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Lombalgie commune : quelle rééducation, pour quelle lombalgie ?


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  • La lombalgie commune est un problème de santé publique par sa prévalence, son impact sur la qualité de vie et le coût médicoéconomique majeur associé à la lombalgie chronique. À la phase aiguë, il est essentiel de délivrer au patient une information rassurante et de l'encourager à rester le plus physiquement actif possible. À la phase chronique, les exercices sont efficaces sur la douleur et les limitations d'activité. Il existe de multiples propositions de techniques de rééducation active, mais aucune n'a fait la preuve de sa supériorité par rapport à l'autre. La prise en compte des préférences du patient et d'une problématique psychosociale est essentielle pour proposer le traitement le plus adapté possible.

Le traitement de la lombalgie commune doit être précis dans son contenu et sa temporalité. Un traitement inapproprié ou “hors délai” pourrait contribuer à une évolution défavorable de l'épisode en cours de lombalgie. Dans les différentes stratégies thérapeutiques proposées dans la lombalgie commune, la rééducation occupe une place fondamentale. Elle a pour objectif principal de prévenir et/ou réduire le handicap et d'améliorer le fonctionnement du patient, dans toutes ses composantes, telles que définies par l'OMS dans la Classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé (CIF). Cet objectif sera modulé en fonction de la durée et du profil évolutif des symptômes.

Prévention de la récidive de lombalgie

Une revue du groupe Cochrane a montré à partir de 13 essais randomisés contrôlés (ERC) que les programmes de rééducation, comportant exercices et ± éducation, pratiqués après la fin du traitement d'un épisode de lombalgie, avaient un intérêt pour réduire le nombre de récidives [1]. En revanche, l'efficacité des exercices pratiqués pour traiter l'épisode en cours de lombalgie sur la diminution des récidives n'est pas démontrée.

Traitement de la poussée aiguë de lombalgie

À la phase aiguë, la pratique d'exercices n'a pas fait la preuve de son efficacité sur la douleur ou les limitations d'activité [2]. Encourager le patient à rester aussi actif que possible a un effet positif sur la douleur et les limitations d'activité avec, néanmoins, une taille d'effet faible [3]. L'éducation à la neurophysiologie de la douleur pourrait également avoir sa place dès la phase aiguë dans une démarche de prévention de chronicisation de la douleur chronique. Chez les patients souffrant d'une doulour chronique, une revue systématique de la littérature montre qu'une éducation à la neurophysiologie et à la neurobiologie de la douleur est efficace sur la douleur, les limitations d'activité, le catastrophisme et les performances physiques [4]. Le site Retrain Pain (https://www.retrainpain.org/francais) peut être une ressource utile pour accompagner cette démarche d'éducation auprès des patients. Néanmoins, l'intérêt de ce type d'éducation n'a pas été démontré dans la lombalgie aiguë.

Traitement de la lombalgie à la phase subaiguë

À la phase subaiguë, les preuves d'efficacité des exercices sur la douleur et les limitations d'activité sont faibles [2]. Un ERC a montré qu'une intervention complexe comprenant une observation de la situation de travail, des exercices de difficulté croissante, une approche comportementale et une éducation du patient favorisait le retour au travail et réduisait les arrêts de travail sur une période de 2 ans après l'inter­vention [5]. Une étude de faisabilité portant sur une intervention multidisciplinaire courte comprenant éducation (messages rassurants, gestion de la douleur et ergonomie) et rééducation (apprentissage d'un autoprogramme personnalisé d'exercices et de techniques de relaxation) a récemment montré une évolution favorable à 3 mois des scores de peurs et croyances, d'anxiété, de dépression, de limitations d'activité et de coping [6]. Repérer à la phase subaiguë les patients à risque d'évolution chronique et les orienter rapidement vers une prise en charge spécifique est un enjeu important des stratégies actuelles.

