Les corticoïdes locaux injectables que nous utilisons actuellement en rhumatologie ont presque une cinquantaine d'années. Le premier d'entre eux, le Dépomédrol® (acétate de méthylprednisolone) a eu son AMM en France en 1961 (il a été approuvé par la FDA en 1959 aux États-Unis), seulement quelques années après la commercialisation de la corticothérapie par voie générale (1955). La plupart de ceux que nous utilisons actuellement – le Diprostène® et le Célestène chronodose® (dipropionate et phosphate de bétaméthasone), le Kenacort® (acétonide de triamcinolone), l'Hexatrione® (hexacétonide de triamcinolone), l'Hydrocortancyl® (acétate de prednisolone), et toujours le Dépomédrol® – (tableau) ont tous été commercialisés entre 1973 et 1976, c'est-à-dire il y a près de 50 ans... Leur coût, non réévalué, reste dérisoire. Le Soludécadron® (hémisuccinate de dexaméthasone) a été commercialisé en 1997 et retiré du marché en France en 2001 à la suite d'une manifestation allergique grave. En 1997 était apparu également l'Altim® (cortivazol) qui était une suspension de fabrication complexe et à effet retard, mais il n'est malheureusement plus disponible depuis 2018 à la suite d'une contamination dans la seule chaîne de fabrication existante.
Presque tous les produits utilisés en solution injectable en rhumatologie ont été conçus sur la base d'une action locale à effet retard, grâce à l'utilisation de microparticules à délitement progressif. Le Célestène chronodose® et le Diprostène® associent une forme soluble (phosphate) et une forme retard (dipropionate) de bétaméthasone. Les corticoïdes injectables solubles de type phosphate de dexaméthasone (Dexaméthasone gén*) ou phosphate de bétaméthasone (Célestène®, Betnesol®) ne sont quasiment pas utilisés bien qu'ils aient les indications officielles en injections locales. Le Solumédrol® (hémisuccinate de méthylprednisolone) est soluble et utilisé en injection intraveineuse, mais n'a pas d'indication locale en rhumatologie. L'hydrocortisone (Hydrocortisone gén*), la molécule de base la plus proche de la cortisone, n'a d'indication qu'au cours de l'insuffisance surrénale.
Utilisation privilégiée des formes retard
En ce qui concerne les injections épidurales et foraminales, certaines études sont plus en faveur d'une action un peu plus durable des formes microcristallines [1-4], mais d'autres études ne retrouvent pas de différence [5-7], et une méta-analyse récente n'en retrouve pas non plus [8]. Compte tenu des risques de floculation de ces produits microcristallins, qui sont maintenant contre-indiqués en infiltrations foraminales, et bien que ces risques soient rarissimes par les voies interépineuses ou caudale, la tendance mondiale actuelle est très nettement l'utilisation des formes solubles de glucocorticoïdes. Les injections microcristallines comme les injections foraminales sont contre-indiquées s'il y a un contexte microvasculaire et sans argument pour utiliser des formes retard au niveau des autres voies rachidiennes (encadré). Ces recommandations demandent toutefois à être confirmées par des essais comparatifs.
Complications consécutives à l'utilisation des corticoïdes
Les complications des corticoïdes locaux en rhumatologie ont fait l'objet de beaucoup d'articles. On retiendra ici la responsabilité propre des corticoïdes et de leurs formulations. Les effets systémiques restent marginaux. On peut noter que les formes solubles ou les formes retard avec une proportion de forme soluble (Diprostène®, Célestène chronodose®) sont responsables d'une rougeur ou d'un gonflement du visage qui ont parfois été rapportés par les patients comme pseudo-allergisants. Les conservateurs ont pu être incriminés, comme les parabènes, l'acide édétique, l'alcool benzylique, le chlorure de miripirium, mais les allergies à ces produits sont exceptionnelles [9]. Les métabisulfites, dont l'utilisation comme conservateur ne se fait pas à dose toxique neurogène, sont très largement employés dans les vins et dans l'alimentation. Ils ont exceptionnellement été associés à des manifestations d'allure allergisante, et il s'agit en fait plutôt d'une intolérance, surtout chez les asthmatiques. Enfin, on trouve comme autres composants dans ces produits injectables, du PEG (polyéthylène glycol), de la carmellose, des polysorbates, du sorbitol, des glutamates, des citrates, de la vanilline, et des stabilisateurs de pH (NaOH et HCl), qui ont pu également être associés à d'exceptionnelles manifestations allergiques. Les conséquences sur un diabète ou une hypertension ne durent que quelques jours, mais justifient néanmoins une surveillance attentive. L'effet sur l'axe corticosurrénalien peut perdurer plusieurs semaines, biologiquement, mais il n'est rapporté que peu d'effet clinique correspondant, comme une fatigue ou une hypotension, et pas d'insuffisance surrénale secondaire si les injections cortisoniques locales ne sont pas répétées à de très nombreuses reprises dans l'année. Curieusement, des cas d'hypercorticisme ont été rapportés, mais en fait ils auraient pu préexister et être révélés par des infiltrations cortisoniques. Enfin, le risque infectieux est tellement rare, 1/40 000 environ, qu'il est bien difficile de dire s'il y a un effet favorisant du corticoïde localement comme c'est le cas avec la corticothérapie générale à forte dose.
L'effet thrombogène des corticoïdes injectables dits particulaires ou dans une forme microcristalline a été la grande nouvelle de ces dernières années [10]. De ce fait, leur utilisation au niveau rachidien, là où des complications graves ont été rapportées, a été limitée par de nombreuses recommandations. On peut élargir la précaution en évitant ces produits à chaque fois qu'il peut y avoir un risque d'injection intravasculaire, en sachant que le test du reflux avant d'injecter est de valeur limitée.
Il est intéressant de focaliser ces complications sur le risque atrophiant des corticoïdes locaux. Ce risque est attesté cliniquement par des atrophies cutanées lors d'injections trop superficielles ou avec reflux, ou de leur utilisation pour faire régresser des nodules rhumatoïdes ou des cicatrices chéloïdes.
En pratique
Pour une infiltration rachidienne, les corticoïdes solubles semblent suffisants et laisseront plus rapidement les nécessaires processus de cicatrisation opérer. Lors de processus douloureux chroniques sans mise en évidence d'inflammation locale, les phénomènes de conflit d'ischémie ou de tractation douloureuse sont à considérer comme à l'origine des douleurs, sans apport évident d'un traitement corticoïde local. Les mêmes voies de recherche sont à poursuivre pour les déchirures des structures périarticulaires, avec la mise au point de produits régénérants et analogiques, dont les plasmas riches en plaquettes ne représentent que l'aube de possibilités futures…