dans la précipitation ;
  • écouter d’autres options, comme des conseillers ; comprendre qu’il y a d’autres réponses possibles au stimulus initial ;
  • penser aux ancêtres (parents, grands-parents, oncles et tantes, etc.) et à sa loyauté vis-à-vis d’eux, au sentiment d’identité et d’appartenance ; les parents aussi peuvent être aidés par cet ancrage ;
  • analyser son éventuel sentiment de culpabilité (s’il existe) ou de réparation du préjudice ; penser aux conséquences de son option sur l’autre ; se rendre compte que l’autre existe (pensée éthique lévinassienne).

Tout cela permettant à terme d’humaniser les décisions de l’enfant à travers un travail psychique et non pas comme la réponse à un interdit non compris et non intégré. Donc, la conscience morale ne serait pas une transmission mais la résultante d’un travail psychique. Les auteurs préconisent un travail de dramathérapie (forme de psychothérapie avec des techniques empruntées au théâtre) pour aider les enfants en difficulté dans ce domaine.

Il paraît impensable qu’un jeune enfant aux prises avec sa pulsion agressive vengeresse ou de pouvoir envisage ces 5 fonctions avant d’entrer en action. En revanche, à titre préventif ou après un épisode de transgression, d’agression ou de débordement, on peut en discuter avec l’enfant. Les parents, comme l’école ou des éducateurs, peuvent avoir pour pour rôle de travailler ces fonctions avec l’enfant. L’éthique en maternelle ne devrait pas être une option mais une matière aussi importante que le langage ou les ­mathématiques.

Comment faire pour que l’enfant acquière une conscience morale ?

Il n’y a pas de recette, mais si les parents et les éducateurs ont un comportement qui, aux yeux de l’enfant, est juste, raisonnable, mesuré, cela aide. Si, en outre, le lien avec l’enfant est marqué par la bienveillance et la tolérance, c’est un élément de plus. L’enfant ne respecte pas ce qu’on lui dit mais apprécie avant tout “comme on est” ; grande difficulté de demander aux parents d’être exemplaires. C’est pourquoi le travail psychique est indispensable.

Quand Topaze [2] dit : “Mes enfants ! Les proverbes que vous voyez au mur de cette classe correspondaient peut-être jadis à une réalité disparue ; aujourd’hui on dirait qu’ils ne servent qu’à lancer la foule sur une fausse piste pendant que les malins se partagent la proie” ; il émet un conseil qui correspond à sa nouvelle réalité, qu’on ne peut cacher aux enfants. L’enfant doit avoir toutes les visions, même les plus cyniques, de la société. En effet, comment décider du bien et du mal si on ne sait pas où est le mal ? On ne peut édicter des règles que l’enfant doit simplement respecter.

Son accession à cette réflexion éthique n’est bien sûr possible que si sa vie n’a pas été gravement atteinte par des violences, des maltraitances, des ruptures imposées sans que l’on ne tienne compte de son avis. Chez certains enfants placés, dont beaucoup sont inadaptés socialement à l’âge adulte1, la figure d’attachement idéalisée car perdue doit demeurer dans un tel rapport d’exclusivité que le collage et l’étouffement de l’adulte qui le remplace (la mère d’accueil) ne peut suivre, ce qui conduit l’enfant à la rage et à la haine, le rendant indisponible pour tout autre apprentissage affectif [3]. ●

1 Chez les SDF nés en France, la proportion d’ex-enfants placés atteint 23 % (contre 2 à 3 % dans la population générale).

Références

1. Bremond M, Condault G. “Meurtres et transmission de la faute, dans les mythes grecs”. Le divan familial 2016/2 n° 37.

2. Pagnol M. Topaze. Livre de poche, 1969.

3. Bonneville Baruchel E. in les traumatismes relationnels précoces ED ERES la vie de l’enfant 2015.


Liens d'intérêt

M. Boublil déclare ne pas avoir de Iiens d’intérêts en relation avec cet article.