Traitement de la lombalgie à la phase chronique

À la phase chronique, les exercices ont fait la preuve de leur efficacité sur la douleur et les limitations d'activité. Toutefois, la taille d'effet est faible [2]. Les programmes de rééducation comprennent le plus souvent une phase supervisée permettant l'apprentissage d'un autoprogramme personnalisé d'exercices à visée de renforcement musculaire et de stabilisation du tronc. Certains programmes contiennent également de la thérapie manuelle et de l'éducation [2]. Le rationnel des exercices dans la lombalgie chronique repose sur l'altération de la force, de l'endurance musculaire et du contrôle neuromoteur et les effets pléiotropes et spécifiques de l'activité physique (production d'opioïdes endogènes, amélioration du contrôle musculaire périarticulaire, etc.) [7]. Compte tenu du nombre et de la variété des propositions thérapeutiques, il convient de se poser la question du choix de la technique de rééducation.

Certaines techniques de rééducation active sont-elles plus efficaces que d'autres ?

À la phase chronique, de nombreuses formes d'exercices ont été proposées et évaluées.

Programmes classiques d'exercices

Les programmes classiques contiennent des exercices de renforcement musculaire, d'étirement et des activités aérobies. Les exercices de contrôle neuro­moteur du pelvis et du rachis lombaire (“core stability exercises” ou “motor control exercises”) constituent également une proposition thérapeutique fréquente. Une revue de littérature a montré que les exercices de contrôle neuromoteur étaient plus efficaces à court terme uniquement sur la douleur et les limitations d'activité que les programmes d'exercices classiques [8]. Néanmoins, une revue du groupe Cochrane a conclu à la non-­supériorité des exercices de contrôle neuro­moteur sur les autres types de prise en charge [9].

Gymnastique Pilates

Gymnastique Pilates a été créée par Joseph Pilates au début du XXsiècle. Inspirée du yoga, elle est caractérisée par le travail en position neutre de la colonne vertébrale, le verrouillage pelvien et le travail musculaire en course externe. Initialement utilisée par les danseurs professionnels, la gymnastique Pilates est devenue une activité physique très en vogue chez le sujet sain comme chez le patient souffrant de pathologies ostéoarticulaires. Le rationnel thérapeutique de la gymnastique Pilates dans la lombalgie repose sur une amélioration du contrôle et de la stabilisation lombo­pelvienne ainsi que de la souplesse du rachis. Une revue du groupe Cochrane a évalué, en incluant 10 ERC, l'efficacité de la gymnastique Pilates sur la douleur et les limitations d'activité du patient lombalgique [10]. Comparativement aux soins usuels ou à un livret de conseils, elle s'avère plus efficace sur la douleur et les limitations d'activité. En revanche, aucune différence n'a été observée entre la gymnastique Pilates et les autres formes d'exercices.

Rééducation McKenzie

La rééducation de type McKenzie (ou Mechanical Diagnosis and Therapy ®(MDT)) a été développée dans les années 1950 par un kinésithérapeute néo-zélandais. Elle est basée sur une approche symptomatique des lombalgies mécaniques et repose sur le concept de centralisation de la douleur. Le thérapeute essaie de déterminer la position du rachis pour laquelle la douleur lombaire irradie le moins. Le traitement consiste en la répétition de cette position préférentielle. Le MDT comprend des techniques d'éducation du patient et repose sur sa participation active. Une revue de la littérature avec méta-analyse montre, chez les patients en phase chronique, une plus grande efficacité sur la douleur et les limitations d'activité du MDT par rapport à d'autres techniques de rééducation [11]. D'autres études ne trouvent pas de bénéfices du MDT comparativement à d'autres formes tels que les exercices de stabilisation du tronc ou de contrôle moteur [12].

Mind-body exercises

D'autres formes d'exercices, en lien avec la philosophie et la religion, sont regroupées sous la terminologie de techniques “corps-esprit”. Le yoga et le tai-chi appartiennent à cette catégorie. Il existe de multiples déclinaisons du yoga. La forme la plus pratiquée est le hatha-yoga. Il comprend un travail de respiration, de posture, de concentration et de méditation. Le rationnel thérapeutique du yoga repose sur une amélioration de l'extensibilité et de la force musculaire, des capacités de relaxation et de conscience du corps. Une revue du groupe Cochrane regroupant 12 ERC s'est intéressée à l'efficacité du yoga sur la douleur et les limitations d'activité chez le patient lombalgique chronique [13]. Comparé à l'absence d'intervention, le yoga est plus efficace à court et moyen termes sur la douleur et les limitations d'activité. En revanche, il n'y a pas de différence entre le yoga et des formes d'exercices actifs centrés sur le renforcement des muscles paravertébraux. Le tai-chi est à l'origine un art martial chinois. Il repose sur le principe de la prééminence de la souplesse sur la force. Les principes thérapeutiques du tai-chi reposent sur une amélioration de la souplesse articulaire, de la force musculaire, de l'agilité et du contrôle postural. Une méta-analyse récente a conclu que le tai-chi seul ou pratiqué en complément d'une kinésithérapie classique était efficace sur la douleur et les limitations d'activité [14]. Aucune étude n'a permis de montrer un bénéfice du tai-chi par rapport aux autres techniques de rééducation.

Existe-t-il une dose optimale d'exercices ?

La dose des exercices dans les programmes de rééducation est plus influencée par des caractéristiques socioéconomiques (prises en charge médicale et sociale existantes) que par des arguments physiologiques ou cliniques. Aucun effet dose n'a pu être établi à ce jour [15]. Il semble toutefois cliniquement pertinent de proposer les traitements les plus intensifs aux patients ayant les limitations d'activités et restrictions de participation les plus importantes. Le traitement par l'exercice nécessite la participation active du patient. Compte tenu de la physiologie du renforcement musculaire, la régularité et la pratique sur le long terme paraissent essentielles. Les démarches permettant de favoriser l'adhésion du patient à son programme d'exercices doivent faire l'objet d'une attention particulière.

Autres prises en charge de la lombalgie commune

Place de la thérapie manuelle vertébrale

La thérapie manuelle est également une proposition thérapeutique en tant qu'intervention isolée ou dans le cadre d'un programme multidisciplinaire de rééducation multimodale. Une revue du groupe Cochrane a évalué l'efficacité des techniques de mobilisation/manipulation vertébrale sur la douleur et les limitations d'activité chez les patients lombalgiques chroniques [16]. À partir des données de 26 ERC, les auteurs ont montré qu'il existait une différence statistique mais non cliniquement pertinente, à court terme uniquement, sur la douleur et les limitations d'activité, en faveur des techniques de thérapies manuelles en comparaison d'autres types de prise en charge active (exercices physiques), passive (massage, ultra-sons) ou supposée inerte (intervention placebo).

Place de la massothérapie, des ceintures lombaires et de la physiothérapie

Une revue du groupe Cochrane en 2015 s'est intéressée à l'efficacité de la massothérapie dans la lombalgie [17]. Cette étude a conclu que la massothérapie avait des effets positifs sur la douleur et les limitations d'activité, mais faibles et à court terme. On peut néanmoins s'interroger sur la place de la massothérapie en tant que technique complémentaire aux exercices par ses dimensions de prise de contact ou de récompense. Une autre revue du groupe Cochrane a évalué l'efficacité des contentions lombaires dans la prévention (7 ERC) et le traitement (8 ERC) des lombalgies [18]. Cette revue a conclu à l'absence de preuve d'efficacité des contentions lombaires dans la prévention ou le traitement de la lombalgie. Néanmoins, cette revue était uniquement qualitative et ne distinguait pas les différents stades de la lombalgie. Pour le clinicien, la contention lombaire peut avoir sa place à la phase aiguë à visée antalgique [19]. Une autre revue du groupe Cochrane a analysé l'efficacité des ultra-sons et a montré qu'il n'existait pas de preuve d'efficacité des ultra-sons sur la douleur et la qualité de vie. L'effet retrouvé à court terme sur les limitations d'activité n'était pas cliniquement pertinent [20].

Place des “écoles du dos”

Le concept d'“école du dos” est né en Suède au début des années 1970 et désignait une intervention contenant de l'information (anatomie, biomécanique du rachis), de l'ergonomie (principes de protection du rachis) et des exercices. Les écoles du dos françaises sont très imprégnées des concepts d'“hygiène” du dos et d'“économie” rachidienne, alors qu'ils ne reposent sur aucun rationnel scientifique solide. Dans le monde, il existe de nombreuses modalités différentes d'école du dos. Deux revues du groupe Cochrane ont indiqué l'absence de preuves d'efficacité des écoles du dos sur la douleur et les limitations d'activité pour les lombalgies aiguës, subaiguës [21] et chroniques [22]. Un ERC récent comparant, chez 202 patients lombalgiques aigus, l'efficacité sur la douleur et les limitations d'activité d'une intervention éducative (discussion et informations sur les peurs et croyances, la douleur et les traitements les plus efficaces) à une intervention éducative placebo (discussion libre sans apport d'informations ou conseils), ne montre pas de différence entre les groupes [23]. Ces données suggèrent l'absence d'intérêt de l'approche éducative isolée dans la lombalgie. On peut regretter que malgré ces données de haut niveau de preuve, les écoles du dos soient toujours largement proposées en France.

Conclusion

Les recommandations actuelles insistent sur l'importance de la prévention secondaire de la lombalgie chronique invalidante et de la stratification des soins chez les patients. En cas de poussée douloureuse, il est important de délivrer une information rassurante au patient sur l'absence de gravité médicale et le pronostic favorable de la lombalgie. Il est également important d'encourager le patient à rester physiquement actif et de lui rappeler que, en dehors de la poussée douloureuse, la pratique d'une activité physique régulière spécifique (exercices) et non spécifique (travail aérobie en endurance), est essentielle pour prévenir une récidive. Aucune technique de rééducation active n'ayant clairement fait la preuve de sa supériorité, il paraît pertinent de prendre en compte les préférences du patient dans le choix des techniques de rééducation active et des exercices. L'adhésion au traitement par les exercices sur le long terme est désormais le véritable enjeu. Elle pourrait être facilitée par l'utilisation des nouvelles techno­logies dans les programmes de rééducation.

Références

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4. Louw A et al. The effect of neuroscience education on pain, disability, anxiety, and stress in chronic musculoskeletal pain. Arch Phys Med Rehabil 2011;92(12):2041-56.

5. Lindström I et al. The effect of graded activity on patients with subacute low back pain: a randomized prospective clinical study with an operant-conditioning behavioral approach. Phys Ther 1992;72(4):279-90; discussion 291-3.

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15. Kamper SJ et al. Multidisciplinary biopsychosocial rehabilitation for chronic low back pain. Cochrane Database Syst Rev 2014;(9):CD000963.

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20. Ebadi S et al. Therapeutic ultrasound for chronic low-back pain. Cochrane Database Syst Rev 2014;(3):CD009169.

21. Poquet N et al. Back schools for acute and subacute non-specific low-back pain. Cochrane Database Syst Rev 2016;4:CD008325.

22. Parreira P et al. Back Schools for chronic non-­specific low back pain. Cochrane Database Syst Rev 2017;8:CD011674.

23. Traeger AC et al. Effect of intensive patient education vs placebo patient education on outcomes in patients with acute low back pain: a randomized clinical trial. JAMA Neurol 2019;76(2):161-9.


Liens d'intérêt

A. Roren, M.M. Lefèvre-Colau, C. Daste, C. Nguyen et F. Rannou déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts en relation avec cet article.